Où elle ne le reconnaît pas ✓

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Des machos, des connards et d'autres genres de mecs frustrés qui ne se sentent vibrer que quand ils rabaissent les autres, et de préférence les femmes, Shiloh en a croisé plus souvent qu'à son tour. Non-contents d'être légion dans les rangs de la police, ils se retrouvent aussi en grande quantité parmi les petites frappes que ces derniers côtoient quotidiennement ou presque.
Cela dit, se faire insulter comme ça, dès le premier contact, et par un homme qu'elle a d'abord classé parmi les victimes, elle doit reconnaître que c'est une première.

Elle renonce à sortir son badge dans l'immédiat, croise les bras sur son buste et se met machinalement à se caresser le menton entre le pouce et l'index de sa main gauche. Un sourire léger et en grande partie nerveux déformant le coin de sa bouche alors que dans son cerveau tournent les pensées les plus variées.

« Si c'est lui le coupable, ça va être jouissif de lui passer les menottes. Est-ce que je sors ma plaque maintenant ou j'attends encore un peu ? Son visage est en train de changer, est-ce qu'il prend conscience de ce qu'il vient de dire ? Est-ce qu'il se demande seulement qui je suis ? Sait-il que je ne travaille pas du tout pour lui ? Est-ce qu'il entretenait bien une relation avec la victime ? Elle avait l'âge d'être sa fille, c'est dégoûtant. »

Auprès d'eux, Elijah ouvre la bouche pour parler, la referme, échange un regard avec Nora qui semble s'être désintéressée de la discussion, puis avec Jared, qui sourit, impatient, alors que ses yeux passent de l'une à l'autre, attendant de voir qui, de la flic et du manager, portera l'estocade finale. Alors Elijah se racle la gorge.

— Hmm, Richard ? C'est, hmm, la policière-
— Inspectrice, le reprend Shiloh, machinalement.
— Oui, c'est ça, l'inspectrice, qui est là pour, euh, s'occuper du meurtre ?

Il termine sa phrase en interrogeant Shiloh du regard et elle confirme ses dires d'un hochement de la tête à son intention. L'homme, médusé, se retourne vers lui, la bouche entrouverte dans un rictus mauvais, et revient sur Shiloh après qu'Elijah ait haussé les épaules en réponse à sa question muette.
Estimant que le moment est enfin venu, Shiloh sort son badge et, plutôt que de le brandir sous le nez du manager, laisse celui-ci s'avancer vers elle pour le contempler.
— Inspectrice Delauney, en charge de l'enquête sur le meurtre de Victoria, hm, quel est le nom de la victime ? demande-t-elle en tournant la tête vers Elijah, qui semble s'être imposé comme médiateur. Mais celui-ci, ignorant la réponse, répond par un froncement de nez et un haussement des épaules.

— Evans, complète Nora alors que ses doigts s'activent sur l'écran de son téléphone qu'elle a sorti de sa poche après la tirade du manager. Victoria Evans.
— Merci.

Nora a un mouvement évasif du poignet signifiant certainement « Pas de quoi, c'est un plaisir de venir en aide à une inspectrice de police telle que vous. On pourrait même aller boire un verre une fois que tout ça sera terminé, et devenir les meilleures amies du monde. » En tout cas, c'est ainsi que l'interprète Shiloh qui reporte déjà son attention sur le dénommé Richard, à deux doigts d'expulser des nuages de fumée par les narines.

— Je crois que nous allons avoir beaucoup de choses à nous dire, mais d'abord il me faut un bureau pour pouvoir prendre les dépositions de tout le monde.

L'homme la regarde comme si elle venait de lui demander de réserver une table pour deux sur la Lune et cette absence de réaction de sa part commence à agacer prodigieusement la jeune inspectrice qui soupire fortement.

Irrité par ce soupir peut-être plus que par la demande informulée, Richard s'emporte.
— Vous vous attendez à quoi ? Que d'un claquement de doigts, je vous mette à disposition une pièce avec bureau, mini-bar et masseur personnel ? Je suis pas chez moi, ici. Même si j'en avais envie, je ne pourrais pas le faire.

En un pas, Shiloh glisse juste sous le nez de l'homme, ses yeux étrécis en une fine fente flamboyante. À peine plus petite et en rien plus frêle que lui, elle sait qu'elle a un pouvoir qu'il n'a pas. Celui de le foutre en cellule une nuit pour outrage à agent. Malgré cela, elle ne souhaite pas faire valoir cette carte trop vite, plutôt intéressée à l'idée de voir l'homme agir sur son propre terrain et lui fournir ainsi des indices qu'il refusera de lâcher en entretien. Cette envie n'empiète pourtant pas sur les a priori qu'elle nourrit à son encontre.

