2° Le club journalisme

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É M I L I E N

- Émilien, que dirais-tu de m'accompagner dans cette enquête ?

Je clignai plusieurs fois les yeux, imprimant sa question. J'étais tellement concentré dans la contemplation de son visage singulier parsemé de multiples tâches de rousseurs que j'avais perdu pied un instant. Ça m'arrivait d'ailleurs malheureusement assez souvent. Il suffisait que mon regard se pose sur quelque chose -ou en l'occurrence, quelqu'un- et je perdais toute connexion avec la réalité, ne pouvant faire autre chose que détailler ma cible.

C'était assez gênant au quotidien. Cette faculté m'était souvent source de problème, en particulier en classe, lorsque le mettre mot est écoute et concentration, et que je ne pouvais détacher mon attention du moineau perché sur la branche du bouleau qui trônait juste en dessous de la fenêtre.

- Euh, oui ? répondis-je en tentant de cacher mon embarras.

- Parfait alors ! s'était-il exclamé. Bon, il nous reste un quart d'heure, au boulot ! Vous deux, vous écrirez l'article sur le club d'écologie, ils recherchent de nouveaux lycéens motivés. Quant à nous, on a du pain sur la planche, les documents administratifs ne vont pas se remplir tout seul !

J'acquiescai vaguement, la tête un peu ailleurs. Je n'avais jamais été quelqu'un avec les pieds sur terre. Je regardai distraitement lesdits Ambre et Martin s'installer au fond de la classe, cahier et stylo en main. Ils avaient l'air de bien s'entendre, à en juger par le sourire qui ne quittait plus leurs lèvres depuis qu'ils avaient commencé à discuter.

La fille semblait d'ailleurs éprouver un peu plus que de l'amitié à l'égard du garçon. Les coups d'oeil en coin qu'elle lui jetait n'était pas anodin. Je devais bien reconnaître que ce Martin avait du charme. Ses cheveux blonds retombaient sur ses yeux d'un bleu assez peu commun, ses pommettes étaient saillantes et son nez ni trop gros ni trop petit. Il n'avait pas la carrure d'un grand sportif, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'était pas moche.

Il ne semblait cependant pas partager les sentiments d'Ambre. Pourtant, elle aussi avait tout pour plaire. De long et lisse cheveux bruns descendaient en cascade dans son dos et sur sa poitrine. Elle avait d'envoutant yeux noisettes et un petit nez retroussé qui lui donnait un petit air de souris. Mais c'était loin d'être péjoratif, c'était même plutôt mignon. Si ce n'était le son désagréable qu'elle produisait en mastiquant son horrible boule de gum, je ne voyais pas pourquoi Martin n'avait toujours pas tenté sa chance avec la jolie Ambre.

- La Terre appelle Émilien, la Terre appelle Émilien, tu me reçois ? m'apostropha ledit Colin en claquant ses doigts devant mon nez.

- Euh oui, pardon, je pensais à autre chose...

- T'inquiètes. Moi aussi, ça m'arrive de temps en temps, de songer si fort à quelque chose que j'en oublie le monde réel. Bref, il me faudrait juste ta classe et ton nom de famille.

Je posai mon regard sur lui. Son physique n'avait rien de désagréable, bien qu'il soit assez atypique. De nombreuses éphélides jonchaient ses joues, son nez, ses oreilles. Ses boucles rousses tombaient sur ses fines lunettes rondes qui reposaient devant ses yeux verts en amande. Je sursautai en remontant mon regard vers ses yeux. Lui aussi, il semblait m'observer.

- Je suis dans l'unique première littéraire, et mon nom est Tanaka, finis-je par répondre.

- Je note... Tanaka, c'est japonais non ?

Je hochai la tête. Je ne dis rien de plus, je n'aimais pas étaler ma vie, que je ne jugeais d'ailleurs pas particulièrement passionnante.

- Et dis-moi, Émilien, pourquoi souhaites-tu rejoindre le club ? Parce qu'on est quand même au mois de janvier, et d'habitude, on s'inscrit plutôt dans les clubs en début d'année.

Je levai la tête et fixai le plafond, réfléchissant à la réponse que j'allais formuler. Il est vrai que sa question était légitime. C'était pour le moins inhabituel de rejoindre un club à cette période de l'année. Qui plus est le club journalisme, sur lequel il m'était déjà parvenu des rumeurs assez peu élogieuses.

Pour tout dire, j'avais toujours été un fin observateur. Quand j'étais petit, je passais mon temps à observer les oiseaux par la fenêtre de ma salle de classe, à contempler le ciel lorsque ma mère m'emmenait au parc, à admirer les lézards qui se doraient la pilule au soleil dans mon jardin. Jusqu'à mon entrée en première, je ne m'étais pas posé de question quant à mon avenir. Je vivais au jour le jour, sans réfléchir à mon futur, en me contentant de regarder le monde bouger.

Et puis, il a fallu choisir une filière pour mon entrée en première. J'ai choisi la littéraire par élimination. La filière scientifique me paraissait trop compliquée et la filière économie- sociale trop ennuyeuse. Quant à la STMG, mon père aurait préféré me tuer plutôt que de me laisser y aller.

Je crois que c'est à partir de ce moment-là que je commença à m'interroger sur mon avenir. En ayant choisi la L, je m'étais fermé de nombreuse porte, notamment les métiers qui nécessitaient des compétences scientifiques. Mais je ne regrettais pas. Après tout, je me plaisais bien dans cette filière, je m'y sentais à ma place.

Ainsi, de fil en aiguille, je fis des test de personnalité de l'onisep, des recherches sur le net, j'avais même pris rendez-vous avec la conseillère d'orientation du lycée. Et à chaque fois, il s'était avéré que le milieu qui me correspondait le plus était celui du journalisme.

J'étais de nature assez timide, voire carrément réservée. Aussi me fallut-il une semaine entière pour rassembler mon courage à deux mains et aborder les membres du club journalisme. Je m'étais dit que ce serait un bon début, et que ça me permettrait d'acquérir des bases pour rédiger un article ou mettre en page un journal.

- Alors ? insista Colin que je faisais maintenant poireauter depuis une bonne minute.

- Une envie soudaine, répondis-je en haussant les épaules.

Converser n'avait jamais été mon fort. Et je pensai que ma réponse le lui avait bien fait sentir. Pour mon plus grand étonnement, Colin se mit à rire. Il avait l'air de nature assez extraverti, aussi avais-je songé un instant qu'il se moquait de mon tempérament silencieux et réservé, mais j'avais vite écarté cette idée paranoïaque: son rire n'avait rien de méchant ou d'insultant.

- Ha ha, t'es pas bavard toi hein ! On va bien s'entendre ! s'était-il exclamé, un grand sourire aux lèvres.

J'esquissai un semblant de sourire à mon tour. Je ne savais pas trop quoi penser de lui. Mais il m'avait l'air amical et honnête, et cela me suffisait pour le trouver sympathique.

Les apprentis détectives Où les histoires vivent. Découvrez maintenant