Chapitre 9 - James

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L'odeur me frappe alors que je descends l'escalier du bâtiment dans lequel mon dernier cours de la journée vient d'avoir lieu. Le parfum de la violette s'est si profondément imprimé en moi qu'en capter rien qu'une bribe au détour d'un couloir a suffi pour que je me fige – je peux remercier mon odorat hypersensible d'avoir su le distinguer. Je pivote, remonte en hâte les quelques marches qui me séparent de l'étage dont je viens.

— Hé !

La fille que je viens de croiser se retourne et me jette un regard étonné derrière ses lunettes à monture métallique. Ses longs cheveux bruns sont remontés en un chignon flou, et elle porte une salopette sur un t-shirt rayé à manches longues. Je la rejoins en quelques enjambées... et c'est là que je me rends compte de mon erreur.

Elle sent la violette, oui. Mais ce n'est pas exactement la même fragrance que celle qui flotte si souvent près de mon casier. Elle est plus chimique, plus agressive. Mêlée à une pointe citronnée qui ne fait définitivement pas partie du parfum de mon inconnue.

— Qu'est-ce qu'il y a ? me demande l'étudiante que j'ai arrêtée.

Penaud, je recule d'un pas en lui répondant :

— Je suis désolé, je t'ai prise pour quelqu'un d'autre. Excuse-moi.

Elle hausse les épaules, recale la bretelle de son sac à dos puis s'éloigne. De mon côté, je retourne vers l'escalier, dépité.

C'est frustrant d'en savoir aussi peu sur la fille qui dépose ses origamis dans mon casier. Depuis le mot accroché à son étoile qu'elle m'a laissé il y a trois semaines, elle m'en a déposé un nouveau après chacun de mes entraînements du soir, mais elle ne s'y dévoile jamais. Tout ce que je connais d'elle, c'est son écriture... et son odeur. Et encore, je suis persuadé que ce dernier détail sur elle, je ne le dois qu'à mon hyperosmie. Il n'empêche qu'il m'obsède. Ce n'est pas la première fois que je me surprends à me mettre soudain en alerte parce que j'ai cru capter un effluve de violette – même si je n'avais encore jamais arrêté d'étudiante jusque-là. À la cafétaria, au détour d'un couloir, dans le hall de la piscine... Je crois saisir le parfum qui en est venu à signifier tant pour moi, même si souvent, il est si ténu que je pourrais tout aussi bien l'imaginer. C'est comme si le fantôme de mon inconnue s'attardait un peu partout sur le campus, laissant une trace que je peux saisir, mais sans jamais pouvoir remonter jusqu'à elle. Comme si j'arrivais systématiquement trop tard, quelques secondes après son départ.

Ou peut-être que je me fais des idées, parce que ces origamis n'en finissent pas de m'intriguer.

Chacun des mots qui les accompagnent me paraît plus touchant que le précédent, poétiques même dans leur plus grande simplicité. Ce sont autant de messages qui expriment une confiance en moi que je ne ressens plus moi-même. Je les connais pratiquement tous par cœur, tant ils ont su s'y loger.


Je souhaite que chacun des jours de cette semaine t'apporte une nouvelle raison de sourire.


Chaque fois que je t'aperçois, mon monde s'éclaire un peu.


Je manque souvent de courage, mais penser à toi m'en donne.


Et tant d'autres, tout aussi doux... J'avoue sans honte que j'en suis venu à les attendre : cela me motive à aller à la piscine, plus que l'entraînement lui-même. Leur lecture est l'un des rares moments de mon quotidien où je suis certain que je me sentirai bien. Lors de mes mauvais jours, c'est une perspective à laquelle je me raccroche. Ils m'ont manqué pendant le Spring Break, qui s'est terminé dimanche dernier. Je l'ai passé loin de l'université : le coach Cabrera avait organisé un stage d'entraînement du côté de Knoxville pour l'ensemble de l'équipe de natation. Forcément, je n'ai rien trouvé dans mon casier à cette période-là. J'avoue que cette semaine a été difficile à encaisser : j'ai pu bénéficier de bien moins de temps en solitaire, et devoir maintenir ma façade en permanence m'a épuisé. Et puis, elle était loin. C'est bête, mais ça a joué.

My Breeze of HopeWhere stories live. Discover now