22. Retour à la civilisation

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Turn on Me - The National
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19 août 1916, cinq heures et demi, Douvres, Royaume-Uni

Le navire s'approche lentement des côtes anglaises, les grandes falaises blanches typiques de la ville de Douvres s'offrent à moi. Elles sont sublimes. Le bruit des vagues frappant la coque me bercent alors que nous tanguons gentiment. Plusieurs infirmières ont eu le mal de mer et sont encore patraques depuis le départ. Il fait toujours aussi frais mais à l'intérieur du navire, la chaleur y est plus accueillante. Anxieuse à l'idée de retourner à la civilisation après deux mois auprès du front, je me mordille les lèvres jusqu'à ce que ces dernières deviennent douloureuses et remarque que mes doigts sont engourdis.

Je reviens sur le ponton, m'accoude à une barre métallique et froide puis regarde l'immensité bleue en soupirant. J'aimerais tant que Tom et Nikolaus voient la beauté de la mer, qu'ils sourient et profitent de cette vue si unique, si paisible. En levant les yeux vers le ciel, je constate que le soleil est caché derrière les nuages épais et gris mais quelques rayons parviennent à traverser ces derniers et illuminent l'océan. Soudain, un marine hurle des ordres et me fait de grands gestes.

- Tout le monde à l'intérieur pour l'enregistrement ! Nous arrivons bientôt !

Encore ?

Je me dirige alors vers les portes et entre à l'intérieur du bateau. Un groupe d'infirmières s'est amassé au milieu de la pièce principale devant les généraux et je m'en approche, réticente. Une des infirmières me sourit faiblement alors que je me poste à ses côtés. Son regard se pose alors sur les deux plaques militaires qui entourent ma nuque et son sourire s'efface aussitôt.

- Je suis désolée, me souffle-t-elle discrètement.

Je déglutis et la remercie d'un petit hochement de tête.

- Qui avez-vous perdu ? osé-je, le cœur tambourinant douloureusement contre ma cage thoracique.

La femme soupire et me montre ses doigts où une magnifique bague de fiançailles entoure l'un d'eux. Elle comporte un diamant central et une rangée de plus petits scintillants et blancs tout autour de l'anneau en argent.

- Mon fiancé. Il est mort alors qu'il s'apprêtait à effectuer une action...

K.I.A, Kill In Action.

Mon Dieu.

Puis elle pose une main sur son ventre et sourit tristement, l'air nostalgique. Elle déclare d'une voix éraillée voire cassée :

- Je suis enceinte de quelques semaines, il ne l'a pas su à temps.

Je tente de rester stoïque mais mes yeux me piquent et me font mal. Cet enfant ne connaîtra donc jamais son père. Durant toute sa vie, on lui dira que ce dernier a servi son pays, qu'il a été tué en le défendant tel un héros. On lui montrera des photos, des documents ou je ne sais trop quoi. Mais rien ne pourra remplacer la présence physique de son père...

- Je suis navrée...

L'infirmière opine du chef et se frotte les yeux, éreintée et attristée.

- Oh vous savez, nous avons toutes perdues un être cher ici. Hélas, seuls le deuil et la tristesse nous unissent.

Elle n'a pas tort. Alors que j'allais lui répondre, un général annonce de sa grosse voix :

Nos Cœurs ContrairesOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz