Sophie : Chapitre 4

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- C'est incroyable ce que tu me racontes ! Tu es sûre que ce n'était pas un magicien ? 

Lettie, assise sur un caisse dans la réserve, me scrutait attentivement depuis le début de notre conversation, à la recherche d'un détail indiquant que ce n'était pas vraiment moi, sa sœur, mais une inconnue à l'air rêveur. 

- Il était très gentil. Surgi de nulle part, il a... volé à mon secours, répondis-je lentement. 

Elle fronça les sourcils, et secoua la tête, les nombreuses anglaises blondes de sa coiffure compliquée battant la cadence. Nous étions dans le réserve, les bruits de la cuisine attenante me parvenaient, étouffés par les caisses. 

-  À ton secours ?! Je crois plutôt qu'il a volé ton cœur, oui ! 

Je rigolais silencieusement. N'importe quoi ! Ah, elle était jeune...

- Enfin, reprit-elle, heureusement que tu n'as pas eu affaire à Hauru, parce que sinon, ton cœur il ne te l'aurai pas volé, il te l'aurait DÉVORÉ ! 

Encore ce sorcier de malheur...  Pourquoi tout le monde ne faisait que parler de lui aujourd'hui ? C'était une véritable obsession... 

- Ne t'en fait pas, va, fis-je à voix douce. Ça ne peut pas être lui puisqu'il ne s'intéresse qu'à la beauté. 

- Voilà que tu recommences ! s'exclama Lettie, presque furieuse. Écoute-moi bien Sophie, la question n'est pas là, nous vivons une époque TRÈS dangereuse ! On raconte même que la Sorcière des Landes vient rôder dans les villages... Hé ! Tu es là, Sophie ? 

- Hein ? 

- Oh, toi alors, marmonna-t-elle.

Jean, un des boulangers que connaissait Lettie, venait de passer la tête par un trou du mur. 

- Lettie, les madeleines sont prêtes ! Elle t'attendent ! 

- Oui oui, j'arrive tout de suite !

Je me levai, mon chapeau à la main. C'était un miracle qu'il ne se soit pas envolé, tout à l'heure. 

- Bon, il est temps pour moi de renter. Ça m'a fait plaisir de te voir en si bonne forme, ma Lettie. 

Elle me raccompagna jusqu'en bas, en passant par la cour de derrière. Nous croisâmes au moins cinq personnes qui saluèrent ma petite sœur en souriant. Elle était appréciée de tous, sociable, jolie et attentionnée... Elle attirait les regards et les amis, et semblait parfaitement à sa place ici. Cela me fit plaisir, mais je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe de tristesse en nous comparant.

- Juste une dernière chose, dit-elle en me prenant les mains. Tu as vraiment l'intention de finir tes jours dans cette boutique de chapeaux ?

Elle avait l'air plus que préoccupée. Je la rassurai :

- Tu sais, notre père y a consacré toute sa vie. Et puis, comme c'est moi l'aînée de la famille...

- Tu n'as pas répondu ! m'interrompit-elle. Ma question était : est-ce que toi tu as envie d'être modiste ?

- Je...

Un gros bonhomme sympathique nous croisa, Lettie lui rendit son bonjour.

- Bon, j'y vais, maintenant, abrégeai-je, pressée d'écarter l'inquiétude de Lettie. Je tournai les talons, et entendis ma sœur cadette crier derrière moi :

- Sophie, personne ne peut choisir à ta place ! Personne !!



Le Château AmbulantWhere stories live. Discover now