Cohabitation

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New-Seattle, Quartier 9.7, Cache d'Éthan #02, 18 avril 2314

Éthan


Septième jour de cohabitation. Éthan se redressa et mit du temps à se remémorer dans quelle planque il était. Il ne s'était pas habitué à dormir dans la salle de sport/arsenal qui donnait sur le Nord plutôt que l'Est. Il grimaça en se levant et cessa de prendre appui sur sa main gauche pour transférer tout son poids à droite. Il enfila le même marcel que les trois jours précédents et regretta le t-shirt large que Kris' avait découpé pour l'ausculter.

Il fit l'effort de se peigner avant d'attacher ses cheveux d'une main avec un élastique brun que Kris' lui avait prêté. Il avait fait son possible pour lui éviter la vie de planquée mais elle voulait rester. Il avait argumenté en vain : les vêtements, elle en avait ; l'absence de bain, elle s'était conçue une espèce de douche qu'elle pouvait gérer seule et presque sans eau potable ; le lit, elle lui avait volé le sien. Bref, elle avait su s'imposer et il n'osait pas vraiment s'en plaindre.

Il la rejoint dans la cuisine, le "repas" était déjà prêt et brûlé, pour changer.

— Faut que tu dormes plus si tu veux que ça se ressoude bien, asséna-t-elle en guise de bonjour.

— C'est bon, il fonctionne, dit-il en remuant le bras.

Elle n'était pas dupe : il ne pouvait pas lever la main plus haut que son nez et même pour ça il lui fallait un effort colossal. Il vérifiait chaque jour et ça semblait revenir peu à peu mais il n'était pas en mesure de partir en raid. Surtout s'ils croisaient une patrouille.

Enfin autant au Nord, il ne devait pas y avoir de patrouilles. La mafia tuait tout ce qu'elle croisait et les robots ne faisaient pas exception.

— Tu rêves de quoi ?

— Rien, grogna-t-il en mordant sur un morceau de viande synthétique difficile à distinguer d'un charbon.

— Ah, dommage.

Il savait qu'elle ne disait ça que pour le rendre fou. Et ça marchait parfaitement. Mais elle était trop bien pour lui même si elle était la seule humaine vivante qu'il connaisse. Il n'osait pas lui dire ce qu'il ressentait.

Il savait qu'il n'utiliserait pas les bons mots et qu'elle n'entendrait que ce qu'elle voulait. Une fois, par erreur il l'avait surprise en train de changer de t-shirt. Il n'avait vu qu'une colonie de taches de rousseur sur un dos blanc clair mais ses couilles s'en souvenaient.

***

La salle de sport, arsenal et nouvelle chambre d'Éthan avait dû être un petit hall d'accueil. L'ancien bureau de réception, quoique défoncé sur un bon tiers, servait d'étagère pour quelques armes destinées aux robots et les poids qu'il avait pu récupérer dans le gymnase du premier étage d'un immeuble voisin. Le mur est donnait sur l'avenue mais l'ancienne baie vitrée était aveuglée par un tas de gravats aménagé de façon à laisser filtrer la lumière.

Le reste était un ensemble hétéroclite d'agrès qu'il avait bricolé à partir des images à demi effacées de ladite salle. Il y avait aussi son "lit" : un vieux matelas posé sur deux grandes plaques de carton et couvert de plusieurs draps déchirés.

Il ramena son attention sur son amie, qui approchait une nouvelle fois le sol avec les mèches échappées de son chignon.

16, 17, 18, 19 et 20, se souvint le blond.

— C'est bon, dit-il à son amie alors qu'elle finissait une pompe.

21, 22.

— Kris' arrête, c'est pas une bonne idée.

23, il se leva et agrippa l'arrière du débardeur de la main droite pour la relever. Elle le frappa au ventre. Il ne broncha pas. Il espérait juste qu'elle ne se soit pas faite mal.

— Laisse-moi tranquille, sinon je m'améliorerai jamais !

— Mais bordel Kris', il y a cinq jours t'arrivais à peine à en faire 8 et là t'en fais 20. Si ça te suffit pas tu fais une pause puis une deuxième série. Sinon tu vas te faire mal.

