ÉRYTHRÉE LE CROCODILE

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La cathédrale Saint-Furoncle de Clochouilles-en-Biellois est célèbre pour sa façade gothique du plus bel effet, mais aussi et surtout pour ce singulier automate qui en est l'ornement le plus insolite, et que les autochtones appellent Érythrée. Ce rutilant crocodile de bronze, long de quelques neuf mètres, est situé tout en bas de la façade, à droite du portail, et tous les jours à onze heures du matin, il escalade le mur jusqu'à une anfractuosité nichée juste sous le toit, dans laquelle il passe le reste de la journée. Les experts cherchent encore à découvrir le fonctionnement exact du mécanisme qui lui donne des mouvements si gracieusement reptiliens, mais à ce jour nul n'a encore percé son mystère.

Ainsi nommé en référence à Erythraeus, le mythique crocodile ennemi de l'empereur Rondondon, l'automate est probablement censé représenter dans la statuaire cathédrale quelque incarnation du mal, comme bien souvent quand l'imagerie religieuse populaire recycle les légendes locales pour leur faire jouer un rôle qui l'arrange. Les locaux qui connaissent bien l'histoire savent que le véritable Erythraeus n'était pas du tout maléfique, mais que Rondondon, avide de trophées, l'avait pourchassé aux quatre coins de son empire dans l'espoir de s'en faire une parure terrifiante, jusqu'à ce qu'il finisse par lui bouffer la main droite.

Bien des énigmes demeurent sur les agissements d'Érythrée. Par exemple, il grimpe au sommet de la façade tous les jours à onze heures, mais personne ne l'a jamais vu redescendre. Chaque matin, on le retrouve en bas, mais on ne sait pas comment il y est revenu, ni ce qu'il a fait entretemps. Ce qui est certain, c'est qu'on ne l'a jamais vu quitter la cathédrale, vous diront les Bielloclochouillois, dont certains gardent toujours une main dans le dos ou dans la poche. Les disparitions d'enfants, qui furent autrefois monnaie courante dans la ville, ne sauraient être liées à cela. Mais tout de même, les parents qui passent en famille sur le parvis avant onze heures tiennent bien leurs moutards par le bras, et font en sorte de passer à plusieurs mètres.

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