Sophie : Chapitre 2

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Les ruelles  entre les anciennes maisons à colombages semblaient se faire plus étroites au fur et à mesure que j'avançais. Je tournai à droite, puis encore à gauche. Cela faisait deux fois que j'arrivais à cet endroit. Au loin, la musique du défilé me narguait, et pourtant impossible de savoir où je devais aller. Rapidement, je tombai sur une minuscule place pavée, où s'entassaient à même le sol les sac des militaires. Je vis dépasser des baguages des fusils rutilants et des baïonnettes. Un frisson glacé me parcourut. J'avais les armes en horreur, et la réalité de la guerre imminente se faisait on ne peut plus flagrante à ce moment précis. C'était comme si on cherchait à dissimuler la vérité. Mais je la voyais bien, moi, contrairement aux autres. Julie, Meg, Maud... Comment faisaient-elles ? Quelque part, je les enviais, d'avoir les épaules si légères. 

Je continuais durant quelques minutes.  C'était incompréhensible ! J'étais déjà venue ici, seuls les bruits des oiseaux me parvenaient  et les indications inscrites par Lettie sur ce fichu bout de papier ne mentaient pas...

- Hé !

Je relevai la tête, confuse : je venais de renter dans un soldat. Il était beaucoup plus grand que moi, et affichait cet air amusé qui m' insupportait. 

 - Alors, elle cherche son chemin la p'tite souris ? Elle est perdue ? 

- Mais non, pas du tout, mentis-je. Je sais tout à fait où je vais !

- Hé, lança-t-il à son collègue, un brun moustachu qui avait l'air sot, regarde ce que j'ai trouvé !

Je me raidis.

- C'est vrai qu'elle est mignonne, la p'tite souris !

- Tais-toi, rigola son collègue, tu vois bien que tu lui fait peur avec ta grosse moustache !

Une petite voix dans ma tête me souffla que la situation m'échappait. Complètement. 

- Dis, tu ne voudrais pas venir avec nous à l'intérieur ? On a du thé bien chaud, on serait ravis de t'en offrir une tasse ! 

- Non merci, j'ai des choses à faire, je suis pressée, je...

Je tentais de paraître ferme mais ma voix faisait de désagréables trémolos.

- Tu as quel âge ? Tu habites par ici ? s'enquit le premier militaire, le plus souriant (ce qui n'était absolument pas rassurant). 

J'étais coincée dans une pauvre ruelle perdue je ne savais où avec deux imbéciles qui...

- Laissez-moi passer ! m'écriai-je, bien moins fort que je l'aurais voulu. 

- Tiens, elle est encore plus jolie quand elle est en colère, dit le moustachu, l'air appréciateur. 

Je commençais à paniquer, mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine...

- Pardonnez-moi de vous interrompre, lança une voix masculine et douce derrière-moi. Où étais-tu, toi ? Je te cherchais.

Je mis quelques secondes à comprendre que c'était à moi que l'on s'adressait. Une main fine et pâle se posa sur mon épaule : je tressaillis. 

- Et vous, vous êtes qui ? grogna le militaire.

- Son chevalier servant, répondit celui qui était venu à mon secours quelques secondes plus tôt. 

J'osai enfin tourner la tête. À côté de moi se tenait un jeune homme,-je lui donnais vingt-cinq ans tout au plus. Il était grand et mince, des cheveux blond clair encadraient son visage fin sur lequel se peignait une moue amusée. Ses yeux me troublèrent quelques instants ; ils étaient plus clairs que je n'en avais jamais vu. Une myriade de minuscules étoiles semblaient scintiller à l'intérieur. L'inconnu était d'une beauté sidérante, pourtant je ne pus m'empêcher de me sentir effrayée. Il portait des vêtements simples, mais sa cape aux losanges bordés de dorures indiquait une origine sans doute noble. 

- Vous, continua la jeune homme à l'attention des soldats, quelque chose me dit que vous avez envie de vous dégourdir les jambes.

Du bout de son doigt, orné d'une bague d'argent sertie d'une pierre écarlate, il décrivit un petit cercle. Aussitôt, les deux soldats s'éloignèrent derrière nous, leurs jambes semblant ne plus leur obéir. Estomaquée, je constatai qu'aucun son ne franchissait mes lèvres. J'étais à la fois terrifiée et fascinée.

- Il ne faut pas leur en vouloir, mademoiselle ;  au fond, ce ne sont pas de mauvais bougres, dit-il dans un souffle. 

Pour la première fois, il m'avait regardée. J'étais pétrifiée. Que ce passait-il ? J'aurais dû être reconnaissante, pourtant je ne pouvais m'empêcher de rester méfiante. Il me regardait toujours.

- Où allez-vous ? poursuivit-il d'une voix séduisante. Votre chevalier servant est là pour vous escorter...

Mon cœur eut un raté, maintenant plus de doute, j'étais terrorisée.

- Ne... ne vous donnez pas cette peine, bafouillai-je, je vais seulement chez Caesari .

- Faîtes comme si de rien n'était, chuchota-t-il soudain, nous sommes suivis. 

Il me prit le bras, me soulevant presque -j'étais trop abasourdie pour protester- et m'entraîna contre lui dans les ruelles, marchant de plus en plus vite.

- Navré de vous entraîner dans une histoire qui ne vous concerne pas, s'excusa-t-il, un sourire poli sur le visage, alors que nous nous engagions dans une ruelle particulièrement sombre et serrée. 

Nous nous miment alors à courir, tandis que d'énormes  formes sombres coulaient des murs, fantômes à l'aspect gluant et morbide. Qu'est-ce que c'était que cette horreur ? Non, ce n'était pas en train de m'arriver à moi ?...

- Par ici, lâcha celui que se disait être mon chevalier servant, en bifurquant brusquement à gauche. 

Je remarquai avec horreur que les formes dégoulinantes, nous poursuivant, arrivaient à présent aussi en face de nous. J'entrevis avec horreur le moment où nous allions nous écraser contre eux. 

Je tentai de me raccrocher à une once de rationalité, quand soudain, mon ravisseur accéléra. 

Nous allions mourir ?

- Accrochez vous ! cria-t-il en m'attrapant par la taille.

- AAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHH ! hurlai-je lorsque son bras me serra délicatement juste en dessous de ma poitrine et que nous nous élevâmes brutalement dans les airs. 

Je contemplai avec terreur les toits des maisons de la ville... 

... à dix mètres au-dessous de nous.



Le Château AmbulantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant