Chapitre 6

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Debout devant la fenêtre de ma chambre, je serre les poings, laissant mes ongles me laisser de fines marques sur la peau.

Alors leurs objectif premier n'était pas de sortir...

N'arrivant plus à contenir ma colère, je frappe sur le mur à côté de moi, abîmant mes jointures.

Ils ont du bien se foutre de moi et mes idées idéalistes !

Je me retourne brusquement de la fenêtre et fais les cent pas dans la pièce, ne sachant si je dois aller voir Naos pour lui parler honnêtement ou reporter cela à plus tard. Les minutes passent, et je n'ai toujours pas réussi à me mettre d'accord sur la bonne chose à faire. Il est déjà minuit trente, je risque de le réveiller maintenant.

Qui s'en soucie ? Il n'avait qu'à me dire la vérité sans la modifier dès le départ !

Soupirant longuement pour me remettre les idées en place, je décide de relativiser. De toutes façons, même si ils m'avaient parlé de coup d'État à l'encontre du Kaiser, je les aurais rejoints. Alors me mettre dans cet état ne me fera pas avancer ni changer quoi que ce soit. Je n'ai qu'à attendre demain soir pour lui parler, quoiqu'il sera peut être trop stressé par l'opération du lendemain pour avoir une discussion sérieuse. Après tout, malgré son immense sang froid, il reste un humain.

Je décide enfin de me coucher, et me recouvre lentement de ma couette, calme à présent. Restant encore quelques minutes les yeux ouverts à réfléchir, je repense aux événements des nombreux derniers mois. Ma fuite vers l'extérieur, qui n'était pas si désastreuse que ça en fin de compte. Faire la connaissance de mes cousins était vraiment agréable, les souvenirs de notre voyages me font légèrement sourire. Ma découverte de la pluie, du vent fort, des champs d'herbe, des forêts... Je pense que je peux presque considérer tout ça comme certains des moments les plus heureux de ma vie. L'incident de la tempête était bien sûr terrifiant, mais tout s'est bien fini au moins. Abiya n'a pas eu de séquelles, et nous nous en sommes tous les trois bien sortis.

Le temps passé avec Japhet lorsque nous nous sommes perdus nous a permis d'apprendre à mieux nous connaître et à arrêter de nous disputer en permanence, et on a aussi pu défendre le camp avant l'arrivée des effacés.

Et quelles en ont été les conséquences ?

Cette pensée soudaine me fait perdre le fil de mes souvenirs.
Sentant ma respiration ralentir soudainement, je pose une main sur ma bouche, écœurée.
Je ne dois pas repenser à ça, il faut que j'oublie, que je chasse ça de mon esprit.
Coupant court à toute réflexion, je me retourne dans mon lit et recouvre ma tête de draps pour ne pas avoir froid. C'est l'heure de dormir depuis longtemps, je ne vois même pas pourquoi je suis encore éveillée.

*

- Korty, laisse nous un peu tranquille maintenant ! Râle une voix féminine.

- Allez quoi, c'était pour vous décoincer. Depuis le début vous restez dans votre coin, c'est à peine si vous parlez aux autres.

Assises à une table de la cantine de la base militaire, Korty, Ana et moi discutons. Je me rappelle de ce moment, c'était quelques jours après notre engagement et notre arrivée. Il faut dire que malgré notre discussion dans la voiture, je ne connaissait pas vraiment le garçon. Ana et moi avions toutes deux vécu une vie de travail aux champs, reçu une scolarisation courte avant d'apprendre auprès de nos parents, et jamais vraiment eu d'amis parmi les autres jeunes. Arriver dans un endroit rassemblant toutes les conditions qu'il nous manquait pour avoir une vie sociable était un peu déstabilisant, et nous restions la plupart du temps coincées ensembles sans chercher à nous approcher du reste des personnes présentes.
Mon "Moi du passé" prend la parole d'une voix assez distante.

- Et alors ? De toutes façons, personne n'est ici pour faire ami ami. On est tous la pour accéder à des postes mieux placés. Attiser la concurrence, non merci.

- Oui, réplique Ana d'un air plus agacé que fermé. Et en quoi est ce que ça te dérange ?

En face de nous, le jeune homme a la longue cicatrice aux capacités sociales plus élevées que les nôtres se passe une main sur la nuque d'un air embarrassé.

- Pour être honnête, ça me fait un peu de peine pour vous. Vous passez à côté de plein de personnes super vous savez, et c'est pas bon de se fermer comme ça. Essayez de parlez avec tout le monde, je sais pas faites un effort quoi !

Sifflant un "Tsss" bruyant entre mes dents, je retourne la tête, résignée.

- Allez Mily, tu m'avais dit que tu avais une sœur. Imagine que tu lui parle quand tu approche quelqu'un. Ou même ta mère, ça te fera rire par la même occasion.

A côté de moi, j'entends soudain Ana se mettre à pouffer, visiblement atteinte par la blague inutile de Korty.

- Et toi aussi Ana, je suis sûr que tu peux être super sympa quand tu veux. À moins que vous n'ayez envie de faire louper votre travail d'équipe quand vous serez en situation réelle.

Ma camarade fixe notre interlocuteur d'un air de défi.

- OK, t'as pas tout à fait tord. Je vais essayer.

Je tourne mon regard vers elle, un peu embêtée de devoir la suivre dans sa résolution.

- Bon, d'accord je vais le faire aussi.

Mon futur ami et libérateur s'assoit à notre table soudainement nous faisant un sourire moqueur.

- Bon, alors je peux manger avec vous pour commencer.

Je pousse un grognement et me renfrogne, finissant de manger mon repas déjà refroidi. A cet instant je ne sais pas encore que ces deux personnes qui m'entourent deviendront des amis précieux, et que cette discussion m'aidera à aller vers les autres.

*

J'ouvre les yeux quand quelqu'un toque à ma porte en me criant "C'est l'heure de se lever !". Les images de ce rêve s'estompent déjà, et une minute après j'ai déjà presque tout oublié.

M'habillant rapidement et descendant avec les autres jusqu'au salon ou les tâches nous sont distribuées, je sais que la journée va être chargée. Il faut préparer tous les équipements, les plans et même nos corps pour l'opération. En même temps ce serait dommage de tout louper pour un étirement mal fait.

Essayant rapidement de me rappeler de mon rêve, je finis par abandonner, ressentant juste qu'il était agréable et nostalgique avant de suivre Proxima vers l'endroit où sont rangés les équipements en discutant.

Nucléaires 3 : TirailléeWhere stories live. Discover now