Le château du roi

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Quand ils les rouvrirent, ils se trouvaient à l'intérieur d'une prairie verdoyante, remplie de fleurs, de laquelle un sentier partait vers un immense château. Un amas de maisons qui devaient former un village était visible en contrebas.

- Nos vêtements sont restés les mêmes, cette fois, commenta Bert en tirant sur son béret gris.
- Où on est ? interrogea Annabelle.
- Ça ne vous paraît pas évident ? répondit Bert d'un ton enjoué. Au château du Roi sans cervelle !
- Le vrai ?
- Celui du conte, en tout cas, intervint Mary Poppins avant de se mettre en marche.
- Celui-là ?
- Lui-même, confirma de nouveau la baby-sitter avant de cueillir une marguerite qu'elle épingla à son chapeau. Mettons-nous en marche, j'ai une course à faire.
- Vous voulez de... Mary Poppins ! fit une voix inconnue. Et Bert ! Ça alors ! Ça fait longtemps !

Ces paroles d'accueil avaient été prononcées par un jeune homme vêtu d'un étrange accoutrement : une tunique colorée dont le bas était séparé en quatre parties qui rebiquaient, un pantalon violet bouffant et un bonnet rouge, vert, jaune, bleu et violet, que quatre longues pointes terminées par des grelots faisaient tinter à chaque mouvement. Au-delà de ses habits, un visage long et anguleux piqué d'une fossette indiquait que le curieux personnage ne pleurait pas souvent. Une lueur d'amusement passa dans ses yeux bleus à la vue de l'incompréhension des enfants.
- Bouffon du Roi, pour vous servir ! se présenta-t-il.
Il tira son chapeau à clochettes en une révérence maladroite, découvrant des cheveux blonds en bataille.
- Venez donc faire un tour au château ! dit-il avec enthousiame avant de se mettre en marche.

- C'est vous, la Terreur qui avez éduqué le Roi ? demanda Georgie, qui se rappelait un autre couplet de la chanson de Mary Poppins.
- Pas souvent, répliqua le bouffon.
- Comment ça, "pas souvent" ? Je ne comprends pas.
- On ne me la fait pas souvent, celle-là ! Et pourtant, je suis expert en blagues ! Je veux dire que les gens ne me prennent pas souvent pour lui¹. Et tant mieux ! Il est détestable. Toujours à se croire supérieur à tout le monde... (il plissa le nez de dégoût) Enfin, je ne l'ai jamais bien apprécié. Mais peu importe.

Sa moue se trouva bien vite chassée par un sourire, et il changea le sujet de la conversation jusqu'à l'arrivée au château. Les gardes, voyant le bouffon accompagné, ouvrirent les portes massives du château. Le petit groupe entra dans une pièce richement décorée de dorures et de pierreries, qui disposait pour seul éclairage d'un lustre au centre de la salle, et de flambeaux suspendus à chaque porte. En voyant l'immense salle absolument vide, si ce n'étaient quelques tapis rouges et or et trois tables de chêne rectangulaires, John fut perplexe.
- Ça ne devrait pas être la salle du trône ?
- Mais qui aurait l'idée de mettre sa salle du trône dans l'entrée du château ? nia le bouffon. Non, ça, c'est la salle de banquet, l'entrée, appelez ça comme vous souhaitez.

Le fou du roi se dirigea vers une petite porte située à sa droite, et frappa prudemment.

- Entrez ! retentit une forte voix féminine.

Le fou s'exécuta, suivi du reste du groupe. La femme qu'ils avaient entendu se trouvait assise sur une grande chaise en adamantine -un trône- serti de pierreries et richement décoré. Sa longue chevelure noir corbeau avait été laissée éparse sur ses épaules, et supportait une couronne argentée. Il était difficile de lui estimer un âge : elle avait les traits lisses d'une jeune femme, et l'air austère d'une vieille dame.

- Elvire, nous avons des visi...
- SILENCE ! interrompit la Reine. Je ne t'ai pas autorisé à prendre la parole ! Et je te prierai de m'appeler Votre Altesse.
- Bien, Elvire, renchérit le bouffon avec un sourire malicieux.
- S'il n'en tenait qu'à moi, je t'aurais fait chasser ! s'emporta Elvire. (Son visage se radoucit à la vue de Bert, Mary Poppins et les enfants). Cela faisait bien longtemps que nous ne vous avions pas vus à l'intérieur du royaume. Et je vois que vous êtes en compagnie des charmants enfants Banks.

On s'inclina respectueusement devant la Reine, quand un mouvement attira son attention. Le second trône, doré, etait occupé par un homme à la physionomie comique : petit et bedonnant, ses cheveux roux parsemaient son crâne en touffes inégales, légèrement aplatis à l'endroit où devait se tenir la couronne qu'il ne portait pas. Resté silencieux, il était passé inaperçu jusque là. L'air constamment ahuri qu'il arborait indiqua aux enfants que c'était bien le Roi sans cervelle de la comptine. Il adressa un signe de tête aux visiteurs, sans décrocher un seul mot.

- M'as-tu apporté ce que je t'ai demandé ? demanda alors la reine au bouffon.
- Absolument... pas ! répondit ce dernier, hilare.
- Tu n'es donc utile à rien ! gronda la souveraine. C'est d'ailleurs tout ce que tu vaux !
- Vous dites que je ne vaux rien, répliqua le jeune homme du tac au tac. Or rien n'est impossible. Je vaux donc l'impossible, et c'est pour vous un honneur de vous trouver en ma présence !
- Ton raisonnement est bien étrange, intervint timidement une servante qui portait à la reine un plateau sur lequel reposait une tasse de thé. Te crois-tu donc au Pays des Merveilles ?

Le sourire du jeune bouffon s'élargit alors.
- Nous ne sommes peut-être pas au Pays des Merveilles, Griselda, mais nous avons aussi une reine qui coupe la tête des gens !
- Et je te prierai de partir en vitesse si tu tiens à la tienne, menaça Elvire.

Un vers de la chanson de Jack revint dans l'esprit de Georgie : "Et la Reine dit à ses bourreaux de leur couper la tête". Il fut soudain terrifié.

- Votre sœur m'aime trop, contredit le bouffon. Elle vous en voudrait si vous faisiez du mal à ma jolie tête.

Cette phrase fut ponctuée par un bruit de porcelaine. Griselda, la servante, avait brisé la tasse destinée à la Reine. La jeune fille rougit, bredouilla de vagues excuses et ramassa les morceaux.
- Je suis entourée d'empotés, ma parole, désespéra Elvire. Griselda, rattache-toi les cheveux, pour l'amour du ciel ! Tenez, rendez-vous utiles et faites visiter le royaume à nos invités.

¹ : La Terreur, aussi nommé "petit vaurien", est un personnage d'une comptine populaire anglaise évoqué dans le second film, apparaissant dans le deuxième livre. Lui et le bouffon qui apparaît ici sont deux personnages distincts et ne sont pas la même personne, comme le fait si bien remarquer notre bouffon.

Mary Poppins en coup de vent [TERMINÉ]Where stories live. Discover now