Carnage

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New-Seattle, Quartier A.5, Manoir di Tigri, 4 mai 2314

Les forces Tigri se mettaient à refluer, paniquées. Amarante offrit un dernier regard à l'homme dont le ventre emprisonnait le tiers de son katana. Puis elle le repoussa d'un violent coup de pied dans le bas-ventre. La lame chuinta contre les côtes flottantes. Elle fit signe à Bismarck et Fraise de la couvrir le temps qu'elle essuie ses lames.

En se relevant, elle observa l'arrivée de Dark. Ses cinq "doigts" ne prenaient pas la peine de la couvrir et bloquaient le grand boulevard, massacrant les fuyards avec des tirs précis. La quadragénaire s'avançait, seule, vers le reste de l'Héxaédron. Elle avait sa "cape de combat" comme elle l'appelait à juste titre. Il s'agissait d'une armure en écailles de kevlar rehaussées de shakudo laqué noir. Son casque en deux parties était chargé de mèches d'apparat conçues pour distraire l'adversaire tout comme l'apparence démoniaque de la partie faciale.

Ses bras et ses jambes étaient couverts de plaques en acier laqué tandis que l'armure d'écailles descendait jusqu'à mi-mollets et lui couvrait le haut des bras. Ses mains semblaient gantées de cuir noir mais des petites plaques de graphène étaient glissées dedans pour détourner les balles et la plupart des lames.

Elle avançait, munies de trois kusarigamas. L'un était resté à la ceinture tandis que les deux autres semaient la mort. Parfois, l'un se bloquait dans un condamné, Amarante frissonna en voyant qu'elle n'arrêtait pas l'autre et se penchait à peine pour dégager l'arme d'un coup de poignet. Elle se rappelait même avoir vue la cheffe de l'organisation utiliser ses trois armes en même temps lorsqu'elle s'entraînait face à Index, Majeur et Auriculaire, trois de ses acolytes. Parfois, elle donnait l'impression d'avoir des yeux dans le dos.

Amarante n'eut plus de doutes sur le sort des fuyards lorsque les équipes de Feu et Sang surgirent par les différentes ruelles latérales. Cependant, à peine arrivée face au plus gros de ses propres troupes, Dark interpella Red en enlevant son masque.

— Tes hommes comptent se tourner les pouces encore longtemps ? l'agressa-t-elle.

Avant qu'il puisse répondre, elle donna les ordres que chacun attendait.

— Grenat, Carmin, avec vos hommes valides, vous vous étendez jusqu'à retrouver les bleus. Vous abattez les tigres à vue. Sang, tu te débrouilles pour savoir qui à fait un trou dans mon manoir. Feu, tu trouves de quoi dormir pour tout le monde. Ne t'avises pas de te servir dans le trésor de guerre.

Le concerné se retint de frissonner à l'instar de ses hommes qui se dispersèrent comme les autres.

— Amarante, je sais que tu n'es plus soigneuse, mais à défaut c'est toi qui t'occupe des blessés. Red, je te laisse le commandement, ne me déçois pas.

— Tu vas chez les chiens ? demanda-t-il avec dégoût. J'espère au moins que tu prends tes doigts.

— Bien entendu, fut sa seule réponse.

Puis Dark siffla ses acolytes, remit son masque et se dirigea vers un engin à l'abri derrière le mur extérieur. Captant le mouvement, la mince Annulaire se précipita vers l'aéroglisseur épargné par la chute de la porte. Elle souleva un pan de sa cape et sortit une série de crochets pour démarrer le véhicule.

Amarante soupira et jeta un coup d'œil aux blessés. Bronze faisait de son mieux pour masquer sa douleur mais l'angle ajouté à son mollet restait bien visible. Fièvre fut ramené par Bismarck, les deux trous dégouttant de sang à sa cuisse lui promettaient de mieux porter son nom si elle ne désinfectait pas rapidement la plaie. Enfin, A, la seule femme du groupe de Carmin, gisait, inconsciente au sol.

La caporale soupira et fit l'effort de trier les priorités avant de donner ses ordres.

***

Éthan regarda le reste de son déjeuner chuter trois secondes vers les gravats qui jonchaient la large rue au-dessous de lui. Il recula en glissant puis se retourna. Son dos le lança lorsqu'il entra brutalement au contact du sol mais le jeune homme n'en avait cure. Les larmes brouillèrent sa vue du plafond décrépi puis roulèrent le long de ses tempes.

Au bout d'une paire de minutes, Dextre lâcha finalement son arme et se redressa sur ses genoux.

— Ça va ? demanda-t-elle en se rapprochant.

— Quatre-vingt-neuf, peut-être un de plus lorsque Sénestre a tiré. Je suis un meurtrier.

Elle s'allongea sur le côté, contre lui, et posa son bras droit sur la poitrine du géant. Il se sentit mal à l'aise et un peu réconforté à la fois.

— J'ai perdu le compte mais aujourd'hui j'ai dû en faucher entre soixante et soixante-dix. Je comprends que ce soit dur à encaisser. Surtout la première fois. Surtout si tu es aussi efficace.

— Quatre-vingt-quatorze tirs, confirma-t-il en reniflant.

— C'est clair que t'es meilleur que moi, dit-elle avant de poser ses lèvres sur le bas de sa joue.

— J'espère tellement qu'ils n'avaient pas d'enfants.

— Tu sais, des soldats, c'est rare. Enfin, leurs enfants connaissent rarement leur père, bafouilla-t-elle. Enfin, je veux dire ...

— Je sais que tu essaies de ... commença-t-il avant de chercher ses mots.

— Alléger ta peine ?

— Ouais, ça.

— Je voulais dire que leurs enfants ne les connaissent pas. C'était des soldats, ils sont rarement mariés.

Il mit du temps à comprendre mais son regard était déjà empli de gratitude lorsqu'il le tourna vers elle.

— Et puis, ils n'ont pas souffert autant que s'ils étaient tombés sur les rouges.

— Ils n'ont rien vu venir et je pense qu'ils n'ont rien senti, admit-il avec un soupir.

— Ça va mieux ?

Alors qu'il hésitait, elle ferma les yeux et s'approcha de son visage. Ses yeux à lui étaient écarquillés lorsque leurs lèvres entrèrent en contact. Il se laissa sombrer dans cette étreinte en fermant les yeux à son tour. Il suivit le mouvement lorsqu'elle se mit à califourchon sur son ventre tout en entrouvrant ses lèvres. La langue de Dextre se glissa tendrement à la recherche de la sienne alors que son dos se cambrait.

Il la mordit malgré lui en se crispant et elle se redressa. Il voulut s'excuser mais la douleur le tétanisait. Elle amplifia le mal en prenant appui sur sa poitrine pour se relever. Elle extirpa une petite pochette de son sac alors qu'il percevait enfin le goût du sang au travers de la douleur qui refluait.

— Z'avais oublié ton dos, dit-elle juste après avoir aspergé sa langue avec un désinfectant et une grimace de dégoût.

— Désolé, grimaça-t-il à son tour en se relevant. Mais merci aussi. Je crois que ça me hantera à vie mais en avoir parlé ...

— Light a été là pour Sénestre et moi les premières fois. C'est normal que je te soulage à mon tour. Comme lui, je vais te souhaiter de ne pas avoir à tenir ce discours un jour.

Il resta assis en attendant que son dos ne le brûle plus. Elle sembla hésiter puis rompit le silence.

— Saara, et je viens certainement de passer les deux cents humains tués.

Il prit le temps d'avaler la seconde information avant de s'interroger sur la première.

— Sera quoi ?

Elle lui adressa un petit sourire et traça les lettres dans la poussière de façon à ce qu'il puisse les lire.

— Sa-ara, répéta-t-elle en appuyant sur la voyelle longue. C'est mon prénom.

Ils s'échangèrent un sourire avant de se mettre à ranger leur matériel.

Les Achroniques - 2314, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant