Mary Poppins en coup de vent [TERMINÉ]

Debout ! Au travail !

Les enfants furent tirés du sommeil par le soleil, qui les baigna d'un coup d'une lumière dorée. John chercha la cause de ce réveil soudain, l'esprit encore embrumé par la nuit. Il ne tarda pas à la trouver : une femme adulte, en robe à pois, les cheveux attachés en un éternel chignon brun, venait de tirer les jalousies du store d'un geste énergique, éclairant la pièce. Remarquant que le soleil venait tout juste de se lever, John grogna avant de tourner le dos au volet.
- Il est quelle heure ? marmonna-t-il.
- Suffisamment tard pour que vous vous leviez ! lança Mary Poppins.

Comme pour appuyer sa déclaration, le carillon de Big Ben entreprit de sonner. John renfonça la tête dans son oreiller avec un soupir, sans prendre la peine de compter les coups. Il aurait bien dormi une heure de plus !

Annabelle repoussa ses couvertures et se leva, non sans avoir jeté un coup d'œil rapide au moineau de bois sur sa table de chevet. Il n'avait pas bougé d'un pouce, évidemment. Elle s'auto-réprimanda en pensée. Qu'avait-elle cru ?

Une fois habillés et préparés, les enfants, accompagnés de leur nurse, descendirent à la cuisine. Ils trouvèrent Michaël et Ruth assis à la table, qui semblaient s'ignorer royalement. L'un, une tasse de café à la main, faisait mine d'être plongé dans un relevé bancaire, cachant l'air soucieux qui lui occupait le visage. L'autre buvait un thé mal infusé.
Mary Poppins et les enfants saluèrent chaleureusement la tablée, et si Michaël leur rendit leur salut, Ruth ne prit pas la peine de répondre.
- Vous, ordonna-t-elle à Mary Poppins, rendez-vous utile et faites-moi donc un café. Le thé est imbuvable.
- Je suis la baby-sitter des Banks, dit cette dernière d'un ton léger. Je m'occupe donc d'enfants. Loin de moi tout jugement malavisé, puisque je ne me trompe jamais, mais il me semble que vous avez dépassé cette condition depuis un certain temps. La gouvernante est Ellen, si vous avez besoin de quoi que ce soit.
- Je ne lui demanderai rien ! C'est cette bonne à rien qui a fait ce thé, que je ne donnerai même pas aux chiens clochards !
- Dans ce cas, répliqua la nurse en remplissant de lait le bol de Georgie, on n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Ruth lui jeta un regard mauvais et replongea dans son silence.

- Où est Tante Jeanne ? demanda soudainement Annabelle à son père.
- Et où est Jack ? s'enquit Georgie.
- Bert est allé aider Jack à boucler son service, répondit leur père entre deux gorgées de café. Ça lui permet de terminer plus tôt. Quant à Jeanne, elle dort encore, je crois. Il lui faut du temps pour s'habituer à ses nouveaux horaires.
- Elle, elle a le droit de dormir plus, râla John.
- Parce qu'elle a travaillé tard hier soir, justifia Michaël. Vous étiez dans vos lits depuis longtemps quand elle s'est couchée.

Les trois enfants échangèrent un regard qui eut la même signification pour chacun. S'il savait ce qu'ils avaient vécu... S'ils se gardèrent bien de le dire à voix haute, ils cherchèrent une parole, un geste de Mary Poppins qui pourrait confirmer les évènements de la veille. Il n'en fut rien. Michaël se leva alors, glissa le relevé annoté dans son porte-document et enfila son manteau.
- J'y vais. Je commence un peu plus tard aujourd'hui, mais je préfère y aller avant. Le grand dossier... J'y vais. À tout à l'heure !

Il attacha à la hâte les boutons de son manteau, puis disparut dans le vestibule.
- Michaël, appela soudain Mary Poppins sans lever les yeux du bol.
- Oui ? s'étonna ce dernier.
- Votre porte-documents est resté sur la table. Je préfèrerais me passer du détour à la banque, cette fois.
- Ah... Ah oui, oui, en effet, remarqua le banquier en se précipitant pour récupérer sa sacoche. Merci. Il faut que j'y aille.
- Extrêmement obstiné et dissipé, continua la nurse à mi-voix.

Michaël sourit au rappel de cette phrase familière. Il ne se souvenait plus des circonstances qui avaient mené à sa prononciation, mais la phrase était restée gravée dans sa mémoire. Sur le chemin de la banque, il se retint d'éclater de rire. Ce qu'il avait pu l'être, obstiné et dissipé, enfant !
Un léger sourire relevait encore sa moustache lorsque Michaël poussa les lourdes portes de la Fidélité Fiduciary Bank.