30. Déferlante de larmes

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Speak Loud - TRILLS
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3 septembre 1916, neuf heures et quelques minutes

Je me réveille en sueur après un cauchemar des plus réalistes. Mes yeux sont trempés, j'ai encore pleuré. Tout était comme dans mes souvenirs et les images me terrorisent encore et toujours, me donnant des haut-le-cœur. Les soldats qui hurlaient, qui s'enfonçaient dans les abysses de la mort et étaient tués sans même avoir le temps de prier. Les hurlements stridents et agonisants, les obus, les avions qui survolaient et bombardaient sans pitié ni humanité faisant ainsi périr des milliers d'hommes de leurs flammes. Les corps désarticulés des militaires qui jonchaient les tranchées, les odeurs de putréfaction, la boue, le sang. Tiraillée par ce mauvais rêve, je m'extirpe de mon lit et fonce vers les sanitaires. Je vomis de la bile, fébrile et le souffle laborieux. Mon estomac me fait mal et mon corps est secoué par des spasmes assez violents.

Cette guerre m'a détraqué.

Je m'habille rapidement après avoir fait une rapide toilette et brosse mes cheveux pour faire un chignon assez soigné. Ces derniers collent encore à ma peau, la sueur n'a rien arrangé. Soudain deux coups secs retentissent à la porte. Je me passe de l'eau fraîche sur le visage et descends encore toute perturbée. Une silhouette élancée se dessine à travers la porte d'entrée. Qui viendrait me rendre visite à cette heure-ci ? Le doute s'installe et me tord les entrailles, qui est-ce ? J'ouvre, la peur au ventre et tombe nez à nez avec Faith. Son air orgueilleux et sa moue stricte me font face. Pour être honnête, ceux-ci ne m'ont pas manqué. Son corsage coincé dans sa jupe noire ne cesse de me rappeler que nous ne sommes pas si différentes, elle et moi.

- Bonjour, puis-je entrer ? me demande-t-elle sans douceur. Vous avez une terrible mine, Wilhelmina.

C'est demandé si gentiment...

Surprise, je me contente simplement de me décaler et de lui permettre de pénétrer dans ma demeure. Ma tante me passe devant et observe les alentours d'un regard froid et distant. Je la vois grimacer et contracter la mâchoire. Voilà belle lurette qu'elle n'avait pas remis les pieds ici, peut-être ressasse-t-elle de lointains souvenirs passés en compagnie de mon père ? Lorsque ses prunelles se posent sur moi, je frissonne. C'est alors que je remarque qu'entre ses mains séniles et fines se tient une petite enveloppe en piteux état, les bords ont été déchiré. Serrant les dents, je déglutis et la questionne :

- Que tenez-vous ?

Faith me tend le bout de papier sans piper mot et me toise longuement. J'ouvre l'enveloppe, le cœur au bord des lèvres. Est-ce ce que je crois ?

- Vos amies vous ont répondu.

Je lève les yeux vers ma tante et la détaille d'un air méfiant. Ses lèvres sont craquelées, ses cheveux attachés dans sa nuque, accentuant cette apparence sévère qui lui va si bien. Elle n'a pas d'affaires avec elle, seulement son petit sac en daim et un parapluie au cas où car oui, l'Angleterre est un pays où il pleut beaucoup. Nous sommes sur ce qui, ma foi, s'appelle une île.

- Mais comment avez-vous...

- Je l'ai lu, me coupe-t-elle brusquement, votre lettre est arrivée chez-moi par erreur.

Sans plus attendre, je déplie cette dernière et me mets à la lecture, la boule au ventre et l'anxiété me guettant de très près. Vont-elles bien ? Ont-elles de quoi vivre là-bas ? Beaucoup de questions traversent mon esprit et me rendent nerveuse. D'après l'écriture en italique à l'encre noire sur le papier souillé par la poussière, Eileen et Ambre vont bien et s'en sortent comme elles peuvent. Selon elles, c'est une longue et dure lutte pour un bien durable, espérons.

Nos Cœurs ContrairesWhere stories live. Discover now