Chapitre 3 - Où ils ne disent pas bonjour ✓

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À son arrivée au poste de police, Shiloh salue Wyatt Pierce, l'agent qui s'occupe de l'accueil.
Âgé de 35 ans, mais en paraissant 25, l'homme au teint blafard semble toujours de bonne humeur. Des cheveux roux et bouclés coupés courts, un nez en trompette et les joues couvertes de taches de rousseur, il ne pourrait cacher ses origines écossaises même s'il le souhaitait.

Dés son premier jour, il est parvenu à mettre Shiloh à l'aise avec son air débonnaire et il a été le premier à lui dire de le tutoyer.
— Salut Wyatt.
— Hey, Shiloh !
— Rien de neuf, ce matin ?
— En fait si. Dustin nous a fait parvenir ses notes concernant le meurtre du concert et on a retrouvé le père de la victime. Il habite dans une zone agricole en dehors de la ville. Un foutu coin reculé, je ne savais même pas qu'il y avait des habitations par-là. On n'a pas trouvé de numéro de téléphone et ça m'étonnerait pas qu'il ne soit pas au courant de ce qui s'est passé hier.
— Merde. Je vais devoir lui annoncer, alors...
Wyatt approuve en grimaçant, apporter ce genre de nouvelles n'est jamais facile et il compatit.

— Dustin est arrivé ?
Il secoue la tête.
— Pas encore. Mais je crois pas qu'il pourra t'accompagner, Grant compte le mettre sur une affaire d'agression qu'on nous a rapportée ce matin.
— Ah... OK. Quand il m'a dit qu'il me laissait gérer l'enquête seule, c'était pas pour rire, alors...
— On dirait bien. C'est chaud pour une première.

Devant l'air désolé de l'agent, Shiloh gomme tout ce qui peut apparaître pour de la contrariété de ses traits. Elle ne doit pas donner l'impression de trouver la tâche trop lourde car, après tout, c'est ce qu'elle est venue chercher ici ; un moyen de prouver sa valeur.

— Oh, non, ça va. Ça fait partie du boulot.
Sur quoi, elle le quitte avec un clin d'œil et se rend à son bureau dans l'open-space. Là-bas, elle trouve seulement deux officiers discutant devant la machine à café. Déjà qu'il n'y a pas grand monde dans cette brigade en temps normal, mais à cette heure de la journée, alors que tout le monde est dehors, ça ferait presque pitié. À sa place, elle trouve quelques documents qui y ont été laissés à son intention, dont l'adresse du père et les premiers résultats de l'équipe scientifiques. Le légiste confirme que la cause de la mort est bien un pieu planté dans le cœur et il estime l'heure du meurtre entre 18 et 22 h. Elle attrape un stylo dans le premier tiroir à sa gauche, sort un petit carnet de sa poche et prend note :

« 19 h 45 Vue vivante par Siana Hamilton
20 h Début du concert »

Fouillant dans les témoignages qu'elle a apportés avec elle, elle trouve rapidement les informations qu'elle recherche.

« 21 h Arrivée police sur les lieux »

— Et Mrs Wilson a dit l'avoir trouvée une demi-heure avant, murmure-t-elle pour elle-même, donc...

« 20 h 30 Découverte du corps par Ellen Wilson »
— 19 h 45 – 20 h 30, la fenêtre de tir est déjà plus étroite. Plus qu'à trouver où était tout ce petit monde à ce moment-là, marmonne-t-elle en refermant le dossier. Mais, avant, j'ai la vie d'un homme à aller flinguer.

En rejoignant sa voiture, elle croise sur le parking deux inspecteurs à qui elle n'a pas encore eu l'occasion de beaucoup parler et les salue, mais ceux-ci détournent la tête en continuant de discuter et passent à côté d'elle sans la voir. Surprise par cette réaction, elle ne pense même pas à les héler pour leur demander ce qui ne va pas. Et, tout en s'installant derrière le volant, elle se rassérène en se disant qu'ils ne l'ont juste pas vue et que leur impolitesse n'était pas volontaire. Après tout, il n'y a aucune raison pour qu'elle l'ait été.


Après avoir roulé pendant plus d'une heure sur tout un tas de petites routes de campagne, parfois à la limite du praticable, Shiloh arrive enfin à l'adresse indiquée par Wyatt.
Perdue au milieu d'un champ servant de toute évidence de décharge sauvage aux habitants du coin et située à plusieurs kilomètres du premier village, une caravane délabrée moisit sur place. Persuadée que personne ne peut habiter là-dedans, mais voulant en avoir le cœur net avant de faire demi-tour. Elle se fraie un chemin parmi les mauvaises herbes qui envahissent ce qui était probablement un chemin de gravier dans une autre vie.

Devant l'épave, elle hésite, craignant d'arracher la porte si elle la frappe avec trop de vigueur, quand elle remarque une cloche en fonte vissée sur un piquet en bois à un mètre d'elle. Elle l'agite alors, patiente une dizaine de secondes, l'agite une seconde fois. Pas de réaction. Avisant le coté le moins sauvage, elle contourne alors la caravane et se retrouve nez à nez avec un homme à l'allure de SDF allongé dans un transat vert de mousse. L'homme, à la barbe négligée et aux cheveux mi-longs blonds fillasses, la dévisage d'un œil mauvais, une pipe éteinte au coin de la bouche, sans bouger d'un poil.

— Mr Evans ?
— Qu'est-ce tu lui veux ?

Shiloh glisse un œil par la fenêtre de la caravane à sa droite. Elle distingue vaguement une couchette recouverte d'un édredon brunâtre, quelques livres cornés éparpillés, un peu de vaisselle sale en équilibre sur le rebord de la fenêtre et des piles de vêtements chiffonnés au sol. OK, décide-t-elle, on discutera sur ce qui fait lieu de terrasse.

Elle se retourne vers l'homme qui n'a bougé que pour allumer sa pipe et prend un ton empli de compassion.
— Je suis venue lui parler de sa fille, Victoria.
Les yeux du clochard s'illuminent.
— Vicky ?
Shiloh approuve d'un mouvement de tête.
— Vous êtes bien Charles Evans ?
L'homme se redresse sur son siège, retire la pipe de sa bouche.
— Ouais qu'c'est bien moi. Comment qu'elle va la petite ? Ça fait des mois que je l'ai plus vue. Elle parlait de devenir célèbre, la dernière fois. Et elle le deviendra. Elle obtient toujours ce qu'elle veut.

Shiloh se mord l'intérieur de la joue. C'est encore plus dur qu'elle l'avait craint. Le visage de l'homme s'est adouci quand elle a parlé de Victoria et il la dévisage maintenant avec avidité.
— Mr Evans, votre fille... Je suis désolée d'avoir à vous l'annoncer comme ça, mais votre fille a été assassinée hier soir.
Il ne comprend pas tout de suite, le sourire figé sur son visage met plusieurs secondes avant de s'estomper.

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaWhere stories live. Discover now