Chapitre 1

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12 septembre 2015, Cimetière de Neyron

"Depuis ta naissance, j'ai eu une seule crainte, mon Alice, c'est de devenir un intrus à tes yeux. Et aujourd'hui que cela arrive, j'ai l'impression que mon cœur se brise en mille morceaux. Ne me laisse pas, restes avec moi. Je t'en prie. "

Les derniers mots de mon père raisonnaient en boucle dans ma tête, comme une musique que l'on n'arrivait pas à oublier.

Mes pensées s'entremêlaient dans mon esprit et un brouillard de larmes se formait dans mes yeux. Mais au milieu de ce tourment, une chose était sûre : mon cœur était rempli de regrets. J'aurais dû faire demi-tour ce jour là, j'aurais dû affronter cet homme, j'aurais dû être la fille qu'il avait élevée et rester de marbre face à la tournure que prenait ma vie. Mais, au lieu de ça, je me suis enfuie. J'ai dit ce que j'avais à dire, et j'ai tourné les talons, sans même lui laisser le temps de s'expliquer.

Tout cela pour arriver à cet instant, ce moment précis où mes yeux se levaient vers une assemblée hypocrite. L'enterrement de mon père devait se faire dans l'intimité, et, pourtant, ils étaient tous là. Des clients, des collègues, des anciens patrons, des anciennes petites amies sans doute...

Je leur lançais un regard empli de haine mais, au fond, ma présence ne se justifiait pas plus que la leur. On entendait des pleurs étouffés, des reniflements, quelques mots par ci par là. Je n'avais qu'une seule hâte, c'était que tout cela se termine. Que je rentre chez moi et que j'oublie tout. Ou du moins que j'essaye de le faire.

Après plus d'une heure, le cercueil commençait à être recouvert de terre. Je restais là, fixant les pelles qui faisaient disparaitre à jamais le dernier membre vivant de ma famille. Quelques mains réconfortantes venaient serrer mon épaule mais je n'y prêtais aucune attention. J'entendais seulement les rires au loin de ces personnes qui simulaient des pleurs quelques minutes auparavant.

Quand je fus enfin seule face à mon père, je laissais le chagrin m'emporter et glissais ma tête dans mes mains. Mes pieds ne me tenaient plus et je laissais mes genoux s'ancrer au sol. Je posais ma paume sur la boue naissante de la tombe de mon père et prononçais enfin ces mots qu'il devait attendre depuis toutes ces années.

« Je suis désolée, papa... »

Au même moment, à quelques mètres de là :

Victor détestait ce boulot. Il haïssait le fait que son patron ait une totale emprise sur lui. Il haïssait le mal qu'il faisait autour de lui par sa faute. Et, par-dessus tout, il haïssait le fait de ne pas avoir le choix.

En écrasant sa cigarette sur le bord d'une tombe, il ne quittait pas Alice du regard. Il savait que c'était elle, il savait que cette pauvre fille allait sûrement vivre ses derniers instants lorsqu'il aura passé son coup de fil.

Tout en prenant un profond soupir, Victor sortait son portable de sa poche et composait un numéro avant de le porter à oreille. La première tonalité à peine terminée, on décrochait à l'autre bout. Victor ne perdait pas de temps pour les futilités et prenait la parole directement :

- Patron, j'y suis.

Une voix rauque mais faible, comme lointaine, se faisait entendre à l'autre bout.

- Elle est là ?

Victor hésitait quelques instants. Ce moment serait décisif, que ce soit pour lui ou pour elle. L'important était de savoir s'il allait être égoïste ou s'il allait décider de lui sauver la vie. L'interlocuteur s'impatientait.

- Victor, j'ai besoin de répéter ?

Dans un geste de lâcheté, Victor quittait des yeux sa victime et se retournait avant de reprendre la parole :

- Oui, elle est là, Richard.

Son patron semblait se détendre si on tenait compte du long soupir de soulagement qui suivait et il riait presque :

- Comment est-elle ?

Victor était obligé de relever les yeux vers Alice pour la décrire en détail à Richard.

- Elle doit avoir environ 30 ans, peut-être 35 je ne sais pas. Elle a l'air grande, 1m70 je dirais. Châtain, yeux bleus. Vraiment jolie.

Désormais, Richard émettait un rire presque diabolique, tel un rire de satisfaction malaisant :

- Tout le portrait de sa mère. J'espère qu'elle détient au moins l'intelligence de son père ! Ne t'y attaches pas mon petit Victor, elle ne sera bientôt plus de ce monde-là.

- Sauf votre respect patron, je peux enfin savoir ce que vous comptez faire d'elle?

Un silence suivait et Victor savait très bien qu'il n'aurait toujours pas de réponse claire, pas aujourd'hui en tout cas.

- Je veux juste savoir à quel moment notre marché pourra être honoré.

Richard éclatait de rire et prenait son air hautain, comme à son habitude :

- Alors ça mon petit Victor, tu le sauras quand cela arrivera. Tu as un travail à faire, et je n'ai pas à te rappeler ce qu'il se passera si je ne suis pas satisfait.

Richard répugnait Victor. Il hésitait à lui raccrocher au nez et mettre Alice à l'abri. Sauf qu'il savait très bien ce qu'il se passerait et n'avait pas d'autres solutions que d'accepter le douloureux sort qui s'offrait à lui. Il n'était pas question que de sa vie, malheureusement. Après un profond soupir, Victor devait se rendre à l'évidence et accepter ce qu'il s'apprêtait à faire :

- Je m'en occupe, je vous l'amène ce soir.

Richard semblait entièrement satisfait de sa réponse.

- Évites de trop la malmener, j'en ai besoin parfaitement intacte. Tu n'imagines pas l'importance de cette fille. Samuel t'attendra demain sur le quai. Ne joues pas au con, Victor.

Sans un mot, Victor raccrochait et glissait violemment son portable dans sa poche. Il rallumait une cigarette, refermait son imperméable et observait Alice avant de voir une femme s'approcher d'elle et lui parler.

- Boulot de merde, putain....

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