Di Cani

19 5 1
                                    


New-Seattle, Quartier A.6, Quartier Général de l'Héxaédron, 4 mai 2314



"Béatrix" était magnifique. Sa carrosserie tourmaline semblait d'origine et la peinture, bien entretenue, s'était écaillée par endroit mais n'avait pas ternie. Christale se mit à dévorer du regard la sellerie de cuir véritable alors que Jonc vérifiait le bon fonctionnement des répulseurs. La voiture faisait ainsi des bonds étranges de quelques centimètres à chaque fois.

Cèdre arriva et posa deux sacs, le sien et celui de l'asiatique. Elle posa une main sur l'épaule de l'adolescente et lui fit comprendre qu'elle avait à lui parler. Elles s'éloignèrent du véhicule alors que Chêne et Acacia s'approchaient d'un pas tranquille.

— Ça va très loin. T'es sûre de toi ? lui demanda-t-elle angoissée.

Christale aurait bien dit "blême" mais seules les lèvres avaient pâli. Elle prit le temps de peser ses mots avant de les laisser s'échapper à voix basse.

— Nous ne courrons aucun risque. Au front, il y a toujours des risques mais les tigres ne sont pas ordonnés. Les rouges seront couverts et l'équipement mis à disposition devrait leur offrir une victoire assez rapide pour éviter les pertes lourdes.

— Et "Christale" dans tout ça ? demanda la plus grande en mimant des guillemets.

— Je ne sais pas encore. Je reste un atout qu'il vaudrait mieux cacher mais il faudra bien que j'apparaisse un jour ou l'autre pour reprendre ma place.

Le regard de Cèdre se durcit alors que l'adolescente comprenait son erreur.

— Je ... désolée. Je n'ai pas cherché à te tromper. Je ...

— Pas besoin d'ajouter des mensonges. Je ferais une dernière fois comme si de rien était. Pour te couvrir.

— Je ne tiens pas à ce poste, répondit la plus jeune sans penser à la remercier. Mais je ne peux pas laisser la Couleuvre s'en tirer sans procès.

— Tu t'insinues sans remarquer ceux qui orbitent autour de toi, laissa tomber Cèdre comme une sentence avant de se diriger vers la voiture.

Cette dernière descendit de quelques centimètres alors que la plus grande des verts s'installait au milieu du rang arrière, son sac entre les genoux. Chêne était au volant, Acacia à ses côtés. Jonc prit le siège arrière gauche sans laisser de choix à Christale. Elle s'assit piteusement aux côtés de sa nouvelle ancienne amie sans prêter attention à Cerisier et Saule venus leur dire au revoir. Et le doyen mit en branle l'aéroglisseur dans un chuintement à peine perceptible tant il était aigu.

***

Chêne se gara à deux rues du manoir et fut désagréablement surpris de voir que les gardes Cani ne soient pas étonné de les voir déjà arriver. Les 5 soigneurs, capuches montées, suivirent un majordome à travers la cour. Ce dernier tenta d'engager la discussion avec eux mais Chêne fit un détour de son propre chef pour passer dans un mess aménagé pour accueillir des travées entières de blessés plus ou moins graves. Les quelques civils présents avaient été séparés des autres. Chêne désapprouva d'un mouvement de la tête puis fit signe au majordome de poursuivre son trajet. Lierre se rapprocha pour écouter la discussion.

— Nous nous attendions à plus de renforts. Mais peut-être avez-vous des confrères restés avec vos hommes de terrains.

— Il ne m'appartient pas de révéler nos effectifs. Et je suppute qu'il n'est pas de votre ressort de les connaître, répondit Chêne d'une voix neutre.

— En effet, mes excuses. Nous vous avions réservé une aile. Dois-je vous conduire aux suites prévues pour vos dirigeants ou à l'un des dortoirs ? Navré de ne pas connaître votre rang.

Acacia donna du coude à Chêne et lui adressa des signes muets. Il traduisit à haute voix après avoir approuvé.

— Nous sommes l'un des chefs. Si l'une de vos suites peut nous accueillir, ce serait convenable. Un couchage pour chacun et si possible deux chambres.

Le majordome continua de marcher tout en réfléchissant. Lierre remarqua qu'il comptait sur ses phalanges le plus discrètement possible.

— Je ferais apporter les couchages supplémentaires. La deuxième suite en terme de surface serait-elle acceptable au sein de votre organisation ?

— Pas vraiment. Mais nous sommes les seuls à être plusieurs, ajouta le doyen avec un sourire.

— Et puis les autres ne vont pas tous venir, ricana Acacia.

Elle reprit son sérieux lorsque Chêne lui jeta un regard sérieux puis crispa les poings dès qu'il reporta son attention sur le majordome. Ce dernier ne tarda pas à s'arrêter devant une porte à double battant.

Le majordome, dans une pose soignée, appela deux serviteurs pour qu'ils poussent les battants et en profita pour glisser les consignes concernant la literie. La pièce principale était largement éclairée par une baie vitrée d'une demi-douzaine de mètres de long. Le lustre évasé au centre du plafond promettait une lueur tout aussi vive et homogène pour la nuit.

— Si le mobilier vous dérange, nous pouvons le retirer, commença le majordome alors que Jonc posait sans précaution son bagage sur un guéridon au plateau en véritable osier tressé, un matériau plutôt rare en Amérique depuis plus d'un siècle.

Cèdre lorgna le long canapé et sa bergère. Acacia caressait quant à elle du regard les vastes miroirs cerclés d'argent volontairement noirci et incrusté d'éclats d'émeraude pour rendre les couleurs des armoiries de la famille en toute discrétion. La tenue du majordome était d'ailleurs bien plus flatteuse et respectait mieux les proportions : le costume vert olive avait des manches noires et deux stries verticales venaient parer le buste et le dos d'or.

— À votre gauche se trouvent les deux chambres, l'une est normalement une dépendance pour vos propres serviteurs mais je doute que vous en ayez donc elle devrait pouvoir faire l'affaire. De l'autre côté se trouve la salle de bains. Je peux faire amener une séparation amovible, si vous le souhaitez ...

Chêne interrompit la tirade du majordome d'un geste qui se voulait noble mais qui était imparfait.

— Nous souhaitons surtout installer nos affaires. Nous ne tarderons pas à rejoindre vos blessés pour effectuer notre part du contrat. Veuillez simplement informer vos supérieurs de notre arrivée et vos médecins que nous sommes moins nombreux qu'ils ne l'espéraient.

— Bien monsieur. J'espère que la venue des serviteurs avec les couchages ne vous indisposera pas, hésita le majordome, visiblement peu habitué à ce genre d'humeur.

— Assez de ces ronds de jambes, s'énerva le doyen. Vos serviteurs n'auront qu'à toquer, nous aviserons alors.

Le majordome sortit sans mot dire et cacha sa tension de son mieux mais la porte claqua légèrement lorsqu'il referma le second battant. Lierre baissa enfin son capuchon à l'instar de ses comparses et Acacia renifla en jetant un regard à ses cheveux.

Les Achroniques - 2314, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant