Pendant que Valkyon et les Obsidiens s'occupaient du départ des Conseillers, Miiko me demanda de la suivre. Ezarel, Nevra et Sirul nous accompagnèrent également.
J'étais un peu chamboulée par ce qui venait de se produire. Je ne comprenais pas la réaction de ces trois membres du Conseil. Ils m'avaient agressé sans aucune pitié. Si Sirul n'avait pas été là, je serai sans doute déjà en route vers le palais du Conseil. Était-il vraiment prêt à tout pour m'avoir ? Moi, Denara, simple membre de la garde absynthe ? Était-ce une question de sang? J'avais du sang de phœnix et d'elfe lunaire en moi. Purreru m'avait dit que c'était des races assez puissantes. Même si c'était le cas, les Conseillers n'avaient aucun droit sur moi.
Lorsque nous arrivâmes dans la salle du cristal, Miiko me dit que je devais quitter la garde le temps qu'ils règlent les choses. Je devais m'éloigner de la cité d'Eel.
J'étais un peu choqué par la manière dont la garde comptait régler le problème.
« Où irai-je ? hurlai-je. Et puis pourquoi s'acharnent-ils sur moi ? »
Elle m'expliqua tout ce que j'avais à savoir. Le Conseil voulait la main mise sur moi car j'étais, selon eux, une Elue. Apparemment, l'Oracle et moi avions le même type de pouvoir. Ou tout du moins j'étais censée bénéficier de la même force qu'elle. Pour l'instant il n'en était rien. Je n'étais qu'une simple hybridation des phœnix et des elfes lunaires. Mais cela ne freinait pas le Conseil à poursuivre cette quête. Je n'avais pas encore atteint l'apogée de ma magie et j'en étais loin, mais cela leur importait peu.
— Denara, Sirul nous a parlé de tes parents. Nous nous sommes dit, avec Ezarel, que tu pourrais les rejoindre pour l'instant. Nous organiserons ensuite ton accueil à Castellum si cela est nécessaire. Le chef Delion se fera un plaisir de t'accueillir. Il semblerait que sa cité a toujours eu de forts liens avec Luminara.
J'étais perturbé par la situation. Rencontrer ma famille était une chose. Allez vivre avec eux en était une autre. J'avais l'impression qu'on me prenait pour une enfant. On était en train de décider à ma place.
— Je voulais rencontrer mes parents biologiques mais pas de cette façon. De plus nous ne sommes pas sûrs du fait qu'ils se trouvent près de Brelissa. Et puis vous allez vraiment m'envoyer là-bas, seule? Vous savez que je ne connais pas tout à fait les lieux. Eldarya est trop vaste et je n'en ai pas vu grand-chose.
— Tu n'iras pas seule. Ezarel t'accompagnera jusque-là, pour s'assurer que tu atteignes ta destination Nous devons aussi être certains que nous pouvons faire confiance à ta famille. Quand ça sera fait ton chef regagnera la cité et nous te contacterons par la suite pour organiser ton voyage vers la forteresse de Castellum, si cela est ton désir.
Mon désir. La kitsune semblait s'améliorer mais ce n'était pas suffisant.
— A t'entendre c'est hyper simple ! Je vais me pointer devant mes parents en leur disant « Salut je suis de retour ! Vous vous souvenez de moi ? Je n'étais qu'un bébé quand vous m'avez abandonné.» J'ai besoin de réponses mais là vous me prenez au dépourvu. Je vais les rencontrer parce que je dois fuir !
— Denara, ne t'en fait pas, ils seront heureux de te revoir. Le simple fait de voir ton doux visage les remplira de joie. Tu ressembles tellement à ta mère qu'ils sauront que tu es leur fille sans même que tu le dises, s'empressa de dire Sirul. Sache juste qu'ils ne t'ont pas abandonné par choix. Garde ça en tête et ça te facilitera la tâche.
— Ce n'est pas une question d'être content ou pas de me voir. Ce genre de chose ça se prépare.
— Dena ce n'est pas discutable, ajouta Ezarel. On n'a pas d'autres choix. Tu ne t'imagines pas le pétrin dans lequel Miiko s'est mise. Le Conseil est prêt à tout pour t'avoir. Si tu n'es plus à la garde, nous pourrons tenter d'arranger les choses sans que Miiko en pâtisse.
— Je...
— Merci Ezarel. Denara tu dois savoir que le Conseil n'a jamais été d'accord pour mon élection. Yonuki Kazehe m'avait désigné comme son successeur. La décision lui revenait à lui, donc j'ai pris sa place quand il est mort. Le Conseil maintient les relations entre les différentes Citadelles. Il jouit aussi de certains droits mais pas de celui de mettre qui il souhaite à leur tête. Si nous n'arrangeons pas les choses, il fera en sorte de me mettre sur la touche d'une façon ou d'une autre. Ils useront de mensonges pour me faire destituer. Sais-tu que si, pour une quelconque raison, j'étais emprisonnée par le Conseil, je n'aurais plus le droit de diriger la cité ?
— Mais tu n'as rien fait.
— Je n'ai rien fait mais les Conseillers peuvent très bien me calomnier. Et s'ils ne me destituent pas de cette manière, ils pourraient s'en prendre à vous, les gardiens d'Eel pour me faire abdiquer.
— Mais c'est horrible ! Pourquoi faites-vous partie de cette organisation ?
— Ce sont mes prédécesseurs qui ont choisi d'en faire partie. Je ne peux pas rompre les liens sans que les autres Citadelles le fassent. Le Conseil pourrait très bien obliger les autres refuges de mener une attaque contre nous. Mais Denara, comprend moi. Ce n'est pas contre toi. Je veux juste être sûre que les gardiens d'Eel, toi comprise, soyez en sécurité. Je sais que tu as du mal à le croire mais tu as autant d'importance pour moi que les autres gardiens. S'il y avait une autre solution, j'aurais opté pour elle, mais ce n'est pas le cas.
Je comprenais mieux sa démarche. Et je lui étais reconnaissante de ne pas faire de moi une laissée pour compte.
— D'accord je ferais ce que tu me demandes alors. Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quoi que ce soit. Mais j'y pense, Castellum ne serait pas en danger en m'accueillant ?
— Si nous faisons ça dans le secret, le Conseil ne saura pas que tu t'y trouves. Nous t'envoyons d'abord auprès de ta famille pour laisser le temps au Conseil de fouiller la forteresse des eaux de Castellum. Après notre Cité, le fort sera sans doute le second lieu vers lequel se dirigeront les Conseillers.
— Si c'est pour vous causer des troubles, il serait sans doute préférable de me livrer. Vous ne croyez pas ?
— On n'abandonne pas les nôtres, me rappela Nevra.
— Tu devrais te mettre ça dans le crâne une bonne fois pour toute Dena, ajouta Ezarel.
Tu sembles toujours étonnée quand on prend ta défense, se moqua Ezarel.
Je les regardai tour à tour sans rien dire. Je m'étais fourvoyé durant ces dernières semaines. On me considérait comme une membre à part entière de la garde.
— Et bien, je crois que tout est réglé. Va préparer ton sac, vous partez ce soir. Les Conseillers quitteront la cité à l'aube. Il vaut mieux que vous soyez partis avant eux pour que vous ayez de l'avance. J'ai veillé à ce que vous empruntiez un chemin différent du leur, mais on n'est jamais trop sûr.
J'acquiesçais de la tête. Miiko nous donna rendez-vous une heure plus tard à l'orée de la forêt. Sirul serait là lui aussi. Elle nous conseilla de prendre le chemin secret depuis la cave vers la plage.
Ezarel et moi-même sortîmes de la salle, laissant Miiko et Sirul derrière nous. Nous nous dirigeâmes vers les quartiers des absynthes. Il vérifia si ça allait, si je n'avais pas été trop blessée lors de mon combat contre Loras. Mais je n'avais rien. Pas une seule bosse, pas un seul hématome, pas un seul os fracturé. Après avoir fait sa petite vérification, il me quitta sur le pas de ma porte.
Lorsque je pénétrai à l'intérieur dans ma chambre, je découvris un mot qui avait été glissé sous ma porte. Je dépliai celui-ci aussitôt. C'était un mot d'Onyx. Il me remerciait d'avoir pris soin de lui. Il me demandait si je voulais boire un verre à la Dryade Exaltée avec lui dans les prochains jours. J'étais un peu déçue de savoir que je devais partir la nuit-même.
*
* *
Je terminai de préparer mon sac quand on toqua à ma porte. Ezarel n'attendit pas que je l'invite pour faire irruption dans ma chambre.
— Alors tu es prête ?
— Comme tu le vois, je me suis changée et mon sac est fait, lui répondis-je en désignant le sac ouvert sur mon lit.
— Je vois ça. Du coup on peut y aller ?
— Je dois juste régler quelques petites choses avant.
Je me dirigeais vers mon bureau et en sorti deux petits parchemins. Le premier était pour Chrome, l'autre pour Onyx.
— Ezarel, tu penses que c'est possible que je prenne Aiolia avec moi ?
— Pour l'instant il est préférable que tu le laisses ici selon moi. La forêt est assez dangereuse par endroit. Si on doit veiller sur lui en plus de nous, on ne s'en sortira pas.
— Et comment il va se nourrir ? Tu sais il se nourrit de mon maana. Même si c'est devenu assez rare, ça serait étrange que quelqu'un le fasse à ma place non ? Je crois que quelqu'un lui sert de réservoir à maanas en dehors de moi. Tu penses que c'est possible ?
— En fait, j'ai pu l'observer quelques fois dans les jardins. Je ne pense pas qu'il se nourrisse du maana de qui que ce soit. Et c'est devenu plus rare avec toi car il a trouvé une nouvelle manière de se nourrir.
— Comment ? lui dis-je étonnée
— Il se nourrit du maana qui se trouve dans la terre et les plantes.
— Et moi qui étais jalouse. Je vais pouvoir le laisser ici en ayant la conscience tranquille. Bien que...non sérieux Ezarel je ne peux pas le laisser.
— Dena tu sais qu'il est en sécurité ici. Le moment venu on te le rapportera s'il le faut mais en ce moment ce n'est pas possible.
— On est connecté ! Tu peux comprendre ça ? Quand j'allais mal ce n'était pas grâce à toi que j'allais mieux, ni grâce à personne d'autre. C'était lui qui rendait les choses plus supportables!
— Sérieusement Dena ? La plupart des personnes établissent un lien avec leur familier, ça ne les empêche pas de les laisser pendant des missions qui durent plusieurs semaines.
— Je ne suis pas les autres personnes !
— Dena je t'assure que ça va bien se passer. On s'occupera de lui. Maintenant il est temps de partir.
Je soufflai puis attrapai une plume. Sur le premier parchemin, j'écrivis à Chrome.
« Chrome, je quitte la garde en urgence. Je risque d'être absente pendant un long moment donc j'aimerais que tu t'occupes d'Aiolia si ça ne te dérange pas. Si ce n'est pas possible, tiens le temps qu'Ezarel soit de retour au QG. Il s'en chargera bien. Prend soin de toi. — Denara — »
— Content ? J'imagine que ça ne te posera aucun problème de t'occuper d'Aiolia ? lui dis-je en lui montrant le mot.
— Un familier pareil doit avoir une personne parfaite pour s'en occuper. Quelqu'un comme moi, me lança-t-il malicieusement.
— Est-ce que tu veux dire que je ne mérite pas de l'avoir ? riais-je
— Non, non, se moqua-t-il.
Ezarel trouvait toujours le moyen de faire passer ma colère. Il me faisait beaucoup rire. Je retournais à l'écriture.
— J'écris le second mot et je serais prête, lui dis-je en relevant la tête.
— A qui dois-tu écrire ?
— A Onyx.
J'entrevu une expression étrange sur son visage avant qu'il arbore de nouveau son sourire taquin.
— Tu sais il y a d'autres personnes qui pourront changer ses bandages. Eweleïn par exemple.
— Il va beaucoup mieux. Ça n'a rien avoir avec ses bandages. Il m'a invité à boire un verre avec lui dans les jours prochains. C'est pourquoi j'ai décidé de lui écrire.
Ezarel ne dit rien et moi je retournai à la rédaction de ma réponse.
« Onyx, je te remercie pour ton invitation. Ça ne sera sans doute pas possible de se voir dans les prochains jours car je dois quitter la garde d'urgence. Mais ça me ferait plaisir qu'on remette ça à une prochaine fois. Je ne sais pas quand je reviendrais mais on se tient au courant dès mon retour. Prend soin de toi — Denara — »
— Je ne savais pas qu'il y avait quelque chose entre vous.
— On est amis, c'est tout. Il sait écouter et donner de bons conseils.
Je ne compris pas trop pourquoi mais l'ambiance semblait différente. Je décidai de ne pas y prêter attention.
— Bon on devrait y aller, dis-je.
Je me dirigeais vers mon lit, m'habillais de ma cape et rangeais les deux mots dans la poche de celle-ci. J'attrapais mon sac et le refermais. Nous sortîmes de la pièce et nous nous dirigeâmes vers la cave.
*
* *
Sur le chemin, je faisais l'inventaire du contenu de mon sac pour être sûre que je n'avais rien oublié. J'avais prévu trois tenues de rechanges, une orbe-globe, une pierre boussole, une couverture, une flasque, quelques potions qui me semblaient utiles, un cahier, une plume magique, etc. Ezarel s'était occupé des rations. Il me les donnerait plus tard.
J'avais ajouté une pierre d'extension à celui-ci pour étendre l'espace à l'intérieur. C'était une invention de l'équipe spéciale.
Une fois arrivés dans la cave, nous priment le couloir opposé à celui de la cave immergée. Nous marchâmes pendant quelques centaines de mètres avant d'atteindre la plage.
Lorsque nous arrivâmes à l'orée de la forêt, nous vîmes Miiko, Leiftan et Sirul. Miiko nous donna quelques indications et nous fournit une carte sur laquelle un itinéraire avait été tracé. Elle nous fournit aussi à chacun une fiole qui semblait remplit d'un liquide bleuâtre.
Je secouais le contenu, en essayant de comprendre ce que c'était.
— C'est quoi ?
— Ce sont des fées souffleuses, me répondit Ezarel. Cet enchantement va nous permettre de communiquer avec la garde.
— Ah, je vois, dis-je.
Je n'étais pas encore avancée quant à l'utilisation de cette magie mais nous avions quelques jours de marche. Je pourrais questionner Ezarel durant le trajet.
Ezarel discuta du chemin à prendre avec Leiftan et Sirul pendant que Miiko me demanda de la rejoindre un peu plus loin.
Nous nous éloignâmes un peu, mais pas trop, pour qu'on puisse voir les garçons..
— Denara, je sais que ce n'est pas facile et je me doute bien que l'explication que je t'ai donnée plus tôt n'est pas suffisante pour toi. Mais je sais des choses que tu ignores. Si le Conseil ne me voulait pas à la tête de la garde ce n'est pas uniquement à cause de mon manque d'expérience. Je me suis déjà opposée à certaines décisions de la garde et ai tenté par tous les moyens d'empêcher leurs plans de se réaliser. J'ai vécu plusieurs siècles et j'ai commis des erreurs. J'ai eu quelques moments de faiblesses. J'ai perdu des êtres qui m'étaient cher. Ma meilleure amie était comme toi.
Je sentais l'émotion dans sa voix. Elle devait être très attachée à elle. J'attendais d'en entendre plus sur ce qu'elle avait à me dire.
— Les pouvoirs d'Elis étaient trop grands pour ce monde. En tout cas, c'est ce que la garde et le Conseil pensaient. Il fallait arrêter sa puissance de s'accroître. Elle avait refusé de se soumettre, comme Neriel l'avait fait des siècles plus tôt. Alors ils l'ont obligé, à l'aide d'un sort, à se défaire de sa magie. Quand tu défais de ton maana, tu...
— ...meurs, ajoutais-je.
Elle acquiesça d'un signe de tête. Je n'avais jamais vu Miiko aussi vulnérable.
— En tout cas, c'est ce qui est censé se passer pour n'importe quel Faery mais pas pour les Élus qui ont du sang d'elfe lunaire dans leurs veines. LeurSon corps est en sommeil et leurson esprit est enfermé dans une prison de maanas. Une prison faites de leurson propre maana. La sienne, je la transporte tous les jours, me dit-elle en désignant sa lanterne.
Ça me rappelle que je n'ai pas été capable de la protéger. Je l'ai conduite à sa perte en réalité. Si je n'avais pas été là, elle aurait sans doute déchainée sa puissance et plus personne, dans cette cité, n'aurait été là pour en témoigner.
Avec Delion, nous avons fait notre possible pour que le Conseil ne te voie pas comme une Elue mais ça n'a servi à rien.
— Et je t'en remercie Miiko. Tu sais, ce n'est pas de ta faute s'ils s'accrochent à cette idée.
Et s'il devait m'arriver quelque chose, tu n'as pas intérêt à t'en vouloir. Surtout que je n'ai pas l'impression que les Conseillers abandonneront d'aussitôt.
— On fera ce qu'il faut pour qu'ils abandonnent. Je n'accepterai pas que quelqu'un d'autre subisse ce qu'Elis a vécu.
Nous rejoignîmes les garçons. Ezarel réglait les derniers détails. Avant de partir, je demandais à Sirul à quoi ressemblaient mes parents et il me les montra grâce à sa magie. Miiko me choqua en me serrant de ses bras. Elle me dit que je pouvais partir tranquille. Mais je n'étais pas rassurée pour autant. Je donnais mes deux lettres à Leiftan pour qu'elles parviennent à Onyx et Chrome.
Nous quittâmes les trois Faeries là où nous les avions retrouvés.