— Ouais ben de toute manière j'en ai marre des pompes. Mais on peut pas sortir parce que tu défonces des portes.

Il ne se donna pas la peine de répondre. Il la connaissait assez pour savoir qu'elle serait de mauvaise foi tant qu'elle serait énervée.

Puis il remarqua qu'elle ne l'avait frappé qu'une fois et qu'elle s'était tue.

— Tu veux faire des tractions pour changer ?

— Et comment, avec ta barre qu'est trop haute ! cria-t-elle. De toute façon, tu comprends rien. Laisse-moi.

Elle lui tourna le dos et partit d'un pas raide vers "sa" chambre. Éthan soupira puis prit un haltère de 5 kilos pour tenter d'entretenir son bras gauche. Il soupira et plongea son regard bleu dans un morceau de miroir qui traînait sur le mur d'en face. Si elle voulait rester, elle allait devoir changer. Il l'aimait vraiment mais ...

C'est parce qu'il l'aimait qu'il ne pouvait pas la laisser tout détruire. Du moins, c'est ce dont il tenta de se convaincre en imaginant la voix de la furie dans sa tête. Tout en se retenant d'imaginer son dos.

***

Après un temps qui lui semblait raisonnable, Éthan se leva. D'un autre côté il ne savait pas lire l'heure et la pièce n'était pas éclairée au soleil. Il décida quand même d'aller vers son ancienne chambre. Il hésita avant de toquer : il n'avait pas l'habitude et ne savait pas trop combien de fois frapper.

Il entendit des sanglots et sentit que ses craintes étaient fondées. Il toqua et entendit son lit bouger alors que les pleurs s'arrêtaient.

— Dégage !

Elle avait dû essayer de hurler mais le résultat était éraillé et peu convaincant. Éthan entra et alla s'asseoir sur le bord de son lit. Il bloqua la jambe de Kris' qui se dirigeait vers sa tête.

— C'est pas possible. Je vois bien que tu souffres mais ...

— C'est pas tes affaires. Barre-toi !

L'oreiller était humide de pleurs et elle n'arrivait même plus à crier.

— Mais, continua-t-il, même si tu ne veux pas m'en parler il faut bien que ça s'arrange. Je refuse de loger un lac.

— Une loque, corrigea l'adolescente après quelques secondes.

— Tu gardes tes leçons pour un autre jour. J'ai aussi affronté des situations difficiles. Pleurer ça donne l'impression d'aller mieux mais ça résout rien.

Elle renifla et le regarda comme si elle était étonnée qu'il dise quelque chose d'intelligent. Il essaya d'esquisser un sourire.

— Je ... je peux pas, dit-elle en essayant de retrouver son souffle. C'est trop dangereux. J'aurais pas dû venir. Mais ... il m'a dit ... non ... j'aurais pas dû ...

— Kris', calme-toi, dit-il en lui saisissant une épaule. On se connaît depuis quoi, trois ou quatre ans, non ?

— Trois, c'était au solstice d'hiver, confirma-t-elle avec un sourire triste.

Il ne chercha pas à comprendre le mot en stice. Il lui laissa le temps d'expliquer en jetant un coup d'œil à la chambre. Un panneau avait fait son apparition pour offrir à l'adolescente un semblant de dressing mais elle ne s'était pas arrêtée là. Le sol était vierge de poussière et elle avait même trouvé des tableaux au sous-sol pour donner vie à "sa" chambre. Même le lit avait changé avec ses deux oreillers en plus. Il se concentra et reprit la parole.

— Et du coup je sais que t'as une vie compliquée. On a pas besoin d'en parler. Je veux juste que tu ailles mieux. Je sais que ça fait que une ... euh ...

— Semaine, l'aida-t-elle.

— Ouais, mais si tu n'essaies pas de remonter la pente je te fous dehors, laissa-t-il tomber avec la délicatesse d'un de ces grands animaux gris comme des souris avec une corne sur le nez dont lui avait parlé Kris'.

Elle pâlit à vue d'œil et il sut qu'il avait vraiment son attention.

Les Achroniques - 2314, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant