Sophie : Chapitre 23

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Derrière la vitre de sa chaise à porteurs, la Sorcière des Landes m'adressait un regard perçant. Son énorme oeil fardé de vert aux longs cils noirs disparaissait derrière un nuage de plumes qui tombaient de son chapeau. Elle dissimulait à demi sa bouche vermeil derrière un éventail, à la façon des grandes dames de la Cour. Mais même ainsi apprêtée, elle restait terrifiante.

- Merci d'avoir porté mon message à Hauru, lança-t-elle d'une voix mielleuse.

Je ne répondis rien, et lançai un coup d'oeil inquiet au chien. Elle semblait entièrement satisfaite d'elle-même, comme si me prendre de haut était la chose la plus naturelle au monde. Si elle savait que le papier qu'elle avait glissé dans ma poche était arrivé à destination, elle devait être en capacité de découvrir le subterfuge d'Hauru. A moins que le sorcier disposât de pouvoir plus puissants qu'il ne me l'avait affirmé le matin-même. Je priai intérieurement pour qu'il ait fait preuve d'une modestie inattendue, même si je le soupçonnais d'en être fondamentalement incapable.

- A propos, continua la Sorcière comme si elle bavassait dans un salon mondain, comment va-t-il, ce cher garçon ?

Elle ne semblait pas réellement vouloir prendre de ses nouvelles. Je détestai immédiatement le ton qu'elle employait pour parler de lui : supérieur, méprisant, et possessif. Comme s'il s'agissait de sa propriété.

- Ce cher garçon (je pris un malin plaisir à employer ses propres termes) tremble de peur.

Délibérément, j'adoptai une attitude détachée. Il ne fallait pas que je laisse paraître mon trouble. Et puis, qu'avais-je à craindre ? La Sorcière m'avait déjà transformée en vieille femme. Je ne représentais aucun intérêt à ses yeux.

- Et moi, continuai-je, pour gagner ma vie j'ai changé d'emploi : je suis femme de ménage.

La Sorcière des Landes ricana avec dédain.

- Comme c'est amusant !

Pas contre, il était primordiale qu'elle ignore la raison de ma venue. Elle savait parfaitement que je n'étais pas la mère d'Hauru mais une pauvre chapelière de province. Et la Sorcière des Landes, je l'avais compris au le moment où je l'avais vue, ne perdrait jamais la moindre occasion de faire payer à Hauru l'affront de sa fuite.

- Peut-on savoir quel mauvais vent t'emmène jusqu'au palais du roi ?

Je réfléchis à toute vitesse. Peu importait le sort qu'elle me réservait, elle pourrait toujours faire pire. Mais Hauru, lui, devait être placé hors de portée de sa malveillance. Il ne fallait pas qu'elle me soupçonne d'être encore en contact avec lui.

- Je cherche un nouveau travail. J'en ai assez d'être au service de Hauru. Et vous-même ?

J'avais compris très tôt que pour détourner l'attention des gens, il fallait leur parler d'eux-même : personne ne résiste jamais à la passion qu'il se porte.

- Moi, c'est Sa Majesté en personne qui m'a invitée, dit la Sorcière avec un orgueil non-dissimulé. En définitive, cette sombre idiote de Suliman semble avoir besoin de mes pouvoirs.

Mais qui diable était cette fichue madame Suliman ? Qu'avaient-ils tous avec elle ?

- Vous pourriez en profiter pour me délivrer du mauvais sort que vous m'avez jeté ! lançai-je avec agressivité.

Qui ne tente rien n'a rien. La Sorcière ne put retenir un sourire narquois.

- Ça, ma chère, c'est impossible. Moi je jette les sorts, je ne les défait pas. Au revoir !

A ces mots, elle referma le rideau noir en éclatant de rire. Je la haïssais du plus profond de mon être. Cette femme-là était le mal incarné. Comment Hauru avait-il pu éprouver la moindre attirance pour elle ? Certes, elle était belle, mais ô combien terrifiante. Ses goûts en matière de femmes en indiquaient sans doute beaucoup sur la nature de son âme à lui : perdue.

Le Château AmbulantDonde viven las historias. Descúbrelo ahora