Où ils planquent ✓

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Une fois sa douche prise et Savane déposée chez Wyatt, Shiloh laisse Elijah les conduire jusque devant chez Aaron. La rue est calme. Un homme qui jogge, une fillette qui promène un chien aussi haut qu'elle, un couple de retraités qui avance à petits pas en se tenant le bras. Autant dire rien à signaler.

— J'espère qu'il est pas sorti, fait Elijah en coupant le moteur.
— C'est un ado, rappelle Shiloh. Et l'école à repris. Ce serait bien notre veine de tomber sur le seul gamin qui ne profite pas du dimanche pour faire la grâce mat'.

— Qu'est-ce-qu'on espère trouver en planquant ici, déjà ? interroge l'homme en faisant pivoter son siège pour se retrouver face au garde-manger qu'il a soigneusement préparé avant de venir.
— J'espère qu'il sortira et qu'on pourra repérer l'homme qui le suit. Mais... qu'est-ce que tu fais ?

Sous son regard incrédule, Shiloh voit Elijah sortir sa guitare d'un étui et en passer la bandoulière sur son épaule. De toute évidence, l'homme pense occuper leur temps de planque en jouant un peu.

— Tu ne peux pas faire autant de bruit alors qu'on essaie de passer inaperçu...
Il hausse les épaules, l'air indifférent.
— Je ne comptais pas la brancher et réveiller tout le quartier.
— Mais ça ne change rien... Ça va s'entendre... On ne peut pas...

Un mouvement sur sa droite pousse Shiloh à s'interrompre et à tourner la tête dans cette direction. Une femme de quarante, peut-être cinquante ans, habillée d'un tailleur à l'air coûteux, vient de sortir de l'immeuble d'Aaron. Shiloh ne se souvient pas l'avoir vue entrer ou sortir la veille et s'étonne même qu'une personne à l'allure si chic puisse habiter le quartier. Car, si l'immeuble est plutôt confortable et dénote même dans cette rue, le quartier, lui, ne paie pas de mine.

Elle a vu le prix du loyer de Victoria, et s'il est plus élevé que ce que la jeune femme aurait dû pouvoir s'offrir au vu de son parcours professionnel, elle sait aussi, pour en avoir visité beaucoup avant de dégotter son adorable petite maison, que pour le même appartement dans le même genre de building, mais dans une autre partie de la ville, il serait passé du simple au double. Doutant du fait que le proprio soit simplement du genre bon samaritain, il ne lui a pas été difficile d'en déduire que l'emplacement avait fait perdre beaucoup de sa valeur au bien.

Dans son rétroviseur, Shiloh suit des yeux la femme qui contourne le bâtiment d'un pas énergique et disparaît dans l'allée qui mène au parking situé à l'arrière.
Moins d'une minute plus tard, une berline en sort et s'engage sur la route. Quand elle passe à leur niveau, Shiloh identifie sans difficulté la femme au volant comme étant celle qui vient de sortir du bâtiment.

Elijah, qui s'est assis et a commencé à pincer ses cordes, remarque l'air chiffonné de sa partenaire. Alors qu'il s'attendait à se qu'elle lui intime de ranger son instrument, elle semble au final ne même plus faire attention à lui.

— Un problème ? s'enquiert-il en cessant de jouer et en jetant à son tour un regard prolongé sur la route.
— Non... rien. Enfin, rien d'important, se reprend-elle en tournant le visage vers lui alors qu'elle ne comprend pas ce qui la dérange dans ce qu'elle vient d'observer. Tu vivrais ici ? interroge-t-elle sans entrain. Si tu... avec des... enfin...

Elle fronce les sourcils. L'espace d'un instant, elle a oublié qui elle avait à côté d'elle et elle a commencé à lui poser une question idiote comme elle l'aurait fait avec Dustin. Ce qu'elle a voulu formuler, c'est « Vivrais-tu ici si tu étais riche ? Si tu avais les moyens de t'acheter une berline et de t'habiller avec des complets griffés ? » Sauf que l'homme à ses côtés n'est pas un petit flic sans ambition, mais une star internationale qui, ça lui parait évident, a effectivement les moyens de se payer ces trucs.

Elijah, malgré tout, n'est pas un homme compliqué, et s'il n'est pas sûr de ce qu'aurait dû être la suite de cette phrase que l'inspectrice semble avoir tant de mal à prononcer, il choisit de répondre à la première partie de celle-ci.

— Hmm, l'appartement qu'on a vu hier était bien décoré, confortable. Il semblait moderne et j'aime assez l'idée d'entrer par le balcon, surtout qu'il est large et couvert. On doit pouvoir s'y installer pour manger au frais en été. Mais non, je n'aurais aucune envie d'y vivre. Après, je suis sûrement devenu difficile avec l'âge. Aujourd'hui, je n'imagine plus vivre dans une seule pièce, aussi grande soit-elle, mais à 20 ans, j'aurais été fou de cet appart. J'habitais dans bien pire, d'ailleurs.
— Ouais, c'est aussi mon avis, marmonne-t-elle en retour.

Pendant plusieurs heures, tous deux restent à l'affût, bien à l'abri dans la camionnette. La fillette passe trois fois avec son molosse, d'autres sportifs succèdent au premier, une bande d'ados s'arrête plus d'une heure à l'entrée du parking et la discussion ne démarre jamais vraiment entre Shiloh et Elijah. Lui, écrit compulsivement sur tout un tas de feuilles qu'il froisse ensuite avant de les jeter d'un geste rageur dans l'habitacle. Elle, surveille la route, ne quittant que rarement la porte d'entrée de l'immeuble des yeux pour relire les nombreuses notes qu'elle a conservées dans son petit carnet.

Vers 17 h, Elijah l'entend emmètre un bruit proche du grognement qui lui fait relever la tête de la partition qu'il termine d'annoter.

— Faim ?

Elle laisse passer quelques secondes avant de répondre. Le temps nécessaire à ce qu'elle se rende compte que s'il semble attendre une réponse, c'est plus que probablement parce qu'il a posé une question.
Il est dans son champ de vision, bien qu'elle ne soit pas en train de le regarder, et son mouvement de tête quand il s'est tourné vers elle ne lui a pas échappé.

— Quoi ?
— Tu as faim ? répète-t-il.
— Non, ça va.

Les yeux fixés sur le dos d'un homme en train de disparaître dans l'allée menant à l'arrière du bâtiment à la droite de celui où habite Aaron, elle semble hypnotisée.

— Mais va te chercher quelque chose si tu veux. Il y a une pizzeria à 200 m.
— J'ai pas faim non plus, reprend Elijah en scrutant l'endroit qui semble tant fasciner Shiloh. C'était quoi ce grognement ? J'ai cru que c'était ton ventre.
— Quel grognement ?

Elle détourne les yeux une fraction de seconde, cherchant brièvement après ce qui aurait pu grogner autour d'eux bien qu'elle n'ait rien entendu, puis reporte son attention sur le bâtiment voisin.

— Mais c'est toi qui as grogné !
— Hein ?

Une nouvelle fois, ses yeux quittent l'allée dans l'ombre et se portent, cette fois, dans ceux du chanteur. Comme à chaque fois, elle se sent devenir idiote et son pouls s'accélère. Plonger dans ces yeux bleus n'est pas sans risque pour elle.

— Moi ? Non. Je crois pas...
— Je t'assures que si.

Alors qu'elle s'apprête à nier d'une voix bébête, se fustigeant intérieurement de son incapacité à répondre normalement alors qu'elle vient de passer toute une journée en sa compagnie, elle voit l'homme ressortir de l'allée entre les bâtiments et reporte toute son attention sur lui.


***

Hey les gens !

C'est un tout petit chapitre de transition aujourd'hui, mais ne manquez pas celui de jeudi, il va s'y passer plus de choses ;)

La bise

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz