*Mise à jour : février 2019 *
ÉPISODE 11 - (partie 2/3)
— Coupez !
Red râla :
— Mais putain, c'était bon !
— Non ! Un énergumène est passé dans le champ quatre. Et ne me dis pas ce que j'ai à faire, je sais de quoi je parle !
— Mathiew, je vais être cash : tu me gonfles !
Oubliée la politesse, la saturation atteignait son point critique des deux côtés.
— C'est réciproque, si ça peut te rassurer.
— Ce qui me rassurerait, c'est que tu ne nous lâches pas avant la sortie de RENOVATIO.
Le réalisateur metteur-en-scène dévisagea le chanteur en colère. D'où venait cette inquiétude ? Ne s'investissait-il pas assez, au goût de la diva ? Mathiew y était plongé jusqu'au cou, pourtant, il ne la sentait toujours pas, cette affaire. Jay promettait d'hypothéquer jusqu'à sa maison pour le dédommager, si le projet n'aboutissait pas. Mais il ne s'en servait pas comme d'un prétexte pour bâcler le travail. Red l'asticotait de ses sous-entendus. Le plateau de tournage suspendit son activité, dans l'expectative de leur prise de bec. L'heure était aux quatre vérités.
— Je n'en ai que faire de RENOVATIO, Red. J'aide un ami, point. Tu fermes ta belle gueule et fais ce que je dis, quand je suis derrière la caméra. Capisce ?
Sentant la situation tourner au vinaigre, Red décréta une pause. Mathiew beugla :
— On tourne !
— On va plutôt discuter comme deux adultes, opposa Red d'un ton condescendant. Ceci est le clip des Beat'ONE. Le travail de Mathiew consiste à dire si une prise de vue est bonne ou non. Dans le cadre, hors cadre, dans les temps, hors tempo. Tu saisis ? (La façade de calme vola soudain aux éclats.) Tu apportes ton point de vue extérieur aux idées des Beat'ONE, tu ne l'imposes pas ! gueula-t-il. On prend cette fichue pause ! Rien à foutre que tu aides un ami, c'est avec les Beat'ONE que tu as signé, pas avec Jay !
Mathiew haussa le ton, mais il fallait se lever tôt pour égaler les gueulantes de Red, aux capacités vocales louables.
— C'est Red qui n'est pas satisfait, pas les Beat'ONE ! Continue à la tourner de cette façon, et tes inquiétudes deviendront réalité.
— On sait tous que tu attends un prétexte pour te barrer ! Elle est belle ton amitié, renifla Red, dédaigneux.
Mathiew se demanda quelle force divine l'empêchait de descendre de son perchoir, pour mettre son poing dans le visage de cette caricature d'homme. Red souffla. La seconde suivante, sa colère s'étiolait. Mains sur les hanches, il dévisagea, presque amusé, le metteur-en-scène qui manœuvrait son siège. Quelle versatilité horripilante ! songea Mathiew.
— Tu es de mauvaise foi, Mathiew. Mes idées sont bonnes, mais tu refuses de le reconnaître. Tu sais quel est ton problème ? Tu n'aimes pas l'imprévu. Tu ne sais pas rebondir sur une situation inattendue. Tu n'admets pas l'improvisation.
Vision des choses plutôt frigide, de la part d'un réalisateur et metteur-en-scène. S'essayant à la diplomatie, Red se garda d'émettre cette analyse. Vain effort, Mathiew vit rouge.
— Ne me donne pas de leçons !
Red soupira, las.
— Je me tue à te dire que je ne te donne pas de leçons mais un point de vue. Tu es tellement sur la défensive, que tu le prends comme une critique négative de ton travail ou comme une agression.
— Écoute, ce n'est pas le moment.
— Ce ne sera jamais le moment. Mais j'ai décidé qu'on crèvera cet abcès. Mes idées te gênent parce qu'elles font toujours l'unanimité, contrairement à certaines des tiennes.
Mathiew n'en revint pas. Tant de suffisance...
— Tu veux qu'on se balance nos quatre vérités ? Soit.
Red remua la tête, consterné. Cet homme prenait tout de travers. Où est-ce que Jay l'avait déniché ? Le geste souffla sur les braises de Mathiew.
— Évite de me prendre de haut !
— C'est toi qui le prends comme un affront dès que je désapprouve une de tes idées. Le propre d'une idée, c'est d'être débattable. Je n'ai rien contre ta personne, Mathiew. Elle ne m'intéresse pas. Fait curieux, étant donné que tu es un blond aux yeux bleus, fit Red, intrigué. C'est peut-être ce qui te froisse... Que ton cul ne me titille pas.
Le coup partit tout seul. Les quatre fers à l'air, la mâchoire en feu, sonné, Red peina à s'éclaircir les idées. Le salopard lui avait servi une droite magistrale. La douleur et le goût ferrugineux présageaient un hématome laid. Du sang dans sa bouche... Mathiew réalisait-il qu'il venait d'attenter à ses propres jours ?
Le metteur-en-scène fut satisfait du tableau de Red, prostré au sol. Le coup les avait calmés tous deux. Il se sentait soudain mieux. Il dut se relâcher trop vite, car un feu follet se matérialisait devant ses yeux, le poussait brutalement jusqu'au mur, enroulait un câble électrique autour de son cou, serrait. Fort.
Le sourire rouge, Red se passa une langue sanglante sur les dents, puis cracha du sang sur le côté. Il revint à l'homme qu'il étranglait, hilare. Ou hystérique.
— Tu m'as frappé au visage, ducon ! C'est un visage à dix millions de dollars. Tu le réalises ou pas ?
Des mains le saisirent aux épaules. On l'éloigna de sa victime. Il fallut le maintenir au sol. Korgan, tendu, et Jeff, scandalisé, ne furent pas trop de deux pour le maîtriser. Ils avaient déjà tourné leurs séquences et décidé que, pour la paix dans le monde, Red passât le dernier. De toute évidence, cela n'avait point suffi.
— Putain, Mat, vous ne pouvez pas discuter sans en venir aux mains ?! le tança Jay.
— Ce malade a failli me tuer, c'est tout ce que tu trouves à dire ? s'indigna Mathiew. (Il était l'agressé, bordel de merde !)
— Tu l'as frappé au visage, merde ! On frappe Red partout, sauf au visage !
— Hey ! protesta Red. (Qu'insinuait Jay ?) C'est bon, Kor, Jeff, lâchez-moi ! Sa tête d'ahuri m'a passé l'envie de l'étriper.
Il se dégagea avec brusquerie de la prise de ses acolytes et darda un regard fielleux sur Mathiew. Un soupir plus tard, ce fut comme s'il n'avait jamais été en colère.
— Désolé, si tu as cru finir dans un cercueil, dit-il avec nonchalance. Il m'en faut plus pour envoyer quelqu'un à la morgue. Mais la prochaine fois que je demande qu'on discute, tu sauras qu'il faut discuter.
Il semblait s'adresser à un attardé mental, possédant malgré tout quelque faculté cognitive.
— Il n'y aura pas de seconde fois !
Red s'impatienta.
— T'es relou ! Tu m'as frappé à cause d'un commentaire que tu as jugé déplacé. Je gagnerais si je portais plainte pour coups et blessures.
— Tu m'as étranglé ! coassa Mathiew, incrédule. (Il prit les autres à parti en se massant le cou.) Il m'a étranglé !
Red haussa les épaules.
— Tu me marques, je te marque. On est quittes. Et encore, j'ai pas l'impression que ce soit fairplay. Ta frimousse n'apparaît pas dans le clip et tu ne chantes pas. Je me paye une blessure dans la bouche. En passant, je doute que ton avocat soit aussi bon que le mien. Restons-en là.
Le cabinet d'avocats qui traitait les affaires scandaleuses de Red Kellin employait des pointures. Hélas, il n'était plus en mesure de s'offrir leurs services sur un coup de tête. Il cracha à nouveau. Sa salive n'avait pas décoloré. Sa langue et la muqueuse à l'intérieure de la joue s'étaient ouvertes. Il se souviendrait de cette droite. Il se rendit à un point d'eau.
Mathiew ne s'attarda plus. Il partait. Décision irrévocable. Il rangea ses affaires en grommelant ; les plus petites. Il reviendrait prendre le reste plus tard. Arrivé à la porte, il tomba nez à nez avec la dernière personne qu'il voulait voir.
— Tu t'en vas vraiment ? demanda Red. On est quasiment à la fin. Il te reste tout au plus deux clips à tourner, dont un déjà entamé.
Le metteur-en-scène le regarda fixement. La nonchalance de Red, adossé au linteau de la porte, masquait mal sa tension. Mathiew n'eut même pas la force de jubiler.
— Adieu, Red.
Avec lassitude, ce dernier lui sourit et libéra le passage.
— Dommage. Jusque-là tu avais fait du bon boulot. On était juste incompatibles.
Mathiew marqua un temps d'arrêt, se fustigeant d'avoir montré l'impact de ces paroles. Le ton apathique ne les départait pas de leur sincérité.
— Je persiste à croire que le problème ne venait pas de moi. Mon jeu d'acteur est irréprochable quand on travaille d'un commun accord.
Mathiew renifla, dédaigneux. Malgré tout, Red disait vrai. Ils rejouaient une scène à cause d'un figurant mal placé ou un problème technique. Pas à cause de Red. Mais il avait dit adieu. On l'attendait devant sa voiture. Le sourire de Jeff sentait le vice du gamin sur le point de perpétrer un mauvais coup. Il sauta dans sa décapotable, garée à côté, et démarra le moteur.
— Pour tes clés de voiture, tu attendras mon retour, dit-il avec un clin d'œil.
Après avoir brandit lesdites clés, le bassiste disparut sur des chapeaux de roue. Atterré, Mathiew se demanda s'il devait s'énerver ou rire... jaune.
— Vaut mieux avoir un problème avec Red qu'avec Jeff, fit une voix dans son dos. (Mathiew se retourna sur Korgan.) Avec Red, tu peux le régler dans l'instant ou l'heure qui suit. Il viendra toujours renouer le dialogue. De façon maladroite certes, mais le cœur y sera. Jeff est un renard. On ne gagne rien à se le mettre à dos, si ce n'est des rides supplémentaires. Le souci, c'est quand on a un problème avec Red, on en a automatiquement avec Jeff.
— Et avec le guitariste, renchérit Mathiew, acrimonieux.
Que lui voulait Korgan ? Il n'était vraiment pas d'humeur !
— Pas du tout. Moi, je préfère observer de loin et me délecter du spectacle. J'en viens parfois à regretter le manque de pop-corn. C'est dommage, on retiendra de vous que vous avez claqué la porte au nez des Beat'ONE, lors de la production de RENOVATIO.
Mathiew ricana, mauvais. La confiance du guitariste était si dérisoire...
— Mes productions sont regardées partout dans le monde. RENOVATIO n'aura été qu'une perte de temps !
Korgan s'en amusa.
— Bonne chance avec la descente aux enfers, lorsque la presse fouinera dans les coulisses. Red est en train de tourner. Votre équipe continue le travail.
Mathiew se hérissa.
— C'est mon matériel !
— Ça me fait une belle jambe ! Votre équipe ne partage pas votre opinion, apparemment. À votre place, j'éviterais de me l'aliéner. Vos techniciens sont sine qua non au travail dont vous vous vantez tant. La véritable perte serait peut-être celle-là.
*o*o*
TBC ► EPISODE11 – part 3
*MEDIA*
Intro vidéo : Bad Intentions- Digital Daggers. Sans doute ce qu'il se passe entre Mathiew et les Beat'ONE.