L'ISOLÉ

Nuit 4

Juste avant les départs du soir, le chef nous a tous réunis dans la salle de réunion. Tous les gardiens s'assoient autour d'une table, pour ma part, je reste debout à côté de mon père. Il m'a bien rappelé juste avant qu'il serait mieux que je ne dise pas un mot.

« Bon, ça va sûrement vous rappeler de mauvais souvenirs pour ceux qui sont là depuis très longtemps. »

Tout le monde est concentré sur ses paroles. Pendant ce temps, j'observe chacune de leur réaction.

« Le numéro 63 est plus complexe qu'il n'y paraît, vous n'êtes pas tous au courant, mais il complique les choses à causes des crises qu'il a la nuit. On a été obligé de le mettre dans une chambre à part. »

Rick se tourne vers moi. Oui, le on c'est moi, en fait, il l'a bien compris. Il frotte son menton et se re-concentre sur le chef.

« Il a besoin de notre confiance et notre soutien. Pour cela, je vais vous épargner de jouer les gardes du corps, c'est Jason qui s'en occupera, quoi que 63 fasse, ce sera à lui de tout gérer pour sa progression. Et si Jason n'est pas là, ce sera à moi de m'en charger. »

Certains gardiens se jettent des coups d'œil pendant que Rick rigole seul de son côté. Il tourne la tête pour regarder ailleurs. Je ne vois pas ce qui le fait tant rire. Il voulait s'en occuper lui-même ? Il garde son sourire quand il s'adresse à nous.

« Et pourquoi lui ?

- C'est plus facile pour 63 de se confier à quelqu'un de son âge.

- C'est ridicule. »

Personne ne posait problème jusqu'à présent, il était obligé de l'ouvrir pour se faire remarquer, comme à son habitude.

« Tu sais très bien comment ça va finir, Mike, tu es le mieux placé pour le savoir.

- Je sais bien. C'est pour cela que je ne vais pas trop m'éloigner pour être sûr que ça ne recommence pas.

- Tu ne sais pas ce que tu dis. Tu mets le nouveau dans une situation hyper complexe. Même toi tu as eu du mal à gérer ça quand ça t'es arrivé.

- Rick, je sais, merci. Mais le cas de Jason est bien différent du cas que j'avais.

- Mais vous allez le laisser faire, vous ? »

Il s'adresse à tous les autres qui ne lui répondent rien. Parler comme ça au chef, il faut en avoir des belles.

« Rick, ce n'était pas sensé déclarer une guerre ce que j'ai dit. Tu auras juste à te concentrer sur les autres et plus 63.

- Bah ouais, il te posait problème, non ? »

Un gardien se mêle à la discussion. Rick a l'air encore plus énervé et se lève de sa chaise.

« Toi, il ne me semble pas t'avoir demandé ton avis.

- Mais, tu es tout le temps en train de te jeter dessus au moindre de ses gestes. Au moins, maintenant tu auras la paix.

- La paix ?

- C'est bon, ça suffit ! »

Mike est obligé d'intervenir. Même si le gardien restait calme, Rick, lui par contre, commençait à vraiment bouillir.

« S'il y a le moindre problème, vous vous doutez bien que je vais intervenir. Mais pour l'instant on fait comme ça. »

Mike tape sur la table pour annoncer la fin de la réunion. Rick sort le premier, comme un élève un peu trop pressé de quitter l'heure de cours après la sonnerie. Il ne reste plus que mon père et moi.

« Merci.

- De ?

- Ne pas être intervenu. Je savais que Rick allait mal réagir.

- Pourquoi ? »

Il me tape l'épaule et regarde le plafond pour fuir mon regard un peu trop forcé.

« Pourquoi il n'est pas content que ce soit moi qui m'en occupe ? Il passe son temps à le maltraiter, il ne l'aime pas, ça se voit.

- Jason, Rick est là depuis autant d'année que moi, il a ses raisons.

- Et je ne peux pas les savoir ? »

Sa respiration s'amplifie.

« Occupe-toi de 63, et ne fais pas attention à lui. »

J'écoute ses ordres et fonce dans le dortoir récupérer Styles.

La soirée est moins animée que celle d'hier, et heureusement pour lui. Il reste sage, je suis limite étonné qu'il m'accepte encore aussi proche de lui après ce que je lui ai fait. Il est incroyable.

Je me concentre surtout sur ce que nous avions commencé la nuit dernière : le touché. Il avait seulement posé le bout de son index sur ma paume, mais ce geste est venu de lui, ce qui est un immense progrès.

Je m'approche, je me recule, je re-tente puis je re-recule. Ce n'est pas encore très facile mais on y arrive. Le seul contact qu'on a ce soir est fait par le bout des doigts. Encore, mais cette fois-ci tous les doigts. Il approche sa main de la mienne mais toujours un peu timide.

Je lui raconte la discussion qu'on a eu tout à l'heure avec tous les gardiens ce qui le soulage petit à petit.

« Rick n'est plus sensé venir te voir. Maintenant, tu seras toujours avec moi. »

J'ai l'impression que ce n'est pas la première fois que je lui dis ça, mais il est toujours aussi content de l'entendre.

Je suis épuisé de la nuit dernière alors je ne tarde pas. C'était une soirée douce et sans conflit. Savoir qu'à partir de demain il ne sera plus qu'à moi, j'ai déjà hâte, même si je ne pense pas que ça va changer grand chose. Le fait que tous mes collègues soient au courant de ça, ils ne vont plus me regarder de travers quand je passerai à côté d'eux, au moins, ça, ça va changer. Mon père me soutient, mais pour combien de temps ? Après tout, je me sens bien capable de m'en occuper comme il se doit, je n'ai pas vraiment eu de problème jusqu'à présent, mais plutôt que des bonnes nouvelles.

Affaire à suivre.