Interlude #1

41 6 13
                                    

New-Seattle, Quartier A.6, Quartier Général de l'Héxaédron, 2 mai 2314

Christale




Christale se réveilla, l'esprit embrumé. Il lui fallut quelques secondes pour se remémorer la veille puis elle sauta souplement au bas du lit. Elle grimaça, plus à cause de la froideur du sol que par douleur aux talons. Et elle passa des chaussettes, un jean un peu trop large et un chemisier qu'elle avait gardé sur les barreaux de l'échelle.

Éthan n'avait même pas vu qu'elle était descendue en sous-vêtements et Christale ne savait pas trop comment l'interpréter sachant qu'il avait les yeux ouverts tout ce temps et rivés sur le matelas au dessus de lui. Elle toussa pour attirer son attention.

Saphir passa la tête par la porte auprès des lits des orphelins. La lumière entra à flot dans le dortoir, désert en dehors d'eux.

— Je vais vous accompagner au réfectoire. Essayez de retenir l'itinéraire ou de trouver un autre guide. Je dois régler des affaires avec elle.

Et "elle" les guida jusqu'à une cantine à l'architecture post-moderne du 21ème siècle. Elle les planta dès l'entrée et une femme plus petite que Christale vint à leur rencontre avec un sourire accueillant. Elle semblait avoir une trentaine d'années et ses cheveux gris clair étaient taillé en un carré plongeant. Il mettait en valeur une poitrine plutôt commune en dehors d'une balafre rose qui partait de l'épaule gauche et plongeait dans l'entre-seins.

— Bonjour les nouveaux. Saphir doit être pressé pour vous planter là sans même me demander de prendre le relais. Tu dois être Christale et lui Éthan. C'est fou, il doit faire la taille de Light, je lui arrive à peine au plexus... Bref, désolé je parle beaucoup. Mais vous devez avoir faim, débita-t-elle à un rythme que l'adolescente n'aurait pas renié.

— Euh, bonjour, dit son ami en tendant la main à plat.

Christale corrigea son geste en lui tournant l'avant-bras puis en redescendant le bras.

— Eth, on ne sert la main que pour des rendez-vous officiels. Là, elle est venue en toute amitié. Si tu regardes bien son col est gris-bleu donc je pense qu'elle doit faire partie des bleus, sûrement l'unité de Ciel. C'est pour ça qu'elle porte du bleu vers le haut. Tu me fais honte, des fois.

— C'est pas comme si c'était déjà arrivé qu'on voit des gens, Kris', s'excusa-t-il.

— Oh, vous êtes ensemble, déduisit la femme. C'est cool, Pygargue et moi désespérions de trouver un autre couple dans ce monde de brutes.

— Euh... tu dois donc être Harfang. Je suis désolée, mais on est pas ensemble, répondit Christale gênée par le malentendu.

Elle ne savait toujours pas comment se placer face à l'amour évident d'Éthan. C'était inconcevable dans son ancienne vie ... mais quitte à devoir se cacher, pourquoi pas ? Elle secoua intérieurement la tête et suivit Harfang qui les aida à se servir. L'adolescente entraperçut les mines contrites des deux membres de l'unité rouge affairés à préparer le repas.

***

Ils s'assirent avec Harfang à la table de laquelle elle s'était levée. Visiblement ses comparses l'avaient attendus pour poursuivre leurs discussions. Harfang se chargea des présentations.

— Alors, Pygargue, mon fiancé ; Aigle et Faucon, nos coéquipiers. Nous sommes l'unité des oiseaux de Ciel. Et les gars, voilà Éthan, un survivant de la banlieue, si j'ai bien compris. Et Christale, une riche qui a fugué si les rumeurs disent vrai.

Harfang désigna tour à tour les nommés. Les trois hommes étaient de grande taille bien que plus petits qu'Éthan et avaient tous le regard fixe et aux aguets à la fois. Le premier était brun de cheveux mais clair de peau. Le second avait une cicatrice le long de la mâchoire et son regard s'assombrit quand Christale la regarda. Le dernier avait des yeux gris pailletés de jaune et une peau hâlée.

Christale jugea meilleur d'ignorer les "rumeurs" qui avaient déjà filtré mais nota qu'Harfang ne connaissait pas encore son identité avec certitude. Les oiseaux face à elle ne pipèrent mot et elle sentit un malaise grandir jusqu'à ce qu'Éthan leur tende la main au-dessus de la table en évitant de justesse une carafe de jus de fruit de synthèse.

Elle soupira mais les hommes semblèrent peu surpris et lui serrèrent la main. Avec un sourire pour Pygargue, un clin d'œil pour Faucon et un rictus amical pour Aigle. L'adolescente tenta de se faire oublier pendant le repas et garda le regard sur son plateau pendant qu'Harfang les bombardait de questions. Elle répondit par des réponses courtes quand cela s'imposait mais Éthan fut plus volubile.

Il semblait plutôt à l'aise pour quelqu'un ayant vécu seul si longtemps. Mais après la découverte d'un organisme resté clandestin plus d'un siècle, elle était prête à admettre n'importe quoi. Mieux valait lui laisser la vedette le temps que tout se tasse. Rester cachée dans une ombre restait son sport favori.

Le repas qui aurait dut être frugal s'avéra plus consistant qu'elle ne l'aurait cru au premier regard. Le simili-bacon avait un goût réaliste, les fèves semblaient naturelles et pesèrent vite sur l'estomac. Le pain qui accompagnait le tout était un peu plat mais était de bonne qualité. Christale comprit que le temps s'était écoulé sans elle lorsqu'elle vit qu'il n'y avait plus rien à essuyer dans son assiette et qu'Éthan s'était déjà levé en compagnie des trois hommes.

— Ah, on va enfin pouvoir parlé entre filles, chuchota Harfang avec un air complice.

***

La femme entraîna l'adolescente dans une alcôve du hall pour discuter après lui avoir assuré qu'elles n'étaient pas pressées ce matin.

— Tu te rendras vite compte que je suis un pilier pour la transmission des rumeurs ici, dit-elle avec un sourire en s'asseyant. Je finis toujours par apprendre les secrets et j'adore ça. Si on en croit Pygargue, si tu as un secret ne m'en parle pas sinon ce qui veulent le savoir le sauront.

— Et d'après toi, demanda l'adolescente en tentant de cacher son cynisme.

— Ne le dit à personne, sinon je le saurais.

— C'est super rassurant pour une bourgeoise en cavale.

— Garde-le pour toi, même si je suspecte certains de le savoir déjà.

— Tu ne voulais me voir que pour ça ?

— Pas exactement, répondit la femme avec un amusement qui s'amenuisait. Je pense comprendre ta situation. C'est difficile de faire confiance à des inconnus. Mais ne t'enferme pas. C'est ta nouvelle famille, qui que tu aies été. Tu auras bientôt un nom de code. Et même si je savais par hasard que Blue sait que tu es l'héritière ...

— Tu le garderais pour toi tant que je ne l'ai pas affirmé, en déduisit l'adolescente avec gratitude.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, mentit Harfang avec un air complice. Mais si tu as d'autres informations à échanger je suis preneuse.

— Et si je t'en donne en avance ? Tu as une dette envers moi ?

La femme aux cheveux gris fronça les sourcils d'un air contrit.

— T'es une maligne toi. Tu lui ressembles à s'y méprendre. Mais oui. Si les informations demandées n'excèdent pas la dette.

— Je ressemble à qui ?

Christale angoissa à l'idée d'entendre Cerisier sans vraiment y croire. Sa mère était morte, c'était un fait. Elle ne s'en souvenait que vaguement et elle n'y était pas mais il y avait eu des dizaines de témoins.

— Non, je voulais parler du caractère. Hey, mais ce sont des informations. Je peux aussi être retors à ce jeu.

Harfang souriait pleinement et Christale oublia presque ses craintes. Enfin certaines. Christale lui annonça que la Chimère cherchait à reprendre la tête du Conseil de l'Ordre et que la guerre ferait bientôt rage à nouveau. Harfang nota les informations d'un battement de cils. Puis elle ramena Christale au dortoir pour aller voir Blue.

Les Achroniques - 2314, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant