Sophie : Chapitre 9

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Je continuais à gravir le sentier jusqu'au soir, de plus en plus abrupte. À présent le soleil avait presque totalement disparu derrière les montagnes, la température avait chuté de plusieurs degrés et le vent se faisait de plus en plus insistant. J'enfonçai mon nez dans mon châle (quelle bonne idée de l'emporter j'avais eue !)

- Je suis gelée moi... Cette maudite ville ne s'éloignera donc jamais ?

En effet, à chaque fois que je tournai la tête vers la vallée, je voyais encore les toits de la ville en contrebas. Soudain, je me rendis compte que cet imbécile d'épouvantail me suivait toujours, à raison de nombreux petits sauts énergiques. Quelle plaie ! 

-  Arrête de me suivre, tu ne me dois rien, rien du tout ! Au bout du compte, tu es sûrement l'œuvre d'une sorcier ! criai-je, chevrotante. Je te remercie, mais j'ai eu ma dose de charmes et de sortilèges pour aujourd'hui ! Alors va te planter ailleurs et laisse-moi tranquille !

Ne m'écoutant pas le moins du monde, cet énergumène sautilla  jusqu'à moi. Je lui tournai le dos, mais il eut vite fait d'arriver à ma hauteur. Il laissa alors tomber devant moi une petite canne à la poignée ouvragée. Epuisée, je m'arrêtai et levai la tête vers lui.

- C'est tout à fait la canne qui me fallait, fis-je, adoucie. Merci de tout cœur.

Le vent hurla encore plus fort. Mon dieu !

- Et puisqu'on y est, ajoutai-je malicieusement, je n'ai nulle part où passer la nuit, alors s'il te venait une petite idée...

Mais il fit volte-face et s'éloigna. Je lui adressai un signe de la main et continuai mon chemin, balayé par le vent féroce. J'aurais au moins essayé ! Et puis, je possédais une belle canne, maintenant.

J'entendis tout à coup un vrombissement puissant venu du ciel. Je levai les yeux et vis avec stupeur un énorme bombardier, aux dizaines d'hélices et aux canons redoutables. 

- Gigantesque...

Il disparut entre les nuages. J'avançais en me disant que jamais je n'aurais imaginé que la vieillesse puisse nous affaiblir à ce point...

Éreintée, je m'assis sur le sol. Le vent me harcelait, la nuit était tombée et mon corps me faisait mal.


Une odeur de fumée envahit soudain l'air autour de moi. Cela sentait le métal rouillé, la graisse de machine et le feu de bois. Un bruit terrible, auquel se mêlait, menaçant, celui du vent, comme le grincement de dizaines de portes sur leurs gonds. On aurait dit que des milliers de rouages grinçaient en même temps, musique orchestrée par un vieux mécanicien.

Et à cet instant surgit devant moi une titanesque machine. De la vapeur s'en échappait, elle faisait un bruit infernal et était constituée d'une multitude de pièces comme empilées les unes sur les autres. Il y avait des cabanons en bois, des cheminées de brique, des tôles de zinc ou encore des plaques de fer. Le monstre était à la fois une merveille d'ingéniosité et un enfer de complexité mécanique. Cela semblait bien trop lourd et bancale pour avancer de la sorte : quatre pattes, comme des griffes de poule, soutenaient et faisaient progresser sur le chemin le légendaire Château Ambulant du sorcier Hauru.

Mon pouls s'accéléra, je n'en croyais pas mes yeux. Jamais je n'aurais soupçonné qu'il était aussi imposant. Lorsque je l'apercevais depuis l'atelier, il n'était qu'une forme vague se découpant sur la ligne brumeuse de l'horizon des collines -presque irréel. Et pourtant, il se tenait devant moi, brinquebalant, effrayant, mais absolument tangible.

Sautillant, l'épouvantail précédait fièrement ce qu'il semblait estimer être un abri pour ma nuit.

- Dis-moi, tête de navet, ce ne serait pas le château du magicien Hauru ? m'époummonnai-je, tentant de couvrir le bruit assourdissant. Je t'avais demandé un abris pour la nuit, mais là tu y es allé un peu fort !

Le château lâcha un grondement, et grinça de plus belle. Il s'ébranla et commença maladroitement à repartir dans l'autre sens.

- Un château ambulant, ça ? Un bazar ambulant, oui ! raillai-je, amusée.

Le serviable épouvantail indiqua à coup de petits sauts que je devais entrer dans le château. En effet, sous le monstre se trouvait un petit porche tout de travers pourvu de quelques marches vermoulues. La vieille rambarde branlante était tout ce qui me permettrait de me hisser à bord.

- Alors c'est par là qu'on entre ? criai-je en commençant à courir tant bien que mal pour rattraper le porche qui s'éloignait déjà. Hé, attend-moi ! Holà, du château ! Vous allez l'ouvrir cette porte oui ou non ?

Je m'accrochai de toutes mes forces au perron, et d'un étonnement vigoureux coup de hanches, parvins à monter sur les marches, mais mon châle m'échappa et s'envola derrière moi

- Mon châle !

Je me saisis de la poignée et tirai dessus; la porte s'ouvrit, et je passai ma tête à l'intérieur : quelques marches de pierre semblaient mener à une pièce, visiblement plongée dans la pénombre, mais je sentis un douce chaleur sur mon visage.

- Il m'a l'air de faire bien chaud à l'intérieur ; bon, j'y vais mon petit navet, merci pour tout ! lançai-je à l'épouvantail.

Fidèle à lui-même, il avait rattrapé le châle d'un habile bond sur le côté, et me le rapportait, plus prompte à servir que jamais.

- Même aussi cruel qu'on le dit, continuai-je, Hauru ne dévorera jamais le cœur d'une pauvre mamie.

J'éprouvai un léger pincement dans la poitrine, et ne pus m'empêcher d'ajouter :

- Cette fois-ci ce sont de vrais adieux... Tu n'es peut-être qu'un navet, mais je t'aime bien quand même ! Soit heureux mon ami !

Je souris, avec plus de joie que jamais, et refermai la porte derrière moi.

Je ne pus réprimer une frisson. Je pénétrai dans l'antre d'un sorcier. Sans la moindre idée de ce qui m'attendait... Enfin, il ne ferait jamais de mal à une vieille mamie !



Le Château AmbulantWhere stories live. Discover now