Le départ

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Le lendemain matin, la maison Banks était théâtre d'un remue-ménage impétueux, et pour cause : la cousine Ruth rassemblait ses affaires sans aucune discrétion. On aurait presque dit qu'elle cherchait même à faire le plus de bruit possible.

- Que se passe-t-il ? demanda Michaël, les yeux à peine réveillés perdus, comme s'il avait devant lui un chien qui se serait brusquement mis à parler.
- Il se passe, commença la vieille dame d'un ton grinçant, que vos deux gouvernantes sont incompétentes !
- Quoi, Ellen ? s'étonna Michaël.
- Mary Poppins ? fit Jeanne sur le même ton.
- Non contente que la première sache aussi bien se servir de fourneaux que moi d'une pipe en bois...
- Charmant... marmonna Jeanne pour elle-même.
- La seconde semble employer son temps à me rendre la vie infernale !
- Que voulez-vous dire ? s'enquit Michaël.
- Eh bien, couina Ruth, en l'espace de quelques jours, j'ai pu constater le trempage régulier de mes draps lorsque je les mets à sécher...
- Ce qui n'a rien d'étonnant étant donné l'averse d'hier, lâcha Michaël.
- La disparition de certains de mes effets personnels tels que mon encrier, qui réapparaissent soudainement dans des endroits insolites comme le placard de ma chambre...
- Et vous pensez que... commença Jeanne, ne pouvant croire une chose pareille.
- Seriez-vous en train de me traiter de voleuse ? intervint Mary Poppins, descendant les escaliers en compagnie des enfants.

Sa voix était calme et pondérée, mais elle serrait les dents, trahissant une vexation profonde.
- Mary Poppins n'est pas une voleuse ! s'insurgea immédiatement Georgie, bien qu'il n'eût pas saisi l'objet exact de la conversation.
- Et qui d'autre alors ? À moins que votre ramoneur pouilleux n'ait suffisamment d'indécence pour pénétrer les appartements d'une dame, en son absence qui plus est...
- Alors qu'il passe ses journées à l'extérieur ? pointa Jeanne. Et Mary Poppins passant les siennes avec les enfants ?
- Et que dites-vous de l'oiseau que j'ai trouvé en plein milieu de ma chambre, ce matin ? continua la cousine, de plus en plus criarde. Sur mon lit ! Pas plus tard qu'hier, j'en ai vu un tout à fait semblable à la fenêtre de cette femme ! Un étourneau dégoûtant, de la vermine pique-assiette à exterminer !
- Voilà que je parle aux oiseaux, à présent ? fit la nounou en levant un sourcil.
- Vous les attirez ! Je l'ai vu !
- C'est ridicule, coupa Michaël avec un petit rire. C'est ridic... (il se reprit devant le regard perçant que lui lança Ruth, et s'éclaircit la gorge pour camoufler son rire) Hum... C'est regrettable.
- Quoiqu'il en soit, je ne passerai pas un instant de plus dans cette maison ! décréta la vieille cousine. Sans compter la qualité discutable de la nourriture... Avec deux salaires, on aurait pourtant cru...
- Jack et moi n'habitons pas ici, rappela Jeanne. J'ai un appartement à l'autre bout de la ville.
- Peu importe ! coupa la cousine en balayant ce sujet qui la dérangeait. Je m'arrangerai avec les Burnans pour un logement, eux au moins savent recevoir... Au revoir !

Sur ces paroles, la porte d'entrée claqua violemment, Ruth s'éloignant dans la rue avec autant d'énergie qu'une femme de son âge puisse y mettre. Le frère et la sœur se regardèrent, réprimant chacun un éclat de rire.
- On se demande pourquoi elle n'a pas fait appel à ses amis plus tôt ! lâcha Michaël après quelques secondes. Tout ça pour des draps...
- Et un encrier ! renchérit Jeanne avec un sourire.
- Un oiseau ! rirent-ils de bon cœur.
- En tout cas, intervint Ellen depuis la cuisine, c'est pas son départ qui me dérange !
- Nous non plus ! signala Jeanne avec entrain.
- Un oiseau... répéta Michaël, retenant un nouveau rire.
- Mary Poppins, intervint John en réfléchissant, c'est vous qui avez fait tout ça ?
- Une personne comme moi, perdre son temps à manquer sciemment de respect à une pauvre femme ? s'offusqua l'intéressée, choquée. Voilà une bien belle idée ! Et pourquoi cela, je vous prie ?
- Parce qu'elle est méchante ? tenta Georgie, n'ayant pas saisi la rhétorique de la question.
- Georgie ! sermonna Annabelle à voix basse.
- Nous sommes désolés, Mary Poppins, s'excusa Michaël. Elle n'a pas été tendre avec vous. Ni avec personne, d'ailleurs...
- C'est le moins que l'on puisse dire ! répondit la nurse, le regard perdu par la fenêtre.

Si un œil attentif avait suivi son regard, il aurait pu apercevoir un étourneau contempler la scène d'un air satisfait avant de s'envoler dans un cerisier. Et si les enfants s'étaient un peu moins réjouis en remontant l'escalier, peut-être l'un d'entre eux aurait-il pu entendre Mary Poppins murmurer "Une bonne chose de faite", un demi-sourire en direction de l'oiseau...

Mary Poppins en coup de vent [TERMINÉ]Where stories live. Discover now