6° Le retour du proviseur

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É M I L I E N

Cela faisait dix minutes que nous parcourions les dossiers scolaires. Nous en avions déjà retenu quelques uns avec des antécédents de vol, mais pour le moment aucun des profils que nous épluchions n'avaient véritablement gardé notre attention.

J'avoue que je stressais. Un peu. Beaucoup. Je n'avais encore jamais enfreint les règles ainsi. C'était flippant, mais pas désagréable. J'aimais l'adrénaline qui faisait battre mon coeur un peu plus vite lorsque nous entendions des bruits de pas dans le couloir. J'avais toujours peur que ce soit le proviseur ou sa secrétaire débarquant à l'improviste.

Lorsque Colin m'avait fait part de son plan, je concède avoir songer un instant à refuser sa proposition absurde et saugrenue. Je m'attendais à ce que son idée soit un peu risquée, j'avais cru comprendre que la personnalité de Colin était atypique et que le danger n'était pas un critère qui l'arrêtait. Mais de là à se glisser dans le bureau de monsieur Keller et risquer une semaine d'exclusion et de se faire pourrir notre dossier scolaire, il y avait de la marge.

Cependant, contre toute attente, j'avais accepté sa requête. Ça m'avait surpris moi-même. J'avais encore du mal à l'accepter, mais j'avais bien aimé passer du temps avec lui, mardi soir. Et puis je n'étais pas un lâche, et je me voyais mal le laisser tout seul risquer sa peau et son avenir pendant que je me tournais tranquillement les pouces chez moi.

— Romain Desoize... murmura le rouquin, attirant mon attention, tandis que je balayais du regard un énième dossier. Il m'avait volé mon goûter en CM1.

J'esquissais un sourire amusé.

— On le met en suspect potentiel ? lui demandais-je, taquin.

— Non, ça passe pour cette fois on va dire, me répondit-il sur le même ton.

Je crois que je ne m'étais encore jamais aussi bien entendu avec quelqu'un. Sans doute parce que j'étais une huître qui refusait de s'ouvrir aux autres parce qu'elle préfèrait rester dans son coin à jouer à Minecraft et à lire du LoveCraft plutôt que de se lier d'amitié avec des coquillages de son âge.

Parce que j'étais une huître froussarde et timorée qui s'était toujours convaincue qu'elle préférait la compagnie des jeux vidéo à celle des gens. C'était une bonne excuse pour passer mes après-midis enfermé dans ma chambre plutôt que dehors à m'amuser avec des amis.

Malgré ma solitude, je n'étais pas malheureux pour autant. J'avais des parents aimants et présents, une grande soeur gentille -quoique un peu envahissante-. J'avais peu d'interaction sociale, mais ça me suffisait. Jusqu'à ce que je m'éveille, arrivé en classe de première. Je crois que j'ai eu un déclic cette année-là.

J'avais pris conscience de ma solitude, des gens qui m'entouraient, de mon avenir. Ma timidité m'avait souvent freiné pour m'ouvrir aux autres, mais cette année, j'avais fait des efforts pour sortir de ma bulle. J'avais sympathisé avec certain de mes camarades de classe. On ne pouvait pas aller jusqu'à dire que j'étais ami avec eux, mais j'étais satisfait de ces brèves interactions, de ces courts échanges de banalités.

Et puis j'avais rencontré la conseillère d'orientation qui m'avait proposé de rejoindre le club journalisme. J'étais réticent au début, mais au final, j'étais content de l'avoir rejoint. Colin m'apprenait plein de choses pour réaliser un bon article, et puis, plus je le côtoyais, plus je le trouvais sympathique.

— Kévin Maurin... Un délinquant qui a déjà plus de deux vols à son actif... Il a l'air con comme un balai, mais faudrait penser à l'interroger, on ne sait jamais... chuchota Colin avant de se faire interrompre par un bruit de clé dans la serrure.

Je sursautais. Nous n'avions pas vu le temps passer, le directeur était de retour, une pile de dossier était encore à nos pieds. Tout se passa très vite. La panique me gagna rapidement, j'étais serein à l'extérieur, mais complètement effrayé à l'intérieur. Cependant, Colin ne semblait pas avoir perdu son sang-froid. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il avait refermé le tiroir, saisit la pile de dossier et mon poignet et m'avait entraîné sous le bureau.

Le proviseur pénétra dans la pièce. Je retins mon souffle. En face de moi, Colin semblait tendu. Le bureau était suffisamment grand et assez haut pour que nous puissions nous y tenir à deux accroupis, mais nous étions tout de même assez serrés. Nous faisions à peu près la même taille, nos nez se frôlaient presque. J'avais oublié la présence de monsieur Keller, qui refermait la porte derrière lui. J'étais juste hypnotisé par les lèvres de Colin, à quelques centimètres de moi.

J'avais les joues rouges, je le savais. J'étais quasiment collé au rouquin, son parfum vanille envahissait mes narines. Nous étions dans une situation plus qu'inconfortable, on risquait de se faire chopper à tout moment. Et pourtant, je ne pouvais penser qu'à une seule chose: l'envie de poser mes lèvres sur les siennes.

— Monsieur le directeur ! s'exclama une voix féminine dont je ne pouvais percevoir que les pieds de là où j'étais. Les documentalistes ont besoin de votre signature pour commander quelques livres.

— Bien, j'arrive immédiatement.

Sur ce, le proviseur quitta la salle. On entendit un cliquetis dans la serrure, puis leurs pas s'éloigner petit à petit. Je relâchais mon souffle d'un coup.

— On a eu chaud ! murmurais-je, le coeur battant encore à cent à l'heure.

Je croisais son regard. Il avait une expression que je ne lui avais jamais vu auparavant. Il semblait en pleine réflexion, me fixant avec insistance. Puis, alors que je ne m'y attendais pas le moins du monde, il se mit à éclater de rire. Sans doute parce que la pression était retombée d'un coup, je le suivis dans son fou rire. C'était la première fois que je ressentais quelque chose aussi fortement. La peur, l'euphorie, et un certain je ne sais quoi qui teignait mes joues d'une singulière couleur rouge pivoine.

Sans un mot, le sourire toujours aux lèvres, nous étions sortis de notre cachette. Colin avait alors remis les dossiers à leur place, et nous avions pris la poudre d'escampette, en prenant soin de bien refermer à clé derrière nous. Le coeur qui battait toujours à la chamade, nous nous étions mis en marche en direction du portail dans l'optique de rentrer chez nous.

Le rouquin m'avait assuré que nous ferions le point le lendemain. Sur le chemin du retour, assis dans ma voiture aux côtés de mon père qui conduisait, je regardais le paysage défiler, pensif. Je n'arrêtais pas de repenser à notre proximité, lorsque nous étions serrés l'un contre l'autre sous le bureau. Je repensais à son odeur, sa chaleur, ses lèvres. Je ne m'étais jusqu'alors jamais interrogé quant à mon attirance sexuelle, mais là, une petite remise en question s'imposait.

Les apprentis détectives Where stories live. Discover now