Chapitre 18

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"2010, Manoir des Latour

Monique faisait les cent pas devant le bureau d'Emmanuel. 

Des éclats de voix raisonnaient de l'autre côté de la porte et elle craignait tout ce qu'il allait découler de cette confrontation. 

Depuis le temps qu'elle connaissait cette petite, elle savait désormais que c'était une véritable cocotte minute, prête à exploser à tout moment. Mais, en même temps, comment cela aurait-il pu être autrement avec une famille comme les Latour?  Une famille détruite, reconstruite, malmenée....

Et Alice ignorait tout de cela. Jusqu'à quand Emmanuel l'obligerait à mentir ? Jusqu'à quel point pensait-il la protéger en lui cachant la vérité ? 

Tout lui avouer brûlait les lèvres de Monique mais elle avait fait une promesse qu'elle ne pouvait pas rompre.  Viendrait peut-être le jour où, enfin, elle pourrait se libérer de ses chaînes mais, aujourd'hui, elle était pieds et poings liés. 

Tout à coup, la porte s'ouvrait et Alice se tournait vers son père, assis à son bureau.

- Au revoir, Papa ! 

Elle refermait en claquant de toutes ses forces et se retrouvait nez à nez avec Monique. 

- Ce n'est pas le moment, Monique ! 

Elle levait sa main pour clore tout débat et se précipitait dehors, les yeux humides et retenant ses sanglots. On entendait ses pas rapides sur les graviers et un moteur au loin. 

Monique n'imaginait pas qu'elle ne reverrait Alice que 5 ans plus tard. Elle posait sa main sur la poignée du bureau mais, en entendant Emmanuel de l'autre côté qui semblait encore en colère, elle se ravisait. Il fallait peut être mieux le laisser tranquille pour le moment. 

Sans un bruit, elle se glissait dans la cuisine pour y préparer du thé. 

Tandis que l'eau bouillait, le regard de  Monique se perdait par la fenêtre. Elle repensait à toutes ces années difficiles, à son passé compliqué. La première fois qu'elle avait vu Emmanuel, elle l'avait pris pour un petit con arrogant.  Il était peut être comme ça à l'époque d'ailleurs mais c'était une image qu'il imposait aux autres.

Mais Isabella.... elle, c'était la douceur et la gentillesse incarnées. Deux qualités qui faisaient contraste avec son tempérament de feu qui pouvait se déclencher à tout moment. En même temps, vu ce qu'elle avait vécu, et vu ses...capacités.. il ne pouvait pas en être autrement. 

Monique n'avait pas entendu Emmanuel approcher derrière elle et sursautait quand il se mettait à parler. 

- Je suis désolé...

Elle  se retournait et s'approchait de lui pour prendre ses mains dans les siennes. 

- Tu veux en parler ? 

Emmanuel se libérait de la prise de Monique et s'asseyait sur une chaise en prenant sa tête dans ses mains. 

- J'ai déconné, Monique. J'ai déconné sur toute la ligne. 

Monique prenait place à son tour à côté de lui. 

- Comment ça? 

Il la regardait désormais avec ses yeux baignés de larmes. 

- Elle lui ressemble beaucoup trop. Je n'y arrive plus. Ses yeux, son caractère, sa façon de parler.... Je ne peux plus lui mentir ce n'est pas possible. Et elle ressent ce mal être. 

- Tu penses qu'elle se doute de quelque chose?

Emmanuel secouait la tête. 

- Je n'en sais rien, Monique. Mais elle est très loin d'être idiote. Elle va découvrir la vérité un jour ou l'autre. 

Un silence s'installait entre eux. Le genre de silence pesant et malaisant que personne n'osait rompre. 

La théière se mettait à siffler de toutes ses forces et Monique se levait pour l'arrêter. Elle sortait deux grands mugs du placard et versait le liquide brûlant dans chacune d'elle. 

- Tu penses que Richard va nous retrouver? 

A l'évocation de ce nom, le corps de Monique se raidissait. Elle posait ses deux mains sur le plan de travail et soufflait. 

- Je ne sais pas, Emmanuel... 

Elle se retournait pour poser les tasses sur l'îlot et croisait le regard d'Emmanuel qui semblait dire "sois sincère". 

Elle réfléchissait un instant. 

- Tu le connais mieux que moi. Et tu sais de quoi il est capable. Cela prendra du temps mais il nous retrouvera. Nous devons juste protéger Alice autant que nous le pouvons. Nous en avons fait la promesse. 

- Je sais. Mais Alice est un électron libre désormais et elle est beaucoup trop exposée. Quand elle était ici, je pouvais la garder près de moi, mais maintenant ? 

- Et bien maintenant ça va être difficile mais on va continuer de la surveiller et la protéger. On a déjà changer nos identités, notre passé...  

- Oui mais aujourd'hui, avec tous ces réseaux sociaux, cette notoriété.... nous sommes beaucoup trop connus. 

- Tu veux que j'appelle l'avocat ? 

- Oui. Et appelle Servier aussi. Je dois brouiller quelques pistes et disparaître. 

Monique baissait les yeux. 

- Je me revois il y a quelques années. 

Emmanuel posait sa main sur celle de Monique.

- On a bien fait de tout quitter et de partir avec Alice, tu le sais très bien. Si on l'avait laissé là-bas, elle ne serait plus de ce monde. 

- Mais Isabella? David? Et ... Anna ? 

Quand il entendait le prénom d'Anna, le cœur d'Emmanuel  se brisait en plusieurs morceaux. Mais il serrait les dents et tentait de ne pas perdre la face devant Monique.

- Ils vont bien, je le sais. On les retrouvera bientôt. 

Monique voulait protester mais Emmanuel levait la main. 

- Je retourne dans mon bureau. Appelle l'avocat et le notaire, qu'ils se rendent disponibles ensemble ici cet après midi. 

Sans qu'elle puisse ajouter le moindre mot, Monique regardait Emmanuel quitter la cuisine et se diriger vers son bureau. Son regard se tournait vers une photo sur une des étagères. On y voyait Alice à l'âge de 10 ans sur un cheval et Emmanuel et Monique posaient de chaque côté. Chacun d'eux arborait un large sourire qui était témoin de leur bonheur de l'époque. 

Monique sentait les larmes qui montaient et les chassait d'un revers de main. 

Elle décrochait le téléphone et composait un numéro.

- Allô? Oui, pourrais-je parler à Maître Servier, s'il vous plaît ? "


Reviens NousWhere stories live. Discover now