Chapitre 15

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J'écarquille les yeux, ne comprenant pas pourquoi elle me dit ça. Comment ? Comment peut-elle être au courant ? En voyant mon étonnement, Zéra se frotte le front, un peu mal à l'aise.

- Quelques mois après ton départ de la maison, on a reçu un papier nous disant que tu avais été portée disparue après une mission a l'extérieur. Au début, maman ne m'a rien dit. Sauf que... papa est revenu.

Mes mains se crispent imperceptiblement à l'entente du mot "papa". Debon avait du être incroyablement satisfait de voir l'intruse extérieure quitter son foyer pour de bon.

Je m'en doutais. J'espère qu'il les a au moins aidées comme je le lui avait demandé.

- Il ne vous a rien fait de mal j'espère ? Je demande, sentant mon ton calme devenir plus tendu.

Le regard de la petite fille se fixe au sol, comme si elle était confuse et essayait de réfléchir à quelque chose.

- Non. Enfin, je veux dire, par vraiment. Il s'est disputé avec maman parce qu'elle ne voulait pas le laisser rester, mais il a rempli une nouvelle fiche de pension familiale.

Heureusement qu'il l'a fait. Je ne lui aurait pas pardonné si il était resté dans son coin. Enfin bon... pardonner, c'est un bien grand mot. C'est en grande partie a cause de cet homme que tous mes problèmes se sont produits. Une pensée me vient soudain à l'esprit, expliquant soudain l'expression bouleversée de ma sœur : c'était la première fois de sa vie qu'elle avait vu son père. Qu'est-ce que ça avait bien pu provoquer en elle, de voir un "proche" qu'elle ne connaissait absolument pas avant ? Je ne sais pas la réponse, puisque j'attends encore cette rencontre avec impatience. A quoi ressemble le mien ? J'ai une vague idée du visage de Myrr d'après mes visions, mais elle est floue, effacée. J'espère comprendre ce que Zéra a ressenti, un jour.

- Je n'ai pas voulu lui parler, et de toute façon maman m'en aurait empêché. Je ne l'avait jamais vue autant en colère avant. Quand il est parti le soir, elle m'a dit que tu étais en vie et qui tu étais vraiment.

Je retiens mon souffle, écoutant chacun de ces mot. Comment me considère-t-elle depuis qu'elle a appris que nous n'étions pas vraiment liées par le sang ?

- C'est pa.. Debon qui lui a expliqué que j'étais en vie ? Je demande à ma sœur.

- Sûrement, parce qu'ils ont discuté très longtemps. Affirme-t-elle en balançant ses jambes dans le vide. Donc... ça veut dire que l'extérieur est vraiment respirable ? Ce n'était pas une plaisanterie, ce que tu m'as raconté ?

Je hoche la tête, ne sachant pas vraiment comment lui expliquer pourquoi nous restons enfermés alors que l'air au dehors est respirable.
Après cette phrase, un silence gênant s'installe. Aucune d'entre nous ne sait quoi dire pour oser parler du sujet. Il faut que je fasse le premier pas, franchement ! J'ai dix-huit ans, je dois au moins être capable de dire ce que je pense non ? Sauf qu'au moment où j'ouvre la bouche, nos deux voix se bousculent. Nous jetant un regard étonné, nous rions nerveusement et je la laisse parler en première.

- Maman m'a dit quelque chose pour me rassurer. Bredouille-t-elle soudain. Elle était sûre qu'on te reverrait, parce que même si nos chemins se séparent, il y aurait un moment où tu aurais besoin de nous autant que nous avions besoin de toi.

Ces paroles provoquent en moi quelque chose, un effet désagréable. Sur le coup, je sens mon cœur me serre comme si on avait enroulé un étau autour, puis je sens une chaleur m'envahir. Je réalise tout à coup à quel point ma mère, Lydie, me manque. Notre vie si simple me convenait parfaitement, j'avais des journées bien remplies, une famille formidable. Mais ces paroles me font comprendre aussi que tout ça est terminé.
Je m'empresse de murer mon expression dans un marbre imperturbable pour éviter de laisser mes sentiments déborder. Ca ne servirait à rien d'autre qu'à perturber Zéra, et je pense que nous avons toutes deux fait notre plein d'émotions aujourd'hui.

Je soupire longuement, évacuant la bouffée de sentiments en même temps que l'air.
Alors que je m'apprête à proposer de continuer à marcher un peu à ma sœur, j'entends un léger bruit de moteur se rapprocher. Mon esprit ne met que peu de temps à faire le lien.

Il n'y a qu'une seule raison pour entendre un véhicule circuler dans ces quartiers.

Les effacés. Surement une patrouille de surveillance.
Dans la précipitation, j'attrape le bras de Zéra et me lève brusquement. Il faut qu'on quitte cet endroit sans traîner. Mes pensées partent dans tous les sens, mais je sais que je n'ai pas le temps de réfléchir en profondeur. Ma sœur semble comprendre la situation et me suis sans broncher jusqu'à l'entrée d'une petite rue. Les bruits se rapprochent puis s'arrêtent soudainement à une bonne distance de la place de la fontaine, et je devine que les soldats doivent être descendus de la voiture pour inspecter les rues plus étroites. Alors que je suis soulagée d'être a une bonne distance, Zéra m'arrête en me tirant le bras.

- Attend, arrête de courir !

Déroulant son vieux foulard rapiécé, elle me l'enroule autour de la tête comme un voile et met la capuche de sa veste.

- Proxima m'a dit qu'il vaut mieux ne pas courrir et rester naturels dans ces cas là.

Je regarde un instant l'éclat sérieux de ses yeux foncés, un peu étonnée et inconfortable en constatant à quel point l'enfant que je devais aider a chaque fois est devenue raisonnable et courageuse. Malgré ses huit ans, j'ai l'impression qu'on vient de me donner une leçon. Posant ma main sur mon front en riant nerveusement, je finis par lui sourire et arranger le foulard pour qu'il couvre une bonne partie de mon visage.

Les gens présents dans la place il y a quelques minutes commencent tous à partir, et nous savons la raison : personne n'aime croiser les brigades de patrouille. Assises au sol un peu plus enfoncées dans la petite rue, je serre la main de ma sœur dans la mienne en priant pour qu'on nous prenne pour de simples vagabonds en train de mendier. "Heureusement" nos habits sont dans un état, comment dire... pas très bien entretenus.

En voyant un des soldats arriver par le bout de la rue, je me dis que j'ai bien fait d'écouter Zéra. Je me rappelle de mes cours lorsque j'étais une jeune recrue, on avait vu que les groupes de surveillance se séparaient souvent à travers les petites rues. Courrir aurait été indéniablement suspect.
Alors que l'homme s'approche en nous jetant un regard compréhensif -je me demande même s'il ne va pas nous jeter une pièce-, je l'entend parler dans son transmetteur, sûrement à ses collègues.

- Rien à signaler ici. Tous les habitants sont retournés chez eux.

Soudain, il se met à ricaner. Je comprend que ça doit être du à la réponse de la personne en train de lui parler.

- Allez, courage. Tu sais dans quel état est le chef à force de ne trouver aucun indice sur sa position.

Est-ce qu'ils parlent de Jorus ? Je ne peux pas en être sûre, mais je mettrai ma main à couper que c'est lui qu'ils recherchent en ce moment.
Pendant quelques secondes, je ressens de la pitié pour les pauvres effacés assignés à sa recherche. Sans doute que Naos et Guiena ont du cacher notre prisonnier à un endroit auquel personne ne songera. Même en y réfléchissant bien je serai incapable de le trouver. A moins que...
Je n'utilise mon atout ?

Comprenant soudain qu'il y a encore une carte dans ma manche, je sens mon pouls s'accélérer. Je n'avais pas encore pensé à cette solution, mais qu'est-ce qui m'en empêche ? Personne n'est au courant de mon pouvoir, pas même Zéra à qui j'ai omis ce "détail".

Ce qui veut dire que je suis libre de l'utiliser comme je veux.

Tout ce que je prévoyais de faire avant de partir repasse au crible de mon jugement. Parler à Naos me semble tout à coup inutile. Lorsque nous avions rencontré l'autre cellule de résistance sous le pont, il me l'avait clairement fait comprendre : ils se concentrent sur le fait d'essayer d'améliorer les choses "dans" la coupole. Ai-je vraiment l'envie, et même le temps, d'attendre que leur projet se termine ? Ca leur prendra des années, et n'aboutira sûrement jamais à rien. Je n'ai pas à attendre la permission de quelqu'un, je peux décider moi-même de ce que je fais.
Trouver Jorus seule avant de partir ne servirait à rien non plus. Qu'est-ce que je pourrais bien faire avec un homme aussi mal en point ? Si je le laisse ici... je pourrais peut-être même l'utiliser comme otage. Si il peut voir les événements à venir comme il l'a dit, alors il doit réellement être très précieux. Et ma capacité pourrait bien-être la seule chose capable de le retrouver.

Nucléaires 3 : TirailléeWhere stories live. Discover now