4

10.6K 1.1K 110
                                    




— Co', je peux te parler ? demande une voix en toquant à la porte de la chambre.

— Coline n'est pas là, informe Angèle.

Silence, la porte s'entrouvre.

— Ah désolé, s'excuse Selim avec un air embêté.

Depuis une heure et demie, Angèle s'est enfermée dans la chambre pour lire un des livres de sa liste de lecture de l'été. L'hypokhâgne débute dans deux mois pour la brune et elle a une cinquantaine de livres à essayer de lire sans tout oublier.

— Tu lis quoi ? interroge-t-il tranquillement.

Elle lève un peu son énorme bouquin pour lui montrer le titre.

— Oh, Le Rouge et le Noir. Stendhal. Un gros morceau... T'en penses quoi ?

Elle pense aux cent premières pages qu'elle vient de tourner.

— C'est un peu long, mais j'aime bien les bouquins du genre, avoue-t-elle.

Il acquiesce.

— T'aimes lire toi ? demande-t-elle, curieuse, en voyant ses yeux briller.

Angèle l'invite à entrer dans la chambre. Ça ne sert à rien de rester derrière la porte trop longtemps sans rentrer. Selim s'installe en tailleur sur le sol, dos contre le lit.

— Je suis un buveur d'encre, assure-t-il en hochant la tête.

La brune s'enthousiasme d'un coup. Elle n'ose jamais vraiment parler des livres avec les autres, souvent parce que les autres n'aiment pas autant lire qu'elle. Alors que tourner les pages paraît tellement passionnant pour elle.

— Ton livre préféré ? questionne-t-elle.

— Salinger. L'attrape-cœur, répond-il sans hésitation.

De la littérature américaine. Angèle sourit. La dernière fois qu'elle a entendu parler de ce livre, c'était quand elle était encore en seconde en train d'essayer de comprendre le monde.

— J'ai du mal avec Holden et le style de l'auteur perso, mais c'est vrai que y a des passages marquants, avoue-t-elle en glissant son marque-page dans son roman.

— Et toi ? réplique-t-il en levant la tête.

Ses cheveux empiètent un peu sur ses yeux de jais. Elle aimerait souffler dessus pour croiser son regard absent.

— Toujours pas trouvé. J'ai juste des passages préférés, répond-elle sincèrement.

Elle le rejoint par terre. Peut-être que c'est le moment de parler de Coline et d'essayer de clarifier les choses pour lui faire comprendre qu'il ne doit rien briser durant ce voyage. Elle a envie de savoir pourquoi le brun cherchait la blonde. Mais elle s'abstient, pour faire perdurer cette bulle de littérature qu'elle aime tant.

Il parle et elle l'entend.

Selim attrape le Rouge et le Noir et joue avec le marque-page pendant qu'elle l'observe discrètement.

Comment cet être ici présent, assis à ses côtés, a-t-il pu briser le cœur de sa meilleure amie ? Lui, Selim, eurasien qu'elle n'arrive pas à décrire. Il peut être considéré comme beau, mais Angèle est persuadée que Co' s'en fiche un peu du beau. Le brun est sympathique et ouvert, mais tellement étrangement lointain quand on y repense. Elle n'arrive pas à le cerner et ça la désespère.

Angèle se pose longuement ces questions. Encore et encore, jusqu'à en oublier de chercher des réponses.

Jusqu'à ce que leurs regards se croisent et qu'il lui sourit, d'un des plus beaux sourires du monde.

*

Le soir, encore obnubilée par la discussion avec Selim de l'aprèm, Angèle est sortie fumer avec Anatole dans le jardin. Le garçon se roule un ter pendant que la brune allume sa clope. Les deux seuls fumeurs de la maison se partagent le même briquet depuis leur arrivée, le brun ayant perdu le sien.

— Tu fumes depuis quand ? interroge Anatole intrigué.

La brune n'a pas besoin de réfléchir longtemps avant de répondre :

— Depuis ma 4e.

La 4e, pour Angèle, ça remonte à trop loin pour être une année familière. Aujourd'hui, face à cette année-là, elle se sent vachement grande. La Angèle de cette époque qui se croyait mature n'était qu'une toute petite Angèle finalement. Les premières palettes de maquillage, le mascara mal mis, premières sorties entre amies et clopes et tout le tralala. Tout le monde était petit, mais faisait tout pour être grand. Angèle, en tout cas, n'avait en tête que l'obsession de faire plus grande à quatorze ans.

— Et toi ?

— Seconde.

Beaucoup se mettent à fumer vers le début du lycée, bizarrement. C'est comme une tendance auprès des jeunes Français. Angèle se souvient encore de certains gars au collège qui menaient des campagnes anti-tabagisme avant de se mettre à fumer devant le monde pile en face du lycée dès la seconde. Angèle, de son côté, alterne entre les phases où elle se force à arrêter sans réussir et les moments passagers de dépendance intenses.

— Mes potes fumaient toutes et vu que j'étais un mouton, bah je me suis mise à fumer, avoue Angèle en reprenant la conversation.

Elle se l'est avouée à elle-même il y a un paquet de temps. Fumer pour être « dans le délire », fumer pour avoir un « style » puis finir par fumer pour combler un vide. C'est triste, mais véridique. C'est son histoire. Celle d'une fille trop petite qui s'est piégée elle-même dans une addiction. Elle le regrette beaucoup, par moments.

— Moi, j'ai fumé mes premières clopes avec Isi' parce qu'on voulait faire les malins. Le blond a arrêté de fumer pof d'un coup cette année. J'sais pas comment il a fait, avoue Anatole.

La brune ne connaît pas très bien les gens de la maison, mais c'est vrai qu'Isidore ne fume plus depuis longtemps, alors qu'elle le voyait toujours défoncé tout le temps.

— Essaye d'arrêter cette semaine au pire ? propose la brune.

Anatole éclate de rire. Angèle a envie de perdre son sourire, mais n'arrive pas à ne pas se moquer de sa propre remarque. Elle parle au plus gros fumeur qu'elle n'a jamais rencontré, en fumant une clope devant lui.

La vérité c'est qu'elle aimerait vraiment arrêter, elle. La vérité c'est que pour l'instant, elle n'a jamais réussi. Angèle connaît tous les risques, à force de les découvrir sur les paquets alors qu'elle n'a plus de sous pour les payer. Mais la brune n'a jamais réussi, parce qu'elle n'est jamais vraiment motivée.

Seulement, elle est décidée d'arrêter ça au plus vite. Peut-être pas tout de suite, mais bien cet été. Elle se l'est jurée.

FlûteWhere stories live. Discover now