Où ils prennent un taxi ✓

Depuis le début
                                    

Elle se sent rougir. C'est tellement ridicule et égocentrique demandé comme ça.
Elijah semble un peu embarrassé par la question, mais approuve.

— Oui, enfin, d'une certaine façon. C'est notre dîner qui m'a inspiré la mélodie, alors, oui, en un sens, elle t'est dédiée. Mais les paroles, je sais pas... elles ne sont pas encore fixées. Pas totalement. Euh, tu te sens bien ?

Tout le sang a quitté son visage, son cerveau est devenu incapable de réfléchir. Elle a inspiré une chanson à Elijah. C'est incongru. Et absurde. Et absolument fantastique. Comme si elle avait besoin de ça pour repartir dans ses rêveries. Les garçons lui dégottent une chaise et elle les laisse l'y asseoir. Elle doit être en train de rêver.

Plusieurs heures se passent, la fête bat son plein puis périclite et Shiloh retrouve, au bout d'un moment, toutes ses capacités. Elle se mêle alors aux convives et tente de glaner encore quelques informations importantes à l'enquête, mais fait chou-blanc. Si tout le monde, ou presque, accepte de lui parler avec facilité, peut-être parce qu'elle n'a vraiment pas l'air en service, personne n'a la moindre information nouvelle sur le meurtre.

Quand la plupart des invités ont quitté les lieux, il est presque 1 h 30. Le matériel est rangé, la salle est nettoyée et le patron n'attend plus que leur départ pour fermer les lieux. Sur le trottoir à l'arrière du bâtiment, Shiloh se prépare à les remercier pour la soirée et à les quitter, se demandant s'il serait moins cher de se payer un taxi jusqu'à Tregarta, ce qui promet de lui coûter un bras, ou de se trouver un hôtel bon marché dans le coin pour reprendre un train au matin, ce qui n'est pas gagné.

Alors qu'elle évalue mentalement le coût de chaque option, Jared, agrippé au cou d'Elijah, l'interpelle.

— T'es venue en voiture, Shiloh ?

Toute à son calcul mental, elle secoue la tête pour signifier que non. L'homme se détache alors d'Elijah et l'attrape par les épaules. En signe d'amitié, peut-être, pour conserver son équilibre, sans l'ombre d'un doute.

— Il n'y a plus de train à cette heure-ci. Viens fêter la fin de tournée avec nous.
— C'est pas ce qu'on vient de faire ?

Jed éclate de rire.

— Non. Ça, c'était juste un avant-goût. Allez, viens.

Depuis le début de la soirée, l'homme est plus bruyant, bavard et tactile qu'à l'ordinaire. Shiloh soupçonne l'usage de l'une ou l'autre substance illicite, mais elle ne l'a pas pris sur le fait, n'est pas sa mère et fait encore moins partie des stups. Donc, pour l'instant au moins, elle laisse couler.

Se laissant entraîner, elle monte dans un taxi avec Elijah, Jed et une fille qui se pend au bras de ce dernier en gloussant. Elijah donne une adresse au chauffeur, mais le bruit que font les membres de l'équipe toujours de la partie qui attendent un autre taxi sur le trottoir l'empêche de saisir plus que Shoreditch. Au moins, y seront-ils assez rapidement.

— Tu as aimé le concert ? lui demande Elijah, assis à côté d'elle, alors que la groupie neuneu ri à gorge déployée au moindre mot qui sort de la bouche de Jed.
— J'ai adoré, oui, lâche-t-elle sans réfléchir. Plusieurs fois, j'aurais aimé être dans la fosse pour pouvoir danser et chanter avec les fans, avoue-t-elle également.

La surprise se peint une fraction de seconde sur le visage d'Elijah puis il lui sourit, flatté. Pour la première fois, une question s'impose à lui.

— Tu étais déjà fan avant de te voir confier cette enquête ?

Se rendant compte qu'elle en a peut-être un peu trop dit, et ne voulant pas se voir rétrogradée au même statut que la fille vulgaire assise en face d'elle, Shiloh se force à rire.

— Qui a dit que j'étais fan ? On ne peut plus apprécier de la bonne musique en la hurlant dans les oreilles de ses voisins sans être catalogués de fans ?

Elle en fait trop. Elle se rend compte qu'elle en fait trop. Et elle se demande s'il sait qu'elle n'a bu qu'une bière de la soirée et que ce n'est ni le vin ni le rhum qui parle pour elle.

— Pour chanter, il faut connaître les paroles, sous-entend Elijah avec un petit sourire en coin.

Elle est complètement démasquée. Mais elle ne bradera pas sa peau à si bon prix et hausse les épaules avec un air las.

— Vous êtes mythique. Je connais aussi beaucoup de paroles des Strokes, des Velvet Underground ou des Libertines.
— Oh, vraiment ? la nargue-t-il.


Le sourire qu'ils échangent est si complice que la fille qui les accompagne les pense amis de longue date. Elle aussi aimerait partager une forme de connivence avec l'un des deux chanteurs, Jed de préférence, dont elle préfère la voix et le visage. Mais il semble s'être déjà lassé d'elle à regarder le paysage nocturne défiler par la fenêtre. Il aurait pu attendre de l'avoir sautée avant de s'en lasser, ou, au moins qu'ils se soient embrassés. Mais elle ne se laissera pas abattre aussi vite. Elle est jeune, sexy et déterminée, alors elle repart à l'attaque et lui caresse la joue en lui faisant les yeux doux.

— Quelque chose ne va pas, Jed ? Tu peux tout me dire, tu sais, je serais là pour toi.

Il lui sourit tristement avec une moue qui pourrait s'apparenter à une grimace, et elle croit qu'il s'apprête à la repousser. Puis, ses yeux s'attardent un instant sur Elijah et Shiloh, toujours en train de s'envoyer des piques amicales, et il revient vers elle.

Penchée dans sa direction, la bouche entrouverte, en attente, la fille est mignonne. Il sait qu'il prendra du plaisir dans ses bras, mais il sait aussi qu'elle ne représentera jamais rien. Un peu brusquement, il passe sa main, rendue calleuse par les nombreuses heures passées à gratter sa guitare, dans ses cheveux et l'attire à lui. Alors qu'il l'embrasse, son regard croise celui d'Elijah, un peu troublé. Son baiser redouble d'intensité et il ferme les yeux.

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant