Chapitre 21

89 7 2
                                    

Comme d'habitude, une douleur aiguë s'insinue dans mes oreilles, puis dans mes tempes. Mais ce n'est pas le moment de geindre. Je sais comment faire maintenant, j'ai assez utilisé mon don pour savoir comment il marche.

Plongeant dans une marée sensorielle, je vois des décors différents se succéder au fur et à mesure que les années passent. Un espoir discret de repérer mon père fait surface, mais aucun visage similaire à celui que j'ai vu dans mes rêves n'apparaît.

Lorsque je repère l'homme qui a transmis ma demande, je me concentre afin de voir la scène plus en détails. Il annonce à cinq personnes ce que j'ai demandé, et s'incline respectueusement à la fin. Parmi les personnes présentes, il y a les deux que j'ai rencontré, un homme qui semble être handicapé, armé de prothèses grotesques et voyantes à plusieurs endroits, et un autre homme âgé. Ils posent quelques questions sur moi à celui qui leur fait face, et se tourne vers son collègue en fauteuil pour lui demander quoi faire.

- Que faisons nous ? Est-ce que la proposition vaut le coup ?

Il réfléchis quelques secondes, puis répond. Sa voix est grave et brisée, soufflante comme celle d'un malade. Elle me fait penser à celle de Jorus, en moins terrible tout de même.

- Il faudrait pouvoir juger par nous même si elle dit la vérité.

- J'ai bien une idée de ce que nous pourrions faire.

Expliquant son idée à ses collègues, monsieur "cheveux sales" -comme je décide de le surnommer-, leur parle exactement de ce que je suis en train de faire. Je souris intérieurement. Ils sont malins et ont vu plus loin que moi. Je suppose qu'il n'y a pas de mal à ça, mais ça me conforte dans l'idée de ne pas les sous-estimer. Décidant que j'en ai assez vu, je détache mes doigts du bureau et m'extirpe tant bien que mal de ma vision.

En revenant à la réalité, je respire bruyamment, un peu essoufflée. Mon regard se dirige vers celui fasciné des scientifiques et je leur fais un sourire avant de montrer mon pouce levé.

*

Je remarque que l'effacé ne me ramène pas à l'ancienne cellule. Nous traversons le même couloir, mais nous ne nous arrêtons pas. Je m'inquiète un peu, puis aperçois le nom au dessus de la pièce où nous entrons: "Service". Je ferme les yeux et cache mon soulagement, ils ne se débarrassent pas de moi.

Dans la pièce, il y a plusieurs personnes en uniforme de prisonnier, avec un tablier plastifié par dessus. L'un d'entre eux viens vers moi.

- Bonjour, dit-il au garde. Merci de l'avoir amené. Je voulais lui expliquer le fonctionnement avant son premier jour de travail. Je suis Finston, ton supérieur.

Son ton mielleux semble beaucoup flatter le garde, car un sourire se dessine sur son visage. Il lui répond pourtant sèchement de se dépêcher. Avec des gestes brusques et saccadés, comme une vielle machine rouillée, l'homme maigre et courbé m'examine puis me montre du doigt les casiers.

- Ici, on dépose nos tabliers et autres affaires quand le travail est fini. Il y a des détecteurs en passant la porte, ça ne servirait à rien de voler quelque chose. Explique-t-il d'une voix pincée désagréable.

- Mais je ne compte pas..

- On vient nous chercher chaque matin en groupe, alors sois prête à te lever. Travaille sérieusement. C'est tout.

J'imite l'homme et lui fait un sourire mielleux répugnant, ce qui semble lui suffire comme réponse. Le garde s'approche, mais je pose une dernière question à mon chef avant de partir.

- Quand est-ce que on monte aux étages supérieurs ?

Un air étonné s'affiche sur le visage de l'homme, puis il fais un signe de la main comme si ce n'était pas important. Alors que je me sens pleine d'antipathie pour cet homme, il s'approche et met sa main sur mon épaule pendant que l'effacé rouvre la porte. Je remarque un petit papier glisser dans ma poche et lui jette un regard interrogateur.

- A demain, Mlle Swash. Susurre-t-il en voyant que le garde s'est retourné.

Je sors de l'entretient un peu intriguée, ayant envie d'arriver dans la cellule pour lire le mot.

La nouvelle cellule vers laquelle on me guide est plus loin, je peux entendre depuis ici des voix de prisonniers, sûrement en train de travailler aux serres. Personne n'est présent à l'intérieur, il y a juste une combinaison grisâtre posée sur une des couchettes. Le garde me dit de me changer car il doit m'emmener travailler aux serres pour la fin de l'après-midi. Apres l'être m'être changée et glissé le mot sous la couverture de la couchette, je rejoins donc sur le champ un groupe de prisonniers fraîchement arrivés et aperçois mes compagnons de cellule. Nous avons droit à une petite formation pour nous expliquer notre mission et le fonctionnement des échafaudages mécaniques, ces grandes plateformes qui montent, descendent, et tournent sur elles-mêmes afin d'éviter des mouvements inutiles, car à ces hauteurs, une chute serait synonyme de fracture ou pire.

Je n'en ai pas vraiment besoin. J'ai déjà travaillé dans les tours potager il y a quelques années, donc je connais déjà la façon de procéder. J'en profite pour jeter un œil aux autres et les examiner. Marlone cherche du regard. Il doit penser à son amie... Shey je crois. Etant donné qu'elle s'est faite avoir quelques jours avant nous, elle doit être déjà en train de travailler, quelque part.

En repensant au mot dans ma poche, je tâte un instant ma poitrine avant de me rappeler que j'ai changé de vêtement. Ma respiration s'emballe, j'espère qu'ils n'ont pas remarqué le papier. Je me force à garder un visage impassible. De toute façon je ne savais même pas ce qu'il me voulait, donc je n'ai rien à me reprocher concernant ce mot, même s'il a un contenu douteux.

Je regarde celui qui explique juste au moment où il termine, et suit les autres vers nos harnais de sécurité. Ensuite, nous devons attendre notre tour pour avoir une plateforme. Un numéro indiqué sur une petite interface nous indique l'étage et le rayon sur lequel nous devons planter, entretenir, ou remplacer la terre. Chacun a un rôle et les outils appropriés, et change de jardinière à chaque coup de sifflet pour continuer le travail.

Ces gestes me sont nostalgique, j'en ai l'habitude, mais ça fait longtemps que je ne les ai plus effectués. Alors que je commence à jeter des pelletées de terre usée dans le bac, je capte le regard méfiant d'un homme dans la jardinière en face. Je le reconnais, c'était un de mes compagnons de cellule la veille. Je l'ignore quelques instants, puis commence à être agacée.

- Il y a un problème ? Je lui demande, essayant de garder un ton calme et respectueux.

Il pince les lèvres, et a ma grande surprise, crache dans la terre d'un geste sec.

- Vendue... Déclare-t-il avec une voix ébréchée. T'as lâché tes complices pour raccourcir ta peine hein ? On t'a vu partir avec eux ce matin. On t'as tous vu.

J'écoute l'homme, et fronce les sourcils, prête à lui rétorquer le contraire, quand un sifflet sonne, annonçant le changement de jardinière. Nous nous dévisageons encore d'un air mauvais un instant, avant de sentir les plateforme bouger et nous éloigner.

En le regardant recommencer à plonger ses doigts dans la terre humide, je sens un doute s'insinuer. Peut-être que je me suis mise dans une mauvaise situation par rapport aux autres prisonniers. Sans doute, en fait. Après tout, certains devaient faire partie de groupe de résistance... et d'autres doivent être des criminels, ou des meurtriers. Est-ce que j'ai vraiment bien réfléchis à cet aspect ?

Me reprenant, je lâche une grosse pelletée de terreau usé dans le bac, et soupire. Non, je dois garder à l'esprit la raison pour laquelle je suis allée jusqu'à me faire capturer. Je ne dois penser qu'à ça.

Retrouver mon père.

Savoir pourquoi des expériences comme celle sur Jorus sont faites.

Et comprendre pourquoi cette vie, enfermée dans cette affreuse coupole, est encore d'actualité.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Mar 11, 2021 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Nucléaires 3 : TirailléeWhere stories live. Discover now