Chapitre 7 - Selena

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— ... et là, le sénateur Vance m'a dit que cela lui faisait chaud au cœur que des jeunes comme moi s'engagent pour les Républicains, et qu'il était certain que mes efforts contribueraient à faire progresser notre parti dans le Connecticut. C'était formidable qu'il prenne le temps de discuter avec moi comme ça. Je l'ai trouvé inspirant, cet homme. Je me demande si je ne vais pas tenter ma chance et lui envoyer une lettre pour obtenir un stage dans son bureau cet été.

— Excellente idée, mon fils. J'ai toujours su que tu étais capable de saisir les opportunités lorsqu'elles se présentent.

Dan se redresse sur sa chaise, ravi du compliment que notre père vient de lui adresser. Mon frère a l'habitude d'être le centre de l'attention familiale, pourtant : avec son parcours universitaire exemplaire, il fait la fierté de nos parents. Inscrit en master de sciences politiques, il rêve d'une carrière qui l'emmènera jusqu'aux plus hautes fonctions gouvernementales, et il se donne les moyens de ses ambitions. Il s'est engagé au sein des Jeunes Républicains depuis plusieurs années déjà, et il revient d'ailleurs d'un séminaire qui a été organisé à Cincinnati pour rassembler quelques-uns des membres les plus prometteurs du mouvement.

— Tu n'auras pas trop de mal à rattraper les cours que tu as manqués ? s'inquiète ma mère.

— Oh, ça, ce n'est rien, assure Dan. Je me suis arrangé avec un ami pour qu'il me transmette ses notes. Et puis, j'ai appris bien plus en trois jours que j'aurais pu le faire sur n'importe quel banc d'université.

— Quand sont tes prochains partiels, déjà ? Tu es prêt ?

— J'ai encore un peu de temps devant moi. Mais je suis confiant. Ne t'inquiète pas, maman, je veille à réviser au fur et à mesure.

Les questions de mes parents se poursuivent, les réponses de Dan aussi. Je termine mes haricots en silence. C'est comme ça tous les dimanches midi pendant le grand repas hebdomadaire à laquelle ma famille tient tant. Mon frère expose ses succès, tandis que moi, je demeure plus en retrait. Ce n'est pas dans ma personnalité de me mettre en avant, sans compter que mes parents m'ont souvent répété que la vanité sied très mal à une jeune fille bien élevée.

À une époque, mon père ne manquait pas de m'interroger chaque semaine sur les résultats du dernier match de Bastian. Il lui arrive encore de me demander des nouvelles de lui, d'ailleurs ; il l'aimait beaucoup. Il l'appelait « fiston », lui mettait les mêmes tapes dans le dos qu'à Dan. Quand il venait manger à la maison, lui aussi avait le droit d'être mis sous le feu des projecteurs.

Je sais que mes parents n'ont pas digéré la déception que notre rupture leur a causée, et la tristesse dans leurs yeux quand je leur ai annoncé la nouvelle m'a fait mal. Ils ne me l'avoueront pas, mais je me doute qu'ils pensent que c'est ma faute, que j'aurais dû trouver des moyens de le retenir. Que j'ai laissé échapper l'une des meilleures choses qui soit arrivées dans ma vie.

Je ne voulais pas que ça se passe comme ça entre nous, moi non plus. Parfois, je me dis que j'aurais dû essayer juste un petit peu plus, que cela aurait peut-être changé les choses. Et puis mon cœur se referme sur lui-même, parce que ces pensées me font trop mal.

Alors que Dan expose ses plans pour la semaine qui vient et les dernières frasques de son colocataire, je laisse mon esprit dériver loin de cette conversation qui ne m'inclut pas. Comme souvent ces derniers temps lorsque j'ai besoin d'une échappatoire, c'est vers James qu'il se tourne.

Instantanément, un léger sourire étire mes lèvres. Il a trouvé mes origamis et il les apprécie, j'en ai eu la preuve. En levant les yeux vers la fenêtre de sa chambre alors que je passais devant le bâtiment de sa résidence, j'ai vu mes créations de papier alignées le long de sa vitre. Je ne m'y attendais pas, et cela m'a fait chaud au cœur. Je les lui déposais sans aucune certitude quant à la manière dont il les percevait ; il aurait tout aussi bien pu les jeter sans y prêter la moindre attention. Qu'il les collectionne me prouve qu'il accorde de l'importance à mon geste, ou au moins qu'il trouve mes pliages suffisamment beaux pour être exposés. C'était ce que j'espérais ; cela me conforte dans l'idée que je ne me suis pas trompée sur lui, qu'il a bien cette sensibilité en lui que j'ai cru percevoir de loin.

My Breeze of HopeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora