Passé
L'appartement est plongé dans le noir quand j'y pénètre.
Malone ne doit pas être encore rentré de ses cours car le silence règne. Des fois il ne prend pas la peine d'éclairer et je le retrouve dans la pièce bureau qu'il a emménagé en mini studio avec platine et tout le matériel dont il a besoin pour créer ou répéter. Il m'a même installé un grand miroir qui court tout le long du mur du fond avec une barre pour que je puisse moi aussi m'entraîner.
Combien de soirées, quand il ne mixe pas dehors nous avons travaillé, lui sur la création d'un nouveau morceau, moi sur mes chorégraphies avant que cela ne se termine en partie de jambe en l'air directement sur le parquet ou sur la table de mixage.
Je l'appelle toutefois en me dirigeant vers le couloir qui mène à la partie nuit. J' ouvre la porte du bureau afin de vérifier, car combien de fois, j'ai surpris Malone alors qu'il avait son casque vissé sur les oreilles et qu'il ne m'a pas entendu arriver, mais la pièce est vide, je referme le battant et passe à celle de notre chambre.
Je me débarrasse de mes affaires, quitte mes vêtements et je me dirige vers la salle de bain attenante pour prendre un bain.
La mousse couplée à la chaleur de l'eau, à la douce musique que j'ai mis sur mon portable m'aide à me détendre. Un peu trop, car je me réveille en sursaut, l'eau est froide et les bougies sont éteintes. Je regarde l'heure sur mon iPhone et je pousse un cri en voyant que cela fait plus de trois heures que je barbote.
A ce rythme je vais avoir les doigts palmés, et des nageoires vont pousser.
Je tends l'oreille et du bruit venant de la cuisine me fait sourire. Étrange qu'il ne soit pas venu me rejoindre ou me réveiller. Mais mon Dj de mes nuits peut être imprévisible. Trop souvent depuis quelques jours. Malone est rentré et il doit certainement nous préparer le repas. Je me dépêche de sortir de l'eau, en frissonnant, super, attrape une serviette de bain sur le porte serviette chauffant, je m'enroule dedans et sans prendre la peine de passer autre chose, ni me sécher les cheveux. Quand je rejoins la chambre, mon regard est attiré par les portes coulissantes qui séparent le dressing de la partie nuit qui sont grandes ouvertes. Un bazar qui n'y était pas ce matin me fait tiquer. Le côté de Malone est en bordel. Plus que d'habitude, je précise. Soit il ne m'a pas dit qu'il devait partir quelques jours, comme cela peut arriver, soit j'ai la mémoire qui me joue des tours et j'ai oublié une information importante. Je ne tergiverse pas plus longtemps et me dis que le plus simple est que j'aille le trouver pour avoir des explications.
Je me retiens au mur du couloir, les pieds nus mouillés sur un parquet ciré n'est pas l'idée du siècle, puis je prends le temps de détailler mon mec. Il est de dos, penché sur le plan de travail entrain d'écrire sur une feuille de papier, il ne m'a pas entendu arriver en mode bulldozer et pour cause, son portable est collé à son oreille et il a l'air très concentré sur ce que son interlocuteur lui raconte, mais cela ne l'empêche pas de continuer à écrire.
A pas de loup, je me rapproche, et quand j'estime que je suis proche, je passe mes mains autour de son torse, cale ma tête dans son cou pour respirer son odeur, le faisant sursauter et lâcher son portable au passage. J'entends, sans vraiment distinguer les paroles, mais j'ai bien reconnu la voix de Neal.
Malone se tend et s'empresse de froisser la feuille de papier pour en faire une boulle.
Étrange.
— T'es pas venu me rejoindre.
Ce n'est pas une question, ce n'est pas non plus un reproche. Mais Malone le prend comme tel.
Il est nerveux, je le connais assez pour le décrypter.
— Désolé mais j'avais plus urgent à faire.
Surprise du ton qu'il emploie, ainsi que par la dureté de sa réponse, je détache mes mains de son corps afin de le contourner, car apparemment monsieur a décidé de ne pas faire l'effort de me regarder quand il me parle.
Décidément il agit vraiment étrangement. Ce n'est pas du tout le Malone que je connais depuis quatre ans.
— Un problème ? Questionné-je sur le même ton que lui.
Malone souffle, baisse le regard pour éviter le mien je suppose.
La danse m'a appris la patience et la persévérance alors je mets à profit cet enseignement pour ne pas le brusquer. Je sais parfaitement que quand il ne veut pas dire ou faire quelque chose, il ne faut pas insister et attendre que cela vienne de lui, mais là je suis trop nerveuse et en colère de son attitude pour jouer à la gentille petite amie.
— Malone ? Je viens de te demander s'il y avait un problème.
Quand il relève son visage vers le mien, ce que je peux y lire me coupe la respiration. Ses pupilles sont rouges, ses cheveux sont tellement emmêlés qu'il a dû y passer les doigts des milliers de fois, sa mâchoire est contractée, mais malgré tout ça, une expression de tristesse efface tout les reste. Une expression qui me broie le cœur. Je m'approche pour caresser sa barbe de trois jours qui ombre ses joues, mais Malone a un mouvement de recul qui me blesse plus que s'il m'avait frappé. Je laisse tomber mon bras le long de mon corps. Je commence à avoir froid, il le voit, mais ne fait rien pour me réchauffer. je me sens comme une idiote vêtue seulement d'une minuscule serviette en coton. Encore ce matin, il m'aurait pris dans ses bras, m'aurait câliner, fait l'amour, mais là en face de moi, ce n'est pas mon Malone, ce n'est pas l'homme qui a fait chavirer mon cœur et mon âme. Celui à qui j'ai tout donné, celui à qui j'ai permis de tout me prendre sans concession et je commence à le regretter. Car tout au fond de moi, je la sens cette déferlante. Celle qui va tout détruire sur son passage. Celle qui va m'anéantir pour le restant de mes jours.
Pourtant je ne dis rien.
— Je...
Il commence, me fixe, s'arrête. Enfoui son visage entre ses bras sur le comptoir.
— Malone ? mon ton n'a rien de doux.
Il ne bouge pas.
Je prends le temps de l'étudier et je remarque qu'il porte toujours sa doudoune, que son iPhone est toujours au sol mais qu'il n 'émet plus aucun bruit, Neal a dû se lasser. C'est bien lui ça !
Puis mes yeux pris par une frénétique envie de détailler encore plus mon environnement, se posent sur deux valises, ainsi qu'un gros sac de sport, qui attendent bien sagement dans le salon, d'être emmenés je ne sais où par leur propriétaire.
Mes prunelles commencent à s'embuer. J'ai de plus en plus froid. La colère qui monte en moi ne me réchauffe pas.
— Putain mais tu vas parler ! Hurlé-je à bout de patience face à son mutisme.
Je le secoue par le bras, je ressemble à une hystérique mais je m'en fou. Une folle en serviette de bain trop courte, avec les cheveux qui me tombent devant les yeux.
Je n'ai plus froid du tout. La haine, la colère, l'incompréhension, enfin, le semblant d'incompréhension, parce qu' au contraire je comprends trop ce que Malone n'ose pas me dire. Moi même je ne peux le prononcer sans que ma gorge ne se transforme en brasier et mon ventre ne se torde sous la douleur me servant de vêtements.
Et puis le dire à voix haute rendrait la chose réelle. Et je ne suis pas capable de l'affronter.
Toujours aucune réaction. Alors je le secoue plus fort, je crie plus fort aussi, fuck les voisins, pour le faire réagir.
— Dis-le. Arrête d'être lâche Malone.
Je crache ses mots. Les envois comme des flèches empoisonnées. Je veux l'atteindre, qu'il est mal comme moi.
Il relève ses iris brillants pour les plonger dans les miens.
— Où avais tu caché ce côté méprisable Malone pendant tout ce temps ? craché-je dégouter de cette personnalité que je ne connais pas. Me suis-je tromper à ce point sur ton compte ? Toutes ses années passées ensemble ne sont que que du fake ? Mais putain, c'est acteur que tu aurais dû faire... pas DJ.
Il tressaille, mais reste mutique.
Je tiens. Je retiens mes sanglots. J'ai encore ma fierté. Je m'effondrerais plus tard, quand il ne sera plus là pour me voir, mais pour l'instant il est hors de question qu'il me voit comme une fille fragile. Je ne vais pas lui faciliter la tâche de pouvoir partir comme un voleur sans aucune explication, ou simplement griffonner un mot sur une feuille de papier, comme il avait l'intention de le faire.
Notre amour ne vaut-il pas plus que quelques mots griffonnés sur une vulgaire feuille ? Ma question intérieure reste en suspens car c'est ce moment que choisit Malone pour l'ouvrir.
— Je suis désolé Astrid.
J'ouvre la bouche pour en sortir un son, mais au lieu de mots, c'est un rire cruel qui éclate.
Malone me détaille, il pleure, enfin je crois parce que derrière mes larmes d'amertume, je crois apercevoir des gouttes d'eau salées glisser le long de ses joues.
— Tu es désolé ? fais-je sans cesser de rire. C'est ça ta putain d'explication ? Et pour quoi au juste es-tu désolé Malone ?
— Pour tout.
Trop simple.
— Soit plus précis.
Nous sommes proches l'un de l'autre. Malone est debout à présent et me domine de toute sa hauteur. Il regarde partout sauf vers moi. Je me retiens de lui sauter dans les bras, de me blottir contre lui...c'est un mauvais rêve... ou plutôt un cauchemar...
— Regarde moi au moins Malone... à défaut d'avoir les couilles de me parler.
Ma vulgarité le surprend car il dirige son regard vers moi.
— Qu'est-ce que tu veux que je dise de plus ?
Je reste sans voix devant cette mauvaise fois evidente.
Il frotte son visage, puis ses doigts tirent sur sa chevelure. Il me dévisage comme s' il voulait imprégner mes traits à tout jamais. Il amorce un geste pour caresser ma joue, mais se ravise au dernier moment. Je remarque seulement que des cernes immenses mangent son visage. Son téléphone annonce un message, il se baisse pour le ramasser et quand il le retourne je peux lire le début... et mon intuition se confirme, un Uber l'attend en bas de notre immeuble. Il le glisse ensuite dans sa poche sans même lire le message en entier. Malone fait un pas dans la direction de ses bagages, je ne voulais pas lui abandonner l'image d'une femme détruite... et pourtant... je hurle, je le supplie de ne pas partir, de me donner des explications, je le retiens par le bras quand maintenant il se dirige vers l'entrée de notre appartement.
Malone prend une grande inspiration.
— Arrête Astrid. Ma décision est prise, claque-t-il d'un ton acerbe en détachant mes doigts des siens. Je suis désolé.
— Arrête de dire que tu es désolé merde ! Regarde moi au moins dans les yeux... répété-je à bout de souffle et d'amour.
Sauf qu'il ne le fait pas... il ne le fera pas. Car il part s'en se retourner... comme un lâche.
La porte claque... et le silence revient... pesant, suffoquant... mortel.
C'est terminé, Malone est parti, sans un mot, sans une explication... il m' a quitté, non, m'a abandonné comme on se débarrasse d'une chose sans importance.
La nuit envahie l'appartement, le noir déferle comme une vague, m'engloutissant au passage.
Je ne respire plus, Malone m'a tout pris, jusqu'au tréfond de mon âme, jusqu'à m'ouvrir la poitrine pour piétiner mon cœur. Malone était ma vie, ma boussole, mon ancre... Malone n'est plus... je ne suis plus... rien.