5. Intrigue

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Journey Sequence - Max Richter
***

8 juillet 1916, dans la soirée

Épuisée, je prends un petit temps pour moi et souffle quelques instants. Je ne sens plus mes pieds tant les heures passée debout m'ont fatiguée. Je ne sais pas quelle heure il est, les soldats éclopés vont et viennent dans les tentes depuis le début de la journée. Certains y laissent leur vie, d'autres survivent avec des handicaps parfois majeurs.

Essuyant le sang poisseux qui souille mes doigts, je remarque que ces derniers tremblent. J'en ai vu des horreurs depuis le début de la guerre, croyez-moi. Mon corps est faible tandis que mon mental est d'acier et me permet d'encaisser les différents chocs. Jetant un rapide coup d'œil vers les tranchées qui s'étendent sur des kilomètres, j'espère secrètement que Tom fait partie des soldats encore debout...

Oh, mon pauvre Tom... Où es-tu ? Ne laisse pas mon cœur meurtri de la sorte...

Des larmes silencieuses roulent sur mes joues alors que je les essuie d'un geste vif. Mon regard est tourné vers le front où des milliers d'hommes perdent la vie chaque jour pour l'honneur de leur pays mais également pour le leur.

- Willow ?

Me tournant vers la voix, je renifle et me ressaisis.

- Hum ?

Ambre s'approche et m'adresse un minuscule sourire qui suffit à illuminer ma journée.

- Le patient est réveillé et semble paniqué, m'informe-t-elle. Tu devrais venir le voir, il connaît ton visage et je pense qu'il se calmera dès lorsqu'il te verra.

J'acquiesce et la suis jusqu'à la tente, le cœur au bord des lèvres. J'y retrouve Nikolaus et remercie Ambre qui retourne aussitôt à son poste. Le soldat blessé me regarde approcher et reste muet comme une tombe malgré la panique qui semble irradier son être. Cependant, ses iris me scrutent et ses yeux papillonnent. Je viens rapidement poser ma main contre son front afin de relever sa température et constate qu'il en a encore, bien que celle-ci ait baissée depuis son admission ici.

Son regard me déstabilise mais je m'efforce de rester stoïque malgré les battements effrénés de mon cœur. Sa peau sous mes doigts est humide, signe que son corps combat l'infection de sa plaie au crâne, il transpire et tente de se battre contre cette blessure.

Il grogne lorsque je défais le bandage afin de vérifier l'entaille qui le fait souffrir. Elle reste infectée mais ne semble plus saigner, c'est une bonne nouvelle... ! Je remplace le pansement et désinfecte la plaie.

Il m'observe m'occuper de lui et scrute chacun de mes mouvements comme s'il les analysait pour mieux les comprendre. Cela paraît le détendre. Restant silencieux, le soldat fronce les sourcils et pose une main au-dessus de sa jambe immobilisée. Sa respiration devient lourde lorsque je retire l'attelle et examine les différents hématomes qui se sont, pour la plupart, résorbés. Ses yeux m'épient et me suivent lentement mais sûrement.

Nikolaus Hoffmann...

Lui administrant un antidouleur moins puissant que les précédents et lui remettant l'attelle après avoir appliqué une crème de soin, je m'approche une nouvelle fois de lui et tente de lui dire :

- Vous devez reprendre des forces...

Il ne semble pas comprendre, trop affaibli pour assimiler une quelconque information. Je pars alors lui chercher une ration de nourriture et la lui montre.

- Mangez, lui indiqué-je en plongeant mon regard dans le sien.

Interdit, il saisit le bol dans lequel se trouve le repas et picore. Au fur et à mesure qu'il s'alimente, les couleurs reviennent sur son visage et lui donne un air plus gai. Le regardant ainsi, je ressens un immense soulagement.

Et pourtant, c'est un ennemi...

- Ich habe dürste, marmonne-t-il en finissant son plat.

Ne comprenant pas un mot d'Allemand, je m'excuse et pars chercher le petit dictionnaire que j'ai caché tantôt. Il me sera bien utile... Regardant autour de moi, je m'assure que personne ne nous regarde. Peut-être qu'à l'avenir je pourrais lui apprendre l'anglais afin que son identité ne soit pas découverte, qui sait ?

Cherchant vainement un mot commençant par la lettre D, je commence à paniquer : et si une infirmière ou un accidenté ne découvrait que la langue utilisée est de l'Allemand... ?

Dürste veut dire la soif en langue germanique. Je range le dictionnaire dans la poche avant de mon tablier tout en faisant attention aux regards indiscrets.

Me précipitant sur les pichets d'eau qui figurent sur une table quelconque, je remplis une petite tasse en métal et la lui tends, tremblante. Le mystérieux soldat me la prend des mains, nos doigts se frôlent un instant puis, il boit d'une traite et me remercie d'un bref hochement de tête. Je reste un moment en retrait, craintive. Puis lorsque ses pupilles teintées de ce vert émeraude tout bonnement sublime me sondent, une sorte de curiosité s'empare de moi et me pousse ainsi à m'approcher davantage.

Le prénommé Nikolaus Hoffmann me dévisage longuement et demeure silencieux. Les rares fois où j'ai eu la chance d'ouïr sa voix rauque et grave était lorsqu'il se plaignait. Soudain, tout mon entourage disparaît et il ne reste plus que lui, seulement lui. Mon corps est parcouru de frissons, ma peau forme la chair de poule et mon cœur s'emballe dans ma poitrine.

Sans m'en rendre compte, je me suis approchée jusqu'à ce que mes mains se posent sur la surface du lit sur lequel est allongé le militaire étranger. Avalant péniblement ma salive, je tente d'éviter son regard intense mais n'y parviens pas. Je suis comme happée par la beauté de ses yeux, par la force et la faiblesse qui en émane.

Aucun de nous ne parle, seuls nos iris s'attirent pour ne plus se quitter. Ce moment est unique, magique, impossible. Je croirais presque à l'imaginaire.

Les frissons redoublent dès lors que le soldat germanique dépose sa main au-dessus de la mienne et esquisse un faible sourire que seule moi peut remarquer. Mon cœur bondit dans ma cage thoracique et menace de s'en évader.

- Danke.

Merci.

Puis sa main recouvrant ainsi la mienne effleure que très légèrement le dos de celle-ci pour ensuite venir se replacer correctement le long de son corps. Peinant à respirer convenablement, je me tourne dos à lui et observe les différents lits occupés : les autres infirmières s'occupent des miraculés, des soldats tombés trop tôt. Aucune ne semble faire attention à nous, bien trop occupées à effectuer leur travail.

Il faut que je sache quelque chose et vite...

Prenant conscience du danger que je m'apprête à encourir, je fais volte-face, prends une grande inspiration et lui demande :

- Parlez-vous anglais ?

Le prussien se contente simplement de me scruter, immobile.

- S'il vous plaît, répondez-moi...

Ma demande sonne plus comme une imploration.

Il ne pipe mot et demeure lèvres scellées. Une partie de moi meurt d'envie d'en apprendre davantage tandis que l'autre ne souhaite rien savoir sur cet Allemand dont les intentions douteuses pourraient éventuellement mener à ma perte.

Nous continuons de nous regarder jusqu'à ce que les lanternes des tentes ne soient allumées et n'éclairent nos visages. Les flammes de ces dernières se reflètent dans ses pupilles et le rendent d'autant plus intriguant. Les personnes autour de nous s'agitent, de nouveaux soldats blessés débarquent, des lits sont libérés à la va-vite et des plaintes sourdes résonnent dans mes tympans. Et pourtant, rien ne me perturbe si ce n'est que lui.

Nikolaus Hoffmann.

***

BONSOIR !

Vos impressions sur ce chapitre ? Sur Nikolaus ? 🧐💗

Bonne soirée mes petites lunes <3

Nolwenn

Instagram 📸 : Rubism00n

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