Chapitre 5 - James

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Une fleur de lotus.

Elle est posée là, d'un ivoire irisé, tranchant avec le tissu gris foncé de mon sac. Je l'ai repérée dès que j'ai ouvert mon casier. Comment aurais-je pu la manquer ? Elle est gracieuse, élégante. Des origamis, j'en ai fait quelques-uns par le passé – très maladroitement. Au collège, dans le cadre d'une initiation artistique. Celui-là est différent. La personne qui l'a réalisé maîtrise l'art du pliage, c'était évident. Chaque rabat est net, parfaitement symétrique à celui qui lui fait face. Et puis, le papier n'a pas juste été arraché à un cahier : il a été choisi avec soin pour rehausser la beauté de l'ensemble.

Ma gorge est nouée. Cette journée, comme la précédente, a été compliquée. J'ai enchaîné les cours toute la journée, et je suis fatigué. Non que je n'apprécie pas mon cursus ; au contraire, si j'ai suivi de m'inscrire en bachelor de bio, c'est parce que c'est une matière que j'apprécie depuis le lycée. J'aime comprendre comment fonctionne le vivant : la nature est souvent surprenante, bien plus précise et efficace que nos technologies de pointe. Seulement, en début d'après-midi, l'un des professeurs a décidé de digresser de son exposé pour parler un peu des perspectives qui nous attendent après l'université. J'ai conscience qu'il ne voulait que notre bien : il a détaillé diverses orientations professionnelles possibles avec un diplôme comme celui que j'obtiendrai à l'issue de mes études, a parlé des entreprises qui recrutent le plus dans le secteur, des différents postes accessibles... Mais ça m'a terrifié. Parce que je me suis rendu compte, une fois de plus, que je n'arrive plus à m'enthousiasmer pour l'avenir. Je ne parviens pas à le voir autrement que... vide. Ici, à la WestConn, j'ai au moins la coquille que je me suis constituée. La façade grâce à laquelle j'existe dans le regard des autres. Sauf qu'une fois dans le monde du travail, elle se fendillera, nécessairement. Les compétitions sportives universitaires ne durent qu'un temps, la vie de campus également. Que restera-t-il de moi après ça ?

Glacé par ces questionnements et les angoisses qui m'avaient assailli, j'ai suivi le reste des cours de la journée en pilote automatique. Faisant le nécessaire pour maintenir un sourire factice pour le reste du monde, alors qu'à l'intérieur, je luttais dans un champ de ruines. L'entraînement aussi, je l'ai traversé sans entrain.

Puis, après m'être douché, j'ai ouvert mon casier... et me voilà maintenant devant cette fleur de lotus, éclat de beauté si inattendu.

Je cligne des yeux. Voilà une dizaine de secondes que je n'ai pas bougé, la détaillant avec incrédulité. Je me secoue et me décide à tendre la main pour la saisir.

C'est une erreur, n'est-ce pas ? Elle n'a rien à faire là...

Mais l'odeur de violette qui flotte devant mon casier chaque soir non plus, et pourtant, ce soir encore, elle m'accueille. Elle est même plus intense que d'ordinaire... et je comprends pourquoi lorsque j'approche la fleur de lotus de mon visage. Là, contenu dans ses pétales, le parfum délicat se niche, comme un trésor caché recroquevillé entre ses plis. Il se déroule pour mes narines sensibles alors que j'inspire, me transportant l'espace d'un instant dans un endroit plus doux, où les plaies de mon cœur pourraient se refermer – un jour, peut-être. Où l'espoir existe encore, et où cette fragrance me montre le chemin pour le retrouver.

La magie se dissipe à la respiration suivante. L'acidité du chlore qui règne dans ces vestiaires me rattrape, me ramenant brutalement à la réalité. Mais j'y ai cru, l'espace d'un instant, et c'est déjà mieux que rien.

Je jette des regards autour de moi, mais je ne vois rien d'inhabituel parmi mes coéquipiers qui m'entourent : Anton et Ernest débattent de livres et de cinéma, Theo charrie Dominic à propos de ses temps en papillon. Rien qui sorte de l'ordinaire et qui pourrait me donner un début d'explication quant à la provenance de ce lotus. Alors je reporte mon attention sur lui et le retourne dans tous les sens, à la recherche d'un mot qui l'accompagnerait, d'une explication. Il n'y en a pas. Comme s'il avait fleuri spontanément au milieu de mes affaires, sans la moindre intervention humaine.

My Breeze of HopeWhere stories live. Discover now