13. Course contre la montre

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White flag - Bishop Briggs
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15 juillet 1916, sept heures du matin

Je me fais réveiller par les premières attaques, les premières vagues allant au front. Le front humide, je me redresse et me frotte les yeux. Malgré la faim qui me strie l'estomac, je parviens à me mettre debout et m'activer. Ambre ainsi que plusieurs autres collègues sont déjà en mouvement.

Nikolaus ne dort plus et observe son entourage, silencieux. Aujourd'hui il va falloir qu'il s'entraîne pour retourner se battre. Tant que les soldats sont en état de marcher ou d'utiliser leurs bras, ils sont renvoyés au front.

- Willow ! On a besoin de toi dans les tranchées, dans la dixième division. On manque de personnel ! me lance une de mes collègues, couverte de boue fraîche.

Sans hésitation, je prends le nécessaire et me mets à courir. Sans me retourner, je sens le regard du prussien se poser sur moi alors que je descends rapidement l'échelle, déterminée. Je me fais bousculer, injurier, dévisager. Certains soldats m'adressent des regards compatissants mais ils se font rares.

Les obus et les balles pleuvent et emportent avec eux, les vies de milliers de soldats. De la terre gicle et les cailloux griffent mon visage. Je continue de m'enfoncer dans les galeries et trébuche sur plusieurs corps inanimés et désarticulés. Face contre terre, je pose mes paumes à plat et me redresse en gardant la tête haute ainsi que les épaules en arrière. L'odeur de putréfaction des corps et de la fumée provenant des fusils envahissent mes narines et me donnent des haut-le-cœur. Mais je continue d'avancer peu importe les circonstances. Des soldats agrippent mes chevilles et m'implorent de m'occuper d'eux mais je les ignore et prends sur moi pour demeurer brave.

D'autres obus atterrissent non loin de moi et l'impact me projette quelques mètres en arrière. Mon dos percute le mur fait de terre de la tranchée tandis que je grimace, sentant une vive douleur entre mes omoplates.

Tant que des soldats auront besoin de mon aide, je dois me relever. Je n'abandonnerai pas de sitôt.

Lorsque le drapeau indiquant la zone de la dixième division apparaît, je soupire et m'en approche à pas rapides. Des militaires sont assis à même le sol et s'apprêtent à partir au front. Certains sont blessés mais tiennent encore debout et n'abandonnent pas le combat.

Des guerriers.

Montant l'échelle et m'exposant ainsi aux tirs ennemis, je me précipite vers les tentes et y parviens, hors d'haleine et couverte de terre.

Une vraie course contre la montre.

Mon cœur bat la chamade, mon corps entier est couvert de sueur et je peine à reprendre un souffle régulier.

- Blake, par ici ! m'appelle une infirmière.

Je pose mon matériel sur une table et me désinfecte les mains avec le plus de savon qu'il reste. Arrivant en face d'un soldat dont un bout de l'oreille a été arrachée par un obus, je prends une grande inspiration et analyse la blessure : le sang y est abondant, le lobe n'est plus, je dois stopper l'hémorragie avant que le militaire ne perde connaissance.

- Passez-moi de la cortisone, maintenant ! hurlé-je, sous pression.

Une petite main me passe une seringue remplie. Tout en cherchant la bonne veine, j'entends le soldat grogner de douleur.

- Courage, vous allez survivre.

Puis j'enfonce l'aiguille et pousse sur le piston afin de répandre l'opiacé dans son sang. Automatiquement, l'homme se détend et ferme les yeux. Je peux ainsi travailler tranquillement sur le bout d'oreille arrachée. Désinfectant la plaie puis recousant le lobe à partir du reste, je pose une compresse stérile et enroule un bandage autour de son crâne pour la faire tenir.

Nos Cœurs ContrairesWhere stories live. Discover now