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Sur le trajet, les deux discutent un peu sur tous les sujets possibles. Jusqu'au moment fatidique :

— Tu te souviens du collège ? Au bahut, tout le monde t'appelait « Ange ». C'était dingue. Même moi, je me souviens t'avoir peut-être appelée « Ange », une fois. C'est bizarre qu'on t'appelle plus comme ça. C'est joli pourtant.

Le surnom est étrange à ses oreilles. Ange. Ça remonte à si loin maintenant.

Angèle se souvient qu'au collège, les filles de son année voulaient être comme elle. Elle n'arrêtait pas de recevoir des gentils regards, pleins d'affection, des compliments sur sa tenue, des demandes d'amis et des sourires forcés. C'était gentil. C'était enfantin. C'était collégien.

Elle se souvient qu'une fois, tout particulièrement, une fille d'une autre classe organisait une soirée. Elle n'avait encore jamais parlé à celle-ci. Mais cette fille voulait vraiment qu'Angèle vienne à sa soirée avec ses autres amis. Alors avant même d'avoir proposé à Angèle de venir, elle avait crié sur tous les toits qu'elle irait à sa soirée samedi. La brune n'était pas au courant et n'y était pas du tout allée. Pour une raison quelconque, cette même fille commença à la détester, à la harceler, à l'emmerder. Olivia partit du collège milieu troisième après avoir traité Angèle de « salope » pendant six mois sur internet. Elle se demande si le blog « Ange ou salope ? » existe encore.

Tout le monde pense qu'Angèle est intouchable. Qu'elle a été la personne qu'on a toujours désiré être au plus profond de son âme. La « star » ridicule qui sortait avec des garçons. La fille « populaire » qui rencontrait tout le temps des gens. Certains le croient encore et ça la désespère.

Elle est juste Angèle. Extravertie, mais pas extraordinaire. Et elle a haï cette Olivia pour avoir ruiné sa confiance en elle et en les autres plusieurs fois. C'est pour ça que malgré ses nombreux amis, potes ou contacts, elle a juste tout le temps l'impression de n'avoir que Coline pour elle. Et que parfois elle s'accroche trop à sa meilleure amie, par peur d'être seule, par peur d'être enviée, par peur d'être détestée.

C'est joli.

Selim, lui, était dans son collège. Même dans sa classe en 3e. Au lycée, peu savent qu'Angèle a été insultée de très longs mois sur les réseaux sociaux à cause d'une fille obsédée par elle. Selim sait.

Et la brune vient de se rendre compte qu'il en sait plus sur son adolescence que sa meilleure amie. Qu'il l'a appelée Ange comme avant et ça lui fait bizarre, d'un coup. Parce qu'elle n'a pas entendu ce surnom à la con depuis si longtemps. Et parce que, de sa bouche, ça n'a rien à voir avec l'« Ange » moqueur d'Olivia, mais juste un « Ange » angélique et tendre, qu'elle avait cru avoir perdu et oublié, depuis si longtemps.

Angèle n'a vraiment pas envie de perdre cet apaisement soudain, ce pansement sur une plaie qu'elle ne sait plus refermer depuis le temps. Alors elle lui dit, de sa voix la plus rassurante possible :

— Tu peux m'appeler Ange, si tu veux. Mais en échange, faut que je t'appelle aussi par un surnom.

Le brun lui sourit, l'air amusé.

— J'ai pas de surnoms, avoue-t-il.

— Tu veux que j'en crée un ?

— Bonne chance avec « Selim », dit-il en levant les yeux au ciel.

— Sel ? Lime à ongles ?

Elle éclate de rire toute seule en marchant.

— Ha ha. Très drôle Ange.

Et son cœur se réchauffe.

— Je vais t'appeler Selim. Mais c'est temporaire, assure-t-elle en baissant les yeux pour cacher son sourire.

*

Dans la librairie, Selim s'active et passe en revue le plus de rayons possible. Angèle, de son côté, l'observe fouiller tout en feuilletant un roman qu'elle a pioché au hasard dans le rayon des adolescents.

— Mon goal, montre-t-elle au brun.

— John Green, déjà lu, on passe.

Elle rit.

— Toi, t'as lu du John Green ?

Il acquiesce.

Les deux s'écartent dans un rayon à l'abri des regards, où Angèle sort une cigarette de sa poche. Elle le coince entre ses lèvres et sourit.

— Qui j'imite ?

Selim lève les yeux au ciel.

— Augustus Waters. Bof la métaphore, réplique-t-il en se moquant.

Angèle lui donne une bourrade dans les côtes et rit de plus belle quand il lui attrape le livre des mains.

— Okay ? Okay, se moque-t-il en lisant.

— Arrête, c'est goal, rappelle-t-elle.

— Nope, c'est pas goal d'avoir un cancer des poumons Ange.

Elle l'admet, même si elle parlait plutôt de l'amour de Gus et Hazel.

— Oui, mais...

— Oui, mais non.

Elle fronce les sourcils quand le sourire de Selim se perd. L'ambiance est devenue étrange d'un seul coup.

— Ça va ? lâche-t-elle, gênée, en voyant ses traits attristés.

C'est seulement à cet instant précis qu'elle se rend compte qu'il l'observe. Elle, de son côté, remarque leur proximité.

— J'ai un secret. Mais je sais pas si on est assez proche pour que je te le dise. Alors, te moque pas si j'ai l'air con tout de suite.

Elle l'écoute attentivement, le cœur battant.

— Mon père a un cancer des poumons, lâche-t-il d'un seul coup.

Là, tout de suite, Angèle aimerait s'enterrer sous terre. Pourquoi a-t-elle dû prendre Nos étoiles contraires en livre « goal » ? Elle se sent tellement tellement bête.

— Je peux te faire confiance, Ange ?

Elle acquiesce.

— Te moque pas.

La brune affiche la mine la plus sérieuse possible. Alors le brun se confie, pour de vrai :

— J'ai plus envie d'embêter Co' avec mes histoires. Elle est la seule à me rendre heureux dernièrement et ça me soûle d'être tout le temps sur son dos. Surtout qu'elle a un mec et que j'ai l'impression de déranger dernièrement. Elle m'a invité ici pour me changer les idées, mais j'arrive pas à ne pas y penser.

Angèle reste bouche bée.

— Ange... C'est bizarre... mais est-ce que je pourrais me confier à toi à l'avenir ? Je veux arrêter de la faire chier. C'est juste temporaire, je veux pas t'énerver non plus.

Dans ce genre de moments, Angèle n'hésite même pas. Aider les gens, c'est ce qu'elle a toujours voulu faire depuis toute petite.

— On est amis non ? Ça sert bien à ça, répond-elle sincèrement, avec un sourire qui se veut attendrissant.

FlûteHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin