Chapitre 3 (3/3)

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Pearl

— Il n'y a pas Blow ce soir.

Je me tournai vers Drink, qui scrutait la foule de son regard céruléen, essuyant distraitement une choppe.

— Pardon ? dis-je en plissant les sourcils.

— C'est étrange, Blow n'est pas là, répéta-t-elle calmement. C'est inhabituel, non ?

Inhabituel, en effet, cela l'était. En général, il la suivait plutôt à distance, assez discrètement – sauf durant ce genre de soirée, où l'alcool coulait à flot ; il restait alors sagement assis au bout du comptoir, à suivre chacun de ses moindres gestes, son verre d'eau toujours intact devant lui.

Et là, son siège était pris par un homme un peu grassouillet, qui avait un bandana aux couleurs du club serré autour de la tête. Le torse presque plaqué au bois lustré, il regardait les jambes de Drink d'une manière tout sauf fine. Et comme il avait encore l'usage de ses yeux, il était certain que Blow n'était pas dans la place.

Je lâchai les citrons verts que j'étais en train de couper en quartiers pour me hisser sur la pointe des pieds. En effet, pas de longue chevelure blonde amassée sur le haut d'un crâne, ni de tatouages colorés sortant de cette masse de cuir sombre et de peau nue.

— Il a peut-être eu un empêchement, suggérai-je.

Drink tourna le visage vers moi, les sourcils plissés.

— Il me l'aurait dit, non ?

Je sentis mes lèvres s'étirer.

Mon amie devrait plutôt être heureuse d'être enfin libre de ses mouvements ! Elle qui désespérait presque de ne pas pouvoir faire deux pas sans sentir les yeux acérés de Blow dans son dos... En plus, si on en croyait la direction que prenait les regards des hommes du club, les paillettes sur ses jambes attiraient l'attention, comme elle l'avait espéré. Cette fois, rien ne l'empêchait de glisser son numéro de téléphone sur une serviette en papier.

Les fois où elle s'était risquée à faire cela, son garde du corps avait réduit la pauvre serviette en lambeaux sous ses yeux, et fait s'effacer le sourire de l'homme d'un seul mot.

La Drink normale aurait sauté sur l'occasion, papillonnant d'une table à l'autre avec joie et insouciance, libérée de toute entrave. La Drink que j'avais à mes côtés portait sur la salle son regard des jours soucieux.

— Je rêve, ou tu es inquiète parce que – pour une fois – tu n'as aucun chaperon collé aux basques ? demandai-je en reprenant la coupe de mes citrons pour les mojitos, incertaine de l'attitude à employer face à son soudain air déprimé.

Elle cligna des yeux, plusieurs fois, puis quand elle décrocha finalement le regard de la foule, elle parue étonnée de voir qu'elle tenait toujours sa choppe entre les mains.

— J'avoue n'en avoir aucune idée... répondit-elle au bout de longues secondes. Mais...

En un instant, tout bascula.

Quelqu'un hurla. Je n'eus pas le temps d'en savoir plus : une chose fonça droit sur moi, et une pression sur mon épaule me força à me mettre à couvert derrière le bar. Ayant tout juste le temps de me baisser, je sentis un coup de vent sur le haut de mon crâne, et les bouteilles posées derrière moi, sur les étagères, explosèrent. De l'alcool gicla sur mon dos, du verre brisé s'éparpilla autour de nous, et Dead jura.

Je lui jetai un coup d'œil. Le prospect avait été plus réactif que nous. Agenouillé entre Drink et moi, une main sur notre épaule pour nous empêcher de nous relever, il regardait comme il pouvait ce qu'il se passait de l'autre côté du bar. En me penchant un peu en arrière, je croisai le regard de mon amie.

Ses grands yeux bleus étaient écarquillés. Avait-elle peur ? Était-ce une situation inhabituelle pour le club ? C'était seulement mon troisième jour de travail ici, mais, contre toute attente, je n'étais pas effrayée par la scène. À vrai dire, je ne savais pas quelle attitude adopter. Ce monde paraissait presque irréel, j'avais toujours l'impression d'être à côté de mes pompes lorsque je me trouvais entre ces murs en lambris, alors une dispute entre deux brutes bikers me semblait... plus ou moins acceptable. Ils fonctionnaient comme ça, non ? C'était souvent comme ça à la télé.

Pourtant, en cet instant, Drink semblait à deux doigts de rendre son dîner sur le sol. Sous son maquillage parfait, sa peau avait pâli.

Quand un bruit de chaise brisée se fit entendre, Dead secoua la tête et se baissa pour se mettre à notre hauteur.

— Vous allez bien, les filles ?

— Moi, ça va, commença Drink d'une voix rauque qui ne lui ressemblait pas, toujours livide. Mais c'est plutôt à Pearl qu'il faut demander ça.

— L'arme ne l'a pas touchée, la rassura Dead, tandis que j'essayais avec difficulté d'assimiler ce qu'il venait juste de dire.

— Quelle arme ? finis-je par demander, un peu flouée.

Dead étira le bras, balayant les quelques éclats de verre qui se trouvaient sur son passage, et il récupéra un couteau à l'aspect menaçant. La lame était effilée, et il y avait l'emplacement des doigts moulés dans le manche épais. Il le planta dans l'étagère à torchons devant lui.

Cette arme.

Que... Quoi ?

— Putain, soufflai-je, les pièces se mettant peu à peu en place dans ma cervelle embrouillée.

— Putain, répéta Drink d'une voix blanche, elle qui ne disait pourtant jamais de gros mots.

— Attends, attends, attends. (Mes doigts se crispèrent sur le tissu de ma jupe.) Tu veux dire que le truc que j'ai vu foncer droit sur moi... c'était ça ? On m'a lancé un couteau dessus ? demandai-je d'une voix blanche.


The Devil's Tears MC - Nix (sous contrat d'édition)Where stories live. Discover now