Chapitre 43 - James

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Une odeur de violette flotte dans ma chambre. C'est elle que je sens alors que j'émerge lentement du sommeil, qui atteint ma conscience en premier alors que je n'ai pas encore ouvert les yeux.

Je souris.

Aucun jour ne peut être totalement mauvais quand il commence bercé par ce parfum. Aucun jour n'est insurmontable si j'ai Selena dans mes bras.

Qu'elle dorme avec moi m'émerveille encore. Près de deux mois se sont écoulés depuis notre voyage à New York, et ce n'est pas arrivé si souvent. Pas seulement parce que nos vacances avec nos familles respectives nous ont tenu éloignés l'un de l'autre pour plusieurs semaines ; j'ai surtout conscience que les séquelles des abus qu'elle a subi n'ont pas disparu magiquement du jour au lendemain parce que, une première fois, son désir a gagné sa bataille contre sa peur. Je ne la presse à rien ; si elle vient passer la nuit avec moi, c'est qu'elle le veut.

Hier, quand ses baisers se sont embrasés, j'ai senti que l'un de ces soirs était arrivé, et je me suis efforcé de faire en sorte qu'elle en savoure chaque moment, comme toujours. Sa peau contre la mienne, son souffle qui expire dans le silence, son odeur qui se teinte d'un piquant inimitable... Tout cela, je l'accueille comme un petit miracle lorsque cela se produit. Ne faire plus qu'un avec elle, recevoir le cadeau de sa confiance et de son amour... Cela mérite bien que j'attende qu'elle se sente prête à s'abandonner entièrement.

Je ne sais pas quelle heure il peut être. Autour de huit heures, au vu de la lumière qui commence à filtrer de l'autre côté de mes rideaux. Nous sommes encore en vacances, de toute façon, pour cette semaine encore : nous pourrons rester au lit autant de temps que nous le voudrons. Ce ne sont pas mes parents qui nous dérangeront ; ils ont déjà dû partir travailler. Et puis, ils adorent Selena. Le pire qui risquerait d'arriver, c'est qu'ils lui préparent un petit déjeuner gargantuesque pour lui manifester toute leur affection – sérieusement, ma mère s'est déjà levée un matin exprès pour aller acheter des croissants à la boulangerie française de la ville parce qu'elle m'avait entendu parler en FaceTime avec ma petite amie et qu'elle avait cru qu'elle était restée pour la nuit.

Selena dort encore : j'entends sa respiration régulière. Mon bras est ankylosé, parce que sa tête est posée dessus. Mais pour rien au monde je ne le dégagerais. Je ne veux pas risquer de la réveiller, de briser ce moment. À la place, j'entortille autour de mon doigt une mèche de ses cheveux qui s'était perdue sur son épaule nue, et je me laisse porter par nos souvenirs ensemble, aussi doux que des rêves.

Hier, nous fêtions les quatre mois de notre couple, et je me devais de marquer le coup. Je lui ai offert un bouquet, mais pas de fleurs ordinaires ; d'origamis. Représentant des violettes, bien évidemment. Lorsqu'elle l'a vu, ses yeux se sont illuminés.

— Wow, c'est magnifique ! s'est-elle exclamée, avant de s'en saisir afin de l'examiner de plus près, émerveillée.

Elle a détaillé les pétales mauves, le ruban reliant ensemble les tiges métalliques retenant les fleurs, puis ses sourcils se sont froncés et elle m'a jeté un regard dubitatif.

— C'est toi qui as fait ça ?

J'ai placé une main sur mon cœur, faussement outré.

— Comment oses-tu mettre en doute mes talents artistiques ?

Elle a rosi, et pour dissiper sur le champ son embarras que je sentais poindre, j'ai ajouté :

— Il se pourrait que j'aie demandé de l'aide à Neal. Mais c'est moi qui lui ai fourni le modèle de pliage ! Et j'en ai quand même fait une moi-même. Celle-là.

J'ai pointé la fleur en question, qui ressemblait à un blob souffreteux à côté des autres. Ça n'a pas empêché Selena de sourire, et de l'effleurer du bout du doigt comme s'il s'agissait d'un trésor précieux.

Tout au long de la soirée, que nous avons passée à regarder un film tous les deux, elle n'a cessé de revenir à mon bouquet, et la voir si heureuse m'a empli de fierté. C'est une image de plus qui s'est gravée dans mon esprit à jamais. La première fois que j'ai vu Selena, bien sûr, après l'avoir poursuivie à travers le campus. Sa beauté dans sa robe de satin chatoyante pour son dîner d'anniversaire. Son insouciance, les cheveux volant au vent, alors que nous nous promenions ensemble parmi les parterres de fleurs de Central Park. Tout cela, il me suffit de fermer les yeux pour le revoir. Et cela, pour moi, c'est une énorme victoire. Il y a encore quelques mois, lorsque je me tournais vers l'intérieur de mon être, je peinais à trouver autre chose que la nuit. Maintenant... je sais où chercher quand j'ai besoin d'une raison de m'accrocher. Je n'ai plus si peur de l'avenir.

J'ai conscience que je traverserai encore d'autres phases difficiles, la psy que j'ai commencé à voir ne m'a pas menti à ce sujet. Elle m'aide à mettre des mots sur mes émotions négatives pour apprendre à les combattre, et à faire face à ma situation. La dépression est une maladie, avec ses rechutes. Elle peut s'effacer pour un temps, mais elle ne disparaît pas magiquement. Cependant, je ne serai plus seul pour l'affronter. Pas parce que Selena restera à mes côtés – même si je suis persuadé que ce sera le cas et que le lien qui s'est forgé entre elle et moi est indestructible. Non : parce que quand j'irai mal, je n'aurai plus honte de l'admettre et de demander de l'aide. Et puis, entre les mauvais jours, il y en a des bons, sans vagues ou tourments. C'est sur ceux-là que je me focalise. Je ne guérirai jamais complètement, mais je peux envisager un futur dans ces conditions. Je veux croire que je peux être heureux.

Aujourd'hui, dans la lueur de l'aube, je le suis.

Selena remue, respire un peu plus fort, puis retrouve son sommeil paisible. Une bouffée d'amour pour elle m'envahit. Je ne pensais même pas qu'il était possible de ressentir quelque chose d'aussi fort pour quelqu'un... Alors, dans le silence serein de la chambre, je lui murmure :

— Je t'aime.

Je sais bien qu'elle dort, qu'elle ne peut pas m'entendre. Mais cela me prend parfois, quand je me réveille avant elle. Je lui parle, je lui ouvre mon cœur jusqu'à des profondeurs que, même face à elle, j'ai du mal à atteindre en temps normal. Comme si mes mots pouvaient voyager directement jusqu'à son âme assoupie.

— Tu ne t'imagines pas tout ce que tu m'as apporté, je poursuis dans un souffle. Avant toi, je tâtonnais dans l'obscurité. Je croyais que j'avais quelque chose de cassé, que le monde m'avait laissé tomber et que rien ne pourrait jamais me tirer du gouffre dans lequel j'étais tombé. Et puis tu es arrivée. Je ne t'avais même pas encore rencontrée que ton parfum de violette m'apportait déjà un peu de réconfort. Je pensais qu'il faudrait un miracle éclatant pour me sauver de ma nuit, mais en réalité, ce que j'attendais, c'était quelque chose de bien plus doux. Toi... Ma clarté face aux ténèbres. Ma brise d'espoir.

Elle remue encore, alors je me tais, en passant mon bras libre autour d'elle pour me coller tout contre son dos et respirer l'odeur de ses cheveux.

Et pour une fois, si jen'ai aucune envie de sortir de mon lit, c'est parce que la plus merveilleusedes femmes se trouve entre mes draps, avec moi.

My Breeze of HopeWhere stories live. Discover now