L'arrivée des nouveaux

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Aujourd'hui, c'est mon premier jour. J'ai enfin fini cette formation qui commençait à être pesante. Les gens étaient pesants. Tout me pesait là-bas. Rien n'allait. Et juste le fait d'y repenser ça me remet en rogne. Mais aujourd'hui, je dois être sérieux. Premier jour et en plus accompagné de mon père car oui, je travaille avec lui. Je ne sais pas si ça restera une bonne idée très longtemps. En tout cas, j'ai hâte de commencer.

Mike, mon père, est toujours très droit dans ce qu'il fait et je sens que si je fais un pas de travers, il sera derrière moi pour me botter les fesses. On ne voit pas du tout les choses de la même façon. C'est ça qui me fait peur dans 'travailler avec lui', l'asile de fou en lui-même ne me provoque même pas un frisson.


Enfin arrivés, la bâtisse est effrayante vue de l'extérieur, je ne suis jamais entré dedans encore, je n'avais pas le droit, même si mon père aurait adoré me former lui-même. Une fois à l'intérieur, je m'attendais à voir toute sorte d'engin de torture, même si j'ai bien appris durant ma formation que ce n'était pas par la violence qu'on allait les aider. En tout cas, ça ressemble plus à un hôpital qu'autre chose. Tout est froid. Les murs, les tenues, l'ambiance, rien ne donne envie de sourire. Pourtant je ne veux faire que ça, sourire ! Je suis tellement content d'enfin commencer mon métier.

« Jason, mon fils, votre nouveau collègue.

- Salut Jason ! J'espère que tu garderas ton sourire, on finit par le perdre avec l'expérience tu verras. »

Il essaye de me faire peur ? Parce que si oui, c'est loupé.

« Non, t'inquiète pas. Ma bonne humeur est l'une de mes plus belles qualités.

- Tant mieux le nouveau, on aura besoin de toi souvent alors. »

Je suis sûr que, même sans expérience ou en tout cas bien moins qu'eux, je serai bon.


Mon père, qui est aussi le chef des gardiens, me présente à quasiment tout le personnel. On est beaucoup plus nombreux que je ne l'avais imaginé. Mis à part la psychologue et tous les gardiens responsables de toutes les salles, beaucoup de médecins sont présents pour les malades. Ça ne doit pas être facile pour eux de s'occuper de fous, enfin plutôt des enfermés ou désorientés ou je ne sais quel mot encore que l'on m'a demandé de dire à la place de fou. C'est très compliqué de définir ces gens qui ont tous l'esprit ailleurs.


« Alors, des nouveaux ?

- Un jeune que l'on a récupéré dans la rue tôt ce matin. On ne sait pas vraiment ce qu'il cherchait mais il avait l'air perdu.

- Le jeune qu'on recherche depuis plusieurs semaines ?

- C'est exact. »

La tranche d'âge se fait d'environ 30 à 65 ans normalement, celui-là a seulement 26 ans. On peut dire qu'il entre quand même dans la moyenne. Je suis mon père qui se rend dans la salle avec tous les dossiers de tous les patients, une étagère pour les partis et une autre avec les toujours présents. Celui du nouveau est posé juste à côté de l'étagère des présents.

« Et merde, il ne va pas nous faciliter les choses celui-là. »

Il a l'air vraiment perturbé par le dossier de ce jeune, ce n'est pas à son habitude.

« Qu'est-ce qu'il a ?

- Jason, je t'interdis d'approcher cet homme. C'est compris ?

- Mais pourquoi ?

- Tu es la proie parfaite. Crois-moi, je les connais ces enfoirés. »

Enfoirés ? Mais qu'est-ce qui lui prend ? Il n'a jamais mal parlé comme ça d'un malade, en tout cas jamais quand il m'en parlait à la maison.

Il me passe le dossier pour me laisser le lire. La première chose que je regarde, c'est la photo du pauvre gars. Il est jeune en effet, pas moche c'est dommage qu'il ait fini ici. Des cheveux bouclés, les yeux verts et le visage assez sculpté. À première vue, il n'a pas du tout l'air méchant, si on m'avait dit que cet homme était enfermé dans un asile de fou, je n'en croirais pas un mot. Et pourtant je tiens bien son dossier. Je tourne les yeux vers la droite et lis un nom : « Harry Edward Styles. » Je regarde mon père qui est toujours à côté de moi, appuyé contre un bureau, les bras croisés.

« On s'en fout de son nom, concentre toi plutôt sur pourquoi il est là. »

Je baisse le regard et vois marqué juste en dessous de son nom ces mots inimaginables à première vue.

« Viols sur mineurs ?

- Voilà pourquoi il serait préférable que tu te concentres plus sur les plus anciens.

- Mais papa, je ne suis pas mineur.

- Tu es le plus jeune d'entre nous. Nous, on a tous dépassé la quarantaine alors que toi, tu arrives comme ça avec ta belle peau lisse et ta barbe bien taillée, tu penses qu'il va faire quoi à ton avis ?

- Je n'ai absolument pas l'intention de me laisser me faire approcher d'aussi près, et si tu me regardes bien, tu peux voir que ton fils est assez grand, fort et intelligent pour ne pas se faire avoir par un de ces mecs tarés.

- J'espère que tu as raison. Bon courage fils. »

Il me tape sur l'épaule et sort de la pièce. Sans déconner, il a vraiment peur pour moi ? Je continue de regarder quelques dossiers pour prendre connaissance des enfermés. Il y en a qui sont ici depuis plus d'un an, ça doit être dur.


Je décide après avoir fouillé quinze dossiers de sortir et voir comment les journées se passent. 11:37. La grande salle carrée, qu'ils appellent 'la cour', donne l'impression d'être vide alors qu'elle est  remplie d'habitants. Me voilà enfin en contact avec ces personnes que j'attendais de rencontrer depuis si longtemps. Ils ont chacun leurs occupations bien à eux. Certains sont assis sur des chaises et parlent entre eux de je ne sais quel sujet de conversation des esprits comme eux peuvent avoir, un autre appuyé contre le mur qui regarde droit devant lui alors qu'il n'y a rien, d'autres assis ou debout qui dévisagent les passants, et des groupes qui jouent aux cartes. 'Le jardin' est fermé la matinée mais ouvre à partir de 14:00. Donc ils sont tous là ? Il y en a beaucoup moins que la tonne de dossiers que j'ai vu tout à l'heure. Non, Il en manque ce n'est pas possible. Je ne vois pas le jeune nouveau.

Je continue ma petite visite des lieux sans croiser une seul fois mon père. En sortant de la cour, j'entre dans une deuxième salle plus petite mais toujours aussi sinistre. Ils pourraient mettre de la déco ou même de la peinture plus colorée, tu m'étonnes qu'ils sont toujours fous ces pauvres gens. Vue de l'extérieur sans les connaitre, leurs attitudes et expressions du visage ne m'aident pas à savoir qui est en phase de guérison. Deux gardiens sont déjà présents dans la pièce. Je cherche, je cherche, et je le trouve enfin. Il est assis par terre devant un carton, des cartes à la main. Deux autres hommes sont autour du carton avec lui. Une boucle tombe sur son front et il passe son temps à la remettre en arrière mais elle retombe à chaque mouvement. Il fronce le nez toutes les dix secondes et lèche sa lèvre inférieur chaque fois qu'il pose une carte sur le plateau. J'observe chacun de ses faits et gestes et finis par croiser son regard. Il reste immobile sans bouger ni faire attention à ce que l'homme à côté de lui lui demande. Il ne me lâche pas du regard, c'est limite flippant. Peut-être que mon père savait à qui on avait affaire avant même de le voir en vrai ? Ça fait tellement longtemps qu'il travaille avec eux. Ses yeux verts fixés sur moi me mettent vraiment mal à l'aise.

Je quitte la pièce l'air de rien. Je préfère surveiller la cour principale en attendant l'heure du déjeuner.

L'ISOLÉWhere stories live. Discover now