Sophie : Chapitre 21

361 22 5
                                    

Lorsque je m'éveillai, le lendemain matin, il était encore très tôt. Impossible de dormir plus longtemps. Hauru était-il déjà reparti je-ne-sais-où ? Je me surpris à espérer qu'il soit encore au château. Après tout, les évènements de la veille devaient justifier un repos forcé. Je remplis la réserve de bûches pour Calcifer, qui entrouvrit ses yeux enflammés et les planta dans les miens. 

- Il dort toujours. Tu devrais aller le voir, je crois. 

J'acquiesçai. Parfois,  Calcifer semblait presque capable de lire dans mes pensées. Je surpris dans son regard une lueur amusée et mélancolique. Les démons rêvaient-ils parfois ? J'ajoutai cette question à la liste de celles que je n'oserais jamais leur poser. On devrait toujours se méfier des sorciers. 

Je préparai une tasse de lait chaud, le remède contre tous les maux que nous refilait systématiquement notre mère, à Lettie et moi, quand nous étions petites.

Je partis en quête de la chambre d'Hauru, réalisant une fois parvenue à l'étage que je n'y avais encore jamais pénétré. Il m'avait toujours interdit d'y mettre les pieds ; encore une manie étrange qui m'avait agacée. Un fois devant la porte, j'hésitai quelques instants, avant de l'ouvrir doucement. 

- C'est Sophie, j'entre. 

La pièce était encombrée par des milliers d'objets hétéroclites, de gri-gri, des instruments de géométrie ou de navigation, des parchemins, des bijoux, des bibelots, des vieilleries, des tableaux, des lustres, des cristaux suspendus à des plumes qui pendaient du plafond ; des métronomes, des animaux empaillés, des fleurs étincelantes de verdure par je ne sais quel sortilège, des masques, une quantité d'horloges qui n'indiquaient pas la même heure, des couronnes, des perles et des coquillages...  

Au milieu de ce bazar enchanté trônait un lit, décoré de riches tissus aux motifs floraux, dans lequel, vêtu d'une chemise blanche immaculée, Hauru dormait, les yeux fermés. Sa bouche à peine entrouverte était le seul signe indiquant qu'il n'était pas mort. Il était parfaitement immobile, comme une statue. Sa beauté avait quelque chose d'hypnotisant. C'était la première fois que je le voyais ainsi, paisible, avec une certaine simplicité, dépourvu de ses ornements habituels. Je m'approchai de lui. 

- Tiens, murmurai-je. Un bol de lait chaud. Ça te fera du bien. 

Il secoua la tête. Evidemment, même dans un moment pareil, il refusait de s'alimenter. Je posai la tasse sur la table de chevet, qui était encombrée de livres et d'un télescope, ainsi que de cartes à jouer. 

- Je le pose là. Bois-le tant qu'il est chaud, ordonnai-je doucement. 

Je m'écartai de lui. Son indifférence aurait pu me blesser si je n'y avais pas été habituée. 

- Ne t'en va pas. 

Je me figeai. Il daignait m'adresser la parole ? 

- Sophie, ajouta-t-il, comme pour me confirmer qu'il entendait mes pensées. 

Je lâchai la poignée de la porte.  

- Tu veux boire ton lait ? 

Il répondit par la négative. Exaspérant. On aurait dit  un enfant capricieux. Finalement,  voilà comment résumer l'incident de la veille : un caprice. Venant d'un garçon qui par ailleurs, avait la réputation de dévorer les coeurs. Charmant. 

Je m'assis à côté de lui, sur un tabouret en bois qui s'était déplacé tout seul à mon approche.(J'y étais habituée, maintenant). Un tintement attira mon attention : au-dessus du lit, un étrange mobile composé d'objets, de cristaux, de perles et d'une hélice, comportait une pierre d'un rouge sombre qui s'agitait toute seule. L'hélice se mit à tourner dans tous les sens. 

Le Château AmbulantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant