Le Prince se tient face à nous, le dos droit, en tailleur. On ne dirait pas qu'il est mourant. Il me jette un regard avant de commencer son récit.
— Je ne pourrais pas vous raconter ce qu'il s'est passé avant mon éclosion. Mais je peux vous raconter ce qu'il s'est passé depuis. Lorsque je suis né, un homme se trouvait devant moi. Je savais qu'il n'était pas mon père, ni même de mon espèce. Néanmoins, j'avais besoin d'énergie vitale. Lorsque j'ai cherché des êtres vivants près de moi j'en ai trouvé deux : Alice et son géniteur. Je n'ai pas réfléchi et j'ai aspiré tout ce que je pouvais. Malheureusement, Alice n'était qu'une enfant, et ça l'a tué.
Tous les regards se jettent alors sur moi. Ça m'a tué ? Comment est-ce possible, puisque je me tiens là ? Mon souffle se fait court.
— Je me suis rendu compte que j'avais ôté la vie à un être vivant. Même si j'étais un nourrisson, je l'ai ressenti. Alors j'ai décidé de me lier à elle, comme se lient deux Iclahomas, pour la sauver. J'ai partagé mon énergie en deux avec Alice, mais cela à modifié son métabolisme. Elle est désormais à moitié humaine et à moitié Iclahomas.
Mes mains tremblent, tout mon corps tremble en fait. Dans ma tête tout me revient, les images, les souvenirs. Absolument tout, je sais qui est Hotah, je me rappelle.
— Hotah... bégayé-je. Tu... Tu as vécu avec nous n'est-ce pas ?
Mon frère hoche la tête. Les Survivants chuchotent, ils sont confus.
— Ton père souhaitait me cacher des autres humains, il disait qu'ils étaient mauvais. Mais... Par ma faute...
— Quoi ? Lui demande Allan. Continu.
Mes amis sont aussi curieux que moi.
— Je voulais retrouver mes parents, mon peuple. Je sentais leur présence, et je suis sorti. Lorsque je suis allé dans la rue, j'ai vu les cœurs de mon peuple. Il y en avait partout, ils s'en servaient pour tout. Je n'ai pas réussi à garder mon calme et je me suis transformé. Evidement les humains ont compris. Ton géniteur s'est interposé pour me sauver. Et ils ont tiré sur lui. J'ai réussi à l'emmener et fuir pour nous cacher. Je lui ai donné toute l'énergie que je pouvais, je voulais le sauver. Mais... je n'ai pas eut le temps de savoir s'il avait survécu. Les humains nous avaient retrouvés, et il m'a ordonné de survivre, de m'enfuir. Je m'inquiétais pour ma sœur, Alice, et ta génitrice. Mais ton géniteur m'a dit qu'il avait fait le nécessaire. Alors j'ai fui, je vous ai abandonné, je suis désolé.
Je ne sais pas quoi dire. Je comprends tout à présent. Pourquoi mon père pouvait courir aussi vite à son âge, ou comment il pouvait sauter d'un Terbang à quatre mètres du sol sans une égratignure. Les larmes coulent sur mes joues, et je ne peux plus les arrêter. Mon père nous a injecté le ZIP pour nous protéger et protéger Hotah. Son sacrifice n'aura pas été vain.
— Mon père... Il était vivant, dis-je. Mais finalement, lorsque je l'ai retrouvé...
J'avale difficilement ma salive, c'est comme si j'avalais une boule de coton.
— Le président l'a abattu. Mais c'est grâce à lui que nous avons pu sortir mes amis et moi. Hotah... Je me souviens de tout à présent. Des jeux que nous faisions ensemble quand tu étais petit. Les histoires que ma mère nous lisait le soir. Je me souviens de toi...
Le Prince esquisse un simple sourire, et ferme les yeux.
— Parfait.
Et soudain, il s'écroule en arrière. Tout se passe très vite. En quelques secondes, Nash et Jolan se précipitent à ses côtés, Ayanna hurle des ordres dans une langue que je ne comprends pas. Les Survivants se lèvent, Ayden me prend le bras pour m'écarter de l'agitation qui se dessine devant nous. Mais je n'entends plus rien, mon regard est fixé sur mon frère au sol, inconscient. Je ne réfléchis pas, je me souviens de notre complicité d'avant, de nos rires, de nos peurs, de tout. Je m'élance auprès de lui, laissant mes amis se faire emporter un peu plus loin.
Ayanna est au sol, près d'Hotah, et je m'approche d'elle également.
— Qu'est-ce qu'il a ?
Je vois une larme rouler le long de sa joue, et creuser une tranchée dans la peinture blanche qui la recouvre.
— Notre Prince, il nous a donné jusqu'à la dernière goute d'énergie, pour sauver notre peuple, le maintenir en vie. Alice... Votre Majesté... Vous devez le sauver.
Je la regarde avec des yeux déterminés.
— Oui. Dis-moi ce que je dois faire.
— Très bien, nous devons procéder au rituel. Il est trop faible pour faire la cérémonie de réception lui-même. Mais comme vous partagez la même énergie lui et vous, vous êtes la seule à pouvoir le faire.
Je me relève, essuie mes larmes, et observe mon petit frère.
— D'accord, en quoi consiste-t-elle ? Quand pouvons-nous la faire ?
Jolan s'approche de moi, puis me prend le bras délicatement.
— Majesté, je vais vous expliquer. Nashoba, rassemble tout le monde, nous devons faire cela au plus vite.
Le garçon hoche la tête et ne se fait pas prier. On emmène mon frère, et tout les Iclahomas postés sur les balcons se mettent à bouger. Tandis que Jolan m'emmène sous le grand arbre.
— Dîtes moi tout, demandé-je.
Jolan hoche la tête.
— La cérémonie de réception est une cérémonie un peu spéciale. C'est très rare que nous y procédions. Tout les Iclahomas du peuple se rassemble et se donne la main. Puis, nous transmettons toute l'énergie que nous pouvons dans un réceptacle. Ce devait être le Prince, mais il est trop faible pour pratiquer la cérémonie lui-même, et recevoir notre énergie. Mais toi, tu peux agir comme un transmetteur, puisque votre énergie est la même.
— Je comprends, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider, je vous le promets.
Je sens dans le regard de Jolan une gratitude incommensurable. Il n'a pas besoin de parler, je comprends et ressens ses émotions. Depuis que je suis ici, je ressens les émotions de chacun d'entre eux, de chaque Iclahomas. Et c'est de la tristesse et de l'inquiétude qui plane sur cet immeuble.
Tout le monde se met en place. Sous l'arbre, nous avons demandé aux Survivants de s'installer sans bruit. Ils sont tous alignés dans le silence, et se tiennent la main, par respect. Au centre du carré creux qu'est l'immeuble, les Iclahomas forment une spirale. Ils sont assis en tailleurs, les uns à côtés des autres, se tenant les mains. Et au centre de cette spirale, se trouve Hotah, dont je tiens fermement la main. Nashoba se trouve derrière moi, il fait pression sur mon dos de ses grandes paumes, posées à plat. Ayanna est la seule qui se tient debout, elle va devoir prendre le rôle de prêtre de la cérémonie. C'est elle qui va parler, et guider le rituel.
Le silence de la salle est pesant. Je vois la respiration de mon frère, faible et irrégulière. Soudain Ayanna lève les mains au ciel, elle commence.
— Fermez les yeux, dit-elle. Nous allons commencer.
Je m'exécute, et je sens la paix et le respect inonder mon corps. Ce sont les Iclahomas ?
— Ô grand Amarok, premier Roi, entend notre appel.
Les Iclahomas commencent à se balancer doucement de droite à gauche. Ils chantent faiblement quelque chose dans leur langue que je ne saisis pas.
— Hotah, notre Prince est mourant, continu-t-elle. Prête-nous ta puissance, permet nous de lui donner notre force.
Je sens une énergie immense inonder mon corps. Elle me remplie de bonheur et d'amour, c'est incroyable. J'ai l'impression de me noyer dans une mer invisible. Une mère de paix et de sérénité. Je ne peux m'empêcher d'ouvrir les yeux. Et je suis alors stupéfaite. Les corps de tous les Iclahomas sont à présent recouverts de tatouages bleu lagon, qui s'illuminent dans le noir.
— Prince Hotah, accepte cette offrande, accepte humblement notre aide, continue Ayanna. Ressent cette force inonder ton corps.
J'ai tout d'un coup l'impression d'être traversé par quelque chose. C'est comme une bourrasque, qui me traverse de part en part. Elle vient de mon dos, glisse sur mes épaules jusque dans mes bras, et me brûle les mains. C'est alors que je remarque sur mon corps, de fin traits bleutés, qui forment un tatouage étrange. Ils s'illuminent à leur tour, et lorsque je sens la bourrasque s'évaporer de mon corps par mes mains, les tatouages de mon frère se mettent à briller.
— C'est bien, articule Ayanna. Accepte notre énergie, nos vie, l'aide de ton peuple.
C'est une nouvelle bourrasque qui me traverse, et les tatouages de mon frère brillent de plus belle. Je jette un regard dans la foule, où les Iclahomas se balancent et chante. Et je le vois, Isha, assis derrière Ayanna. Il ne tient la main à personne, je comprends qu'il n'est pas là physiquement. Il s'approche de moi et me murmure quelque chose.
— J'ai appelé tout les demi-Iclahomas. Le Prince ne mourra pas.
C'est alors que du mouvement me fait tourner la tête à gauche, du côté de l'entrée. Ayanna stoppe la cérémonie, les Iclahomas cessent de chanter. Une fille aux cheveux blond s'avance.
— Nous avons entendu votre appel dit-elle. Même si nous ne sommes que des demi-Iclahomas, c'est notre Prince. Permettez-nous de vous rejoindre.
Ayanna me regarde les yeux pleins d'espoir. Je hoche la tête, et une bonne centaine de personne cherche à présent une place parmi les Iclahomas. Nous reprenons la cérémonie.
— Que tous nos cœurs se lient ! Hurle Ayanna.
C'est alors que les Survivants se lèvent et nous rejoignent. Ils veulent eux-aussi donner un peu de leurs énergies vitales. Tout ces gens, tout ce monde, ils sont là pour Hotah, mon frère. Je ferme les yeux et laisse couler mes larmes. Le chant des Iclahomas m'apaise, il m'emporte dans un monde qui m'est inconnu. Plus rien autour n'a d'importance. C'est juste un amour immense dans lequel je me noie. Un dévouement extrême, et un bonheur infini.
— Ô Prince Hotah, reçoit maintenant toute cette énergie, et revient nous !
C'est alors un ouragan et non plus une bourrasque qui traverse mon corps. J'ai l'impression qu'il va m'emporter avec lui. Les signes sur les corps des Iclahomas brillent tellement fort, qu'ils éclairent d'une lumière bleue l'endroit où nous nous trouvons. Lorsque la dernière goute d'énergie quitte mes mains, je me sens comme vidée, exténuée. Le silence se fait, tous les regards son rivés sur mon frère qui a toujours les yeux clos.
Soudain, il les ouvre en grand, tout en prenant une respiration affolée. Il se relève d'un bond, et se retrouve assis entouré de son peuple.
— Il est en vie ! Hurle Ayanna. Notre Prince est sauvé !
Toutes les personnes ici présente poussent des cris de joie. Je surprends même les Survivants avec de grands sourires, et des cris de soulagement.
— Hotah, dis-je en le regardant.
— Alice, répondit-il en se rapprochant de moi. Maintenant, nous allons rendre à notre peuple sa fierté.
Nous nous levons ensemble, face à notre peuple, les Iclahomas, les demi-Iclahomas, et les Survivants. Ils sont tous ma famille maintenant.
— Oui, murmuré-je à Hotah. Nous allons reprendre le contrôle.