Assez proche de lui pour sentir son souffle sur son visage, elle tranche :
— Et si, dans ce cas, vous me trouviez quelqu'un de compétent qui soit en mesure de répondre à mes attentes ?
Elle se recule d'un pas et esquisse un sourire carnassier, à peine insolente.

Dans les yeux du manager, Shiloh peut lire une haine féroce à son égard. Elle voit les traits crispés de son visage se brouiller par à-coups alors qu'il tente de maîtriser la bordée d'injures qu'il lui destine.
— Vous ne savez pas qui je suis...
— Le manager, non ?
Il fulmine et elle sent qu'elle devra bientôt le menacer de cette fameuse nuit au poste qu'elle lui réserve, mais ses réactions font de lui un suspect tout désigné et elle ne veut pas le couper sur sa lancée, car il pourrait dévoiler des choses importantes sous le coup de l'émotion ou de l'énervement.
— Vous ne connaissez pas mon nom...
Shiloh soupire. Non, tout bien considéré, il est peu probable qu'il ait quoi que ce soit d'intéressant à dire. Il fait seulement une grosse colère parce qu'elle ne l'a pas reconnu et qu'elle ne s'est pas prosternée à ses pieds alors qu'il est une star lui aussi, à sa façon, dans le monde managérial.
— Quelle importance ? souffle-t-elle. D'ici la fin de la nuit, je le saurais. Et potentiellement parce que j'aurais fini par vous coffrer parce que vous m'énervez. Alors, si vous n'avez rien d'intéressant à ajouter, allez me trouver une foutue pièce où je pourrais m'installer.

C'est ce moment que choisi Mrs Wilson pour revenir, accompagnée d'un agent de sécurité plus âgé que celui qui gardait la porte au moment de leur arrivée. Elle agite les mains devant son visage en voyant que tout le monde se trouve toujours là où elle les a laissés et se tourne vers Shiloh aussitôt qu'elle remarque le manager.

— Ah ! Vous avez rencontré Mr Barlow. Bien, bien. J'ai posté trois hommes devant les entrées, comme vous l'avez demandé, et Mike va s'occuper de celle-ci.

Et voilà, Shiloh a le nom du manager, nom qui continue de ne rien lui évoquer, soit dit en passant. Elle est tentée de lui lancer un regard victorieux, mais s'en abstient, estimant que ce serait peut-être un rien puéril.

— C'est parfait, merci. Mais j'ai bien peur d'avoir encore besoin de vous, Mrs Wilson.
Le petite femme considère les musiciens, craignant qu'il ne soit à nouveau question d'annuler le rappel, mais acquiesce, peu sûre d'elle.
— Oui, oui, bien sûr.
— J'aurais besoin d'une pièce pour recevoir les dépositions des témoins.
— Oh. Oui, c'est évident. Tout dans sa voix comme dans son attitude transpire le soulagement et elle repart dans la direction opposée à la scène en faisant signe à Shiloh de l'accompagner.
Elle passe devant Barlow sans sembler remarquer son énervement et disparaît bien vite dans le couloir qui s'incurve sur la gauche.

Shiloh se tourne vers les artistes et leur demande, une fois encore, d'en finir aussi vite que possible avec le rappel.
Alors que la tension instaurée par Barlow tend à se dissiper, elle ne peut s'empêcher de sourire niaisement à Elijah quand il lui certifie qu'ils s'y rendent sur-le-champ. Elle se maudit aussitôt et reprend son sérieux, espérant qu'il n'a rien remarqué. Ç'a été rapide, personne n'a dû s'en apercevoir, se persuade-t-elle en emboîtant le pas à Ellen Wilson.

Arrivée à son tour au fond du couloir, elle se retourne une fois encore avant de disparaître, espérant sans vraiment se l'avouer, entrapercevoir le regard bleu d'Elijah qui l'aurait suivie, mais c'est celui de Jared qu'elle rencontre. Appuyé contre le mur, alors que les autres s'en retournent vers la scène, il l'observe intensément, un léger sourire sarcastique au coin des lèvres.
Il a perçu son regard et son sourire de jeune vierge énamourée, soit, mais il ne peut pas avoir compris qu'elle est complètement fan et très enthousiaste à l'idée de les côtoyer régulièrement dans les semaines à venir. Il n'a aucune raison de soupçonner une chose pareille. Enfin, presque aucune raison.

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaWhere stories live. Discover now