FOLKLORE ET HABITAT DE NOS RÉGIONS

COMMENT APPELER UN CHAT

Il existe à Raminagroville une rue dans laquelle se perpétue une étrange tradition. La rue du Père Lustucru, sise non loin du pont qui enjambe la Bielle, est en effet connue pour la coutume insolite qu'y ont les familles de donner à leurs chats des noms saugrenus.

Tout serait parti d'une première famille qui aurait appelé son chat Rondondon, en mémoire du célèbre empereur tarse qui massacra les Épilobes, et les voisins auraient trouvé la chose si cocasse qu'ils se seraient mis, eux aussi, à affubler leurs félins domestiques d'appellations farfelues. Une famille appela son chat Rondudon, une autre nomma le sien Rondudute, et l'on vit alors fleurir des Dudibon, des Pudibon, des Grubeul, des Crompion, des Marzoufle et des Rondudondudibon.

On imagine sans peine la cacophonie des résidents appelant tour à tour leur chat dans la rue, et combien il leur est difficile de ne pas rire en prononçant le nom du chat. Mais ce petit jeu n'ayant qu'un temps, certains voisins eurent l'idée de pousser la chose à un autre niveau en appelant leur chat Lechat. Aussitôt, une autre famille joua la surenchère en appelant son chat Lechien, puis une autre, la seule à posséder un chien, appela aussi son chien Lechat, et dès lors la confusion fut totale (« Zavez pas vu Lechat ? – Lequel ? – Lechien ou Lechat ? »), jusqu'à ce qu'un vieux célibataire mît le coup de grâce à toute tentative de revenir à la raison en appelant son chat Leschats.

On comprendra aisément que lesdits chats, lassés de ces futilités, ne répondent jamais quand on les appelle de ces noms ineptes. Et quant à ceux qui espéraient, en lisant le titre de ce petit texte, apprendre une méthode sûre pour faire venir un chat quand on l'appelle, par exemple en miaulant ou avec un appeau spécial, nous pouvons leur donner l'axiome suivant :

Le mieux pour appeler un chat et être certain qu'il vienne, c'est encore d'être un autre chat, ou mieux encore, une chatte. Si l'on se trouve dans l'incapacité de satisfaire à cette condition première, on tente toutes les alternatives, comme les familles de la rue du Père Lustucru, et en désespoir de cause, on finit quelquefois par l'appeler (ou surtout pas) Rondondon.