Chapitre 19

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« Tout un monde d'amour éclos dans un regard. » Lamartine

Je n'arrive pas à croire que je vais sauter. Le moniteur nous a briefés sur les consignes de sécurité pendant une dizaine de minutes. Kyle l'écoutait attentivement comme s'il pouvait trouver dans ses propos une solution viable si l'élastique craque.

Alors que, soyons réaliste une seconde. Ça passe ou ça casse, c'est justement ça le jeu.

Mon esprit accélère la cadence maintenant que je ne suis plus qu'à quelques secondes de m'élancer dans le vide.

Je repense à la dernière fois que j'ai vécu un moment semblable à celui-ci. J'ai sauté à l'élastique plusieurs fois à la recherche d'une peur, mais rien, car peu de temps après qu'elle est disparue, je me shootai à l'adrénaline. Pourtant ça n'avait plus la même saveur qu'avant l'accident, mais je m'en contentai. Un semblant de sentiment jusqu'à que je ne ressente plus rien malgré des expériences de plus en plus hallucinantes. Les différentes tentatives que je m'imposais pour essayer de me sentir vivante ont vite fini par me lasser. Je devais aller toujours plus loin, je me mettais consciemment en danger, mais ce jamais pas assez. J'étais anesthésiée.

Rien n'était comparable au bonheur que j'avais gouté. L'adrénaline se faisait de plus en plus rare. J'en ai fini vide de tout, cependant je persistais. Je ne voulais pas abandonner l'idée que j'avais perdu ma capacité de l'aimer à tout jamais. Je voulais l'aimer, elle. Ma raison de vivre. Je trahissais sa mémoire.

Un jour, après que je me sois blessée lors d'une course de buggy. Benoit est venu me chercher à l'hôpital. Je m'étais cassé le poignet et j'allais devoir l'immobiliser pendant quelques semaines, mais je m'en foutais. La seule chose que j'attendais c'était de pouvoir recommencer. Je l'aurais fait avec mon plâtre si je n'avais pas eu un élan de réalisme.

Benoit est venu me chercher mais il n'a pas voulu me ramener chez moi. À la place, nous nous sommes dirigés au deuxième étage de l'hôpital. Je me suis retrouvée au service des soins intensifs. Il m'a pris par la main et m'a désigné la chambre qui se trouvait en face de nous. Les vitres transparentes laissaient voir une jeune fille du même âge que moi branché à toute sorte de machine. Ses yeux fermés laissaient présagés qu'elle se trouvait dans le coma. J'ai appris plus tard qu'elle avait été victime d'un accident de voiture. Un fou du volant qui roulait bien au-dessus des limites autorisées. Ses parents et sa petite sœur étaient là et lui tenait la main. Ce qui m'a frappé c'est la ressemblance entre sa petite sœur et la mienne. J'ai cru la voir pendant un instant. Je n'oublierai jamais la peine immense qui marquait ses traits enfantins. Cependant je n'ai pas culpabilisé ni compatis à sa douleur. C'est à ce moment-là que j'ai compris que tout sentiment était parti, que je ne ressentirai jamais la peine de l'avoir perdu, que je n'aimerais jamais plus.

La petite partie de mon cerveau qui luttait encore contre cette anesthésie de mon âme à lâcher exactement à ce moment-là. Je n'ai plus cherché l'adrénaline.

J'ai arrêté de me battre pour vivre.

Je me souviens encore de ce que Benoit m'a dit :

- Pense à ce qu'elle pourrait ressentir si tu te retrouvais comme ça.

Je l'avais regardé dans les yeux mais mon regard éteint en disait déjà trop. Je n'en avais strictement plus rien à foutre.

- C'est impossible. Je ne sais pas et ne saurais jamais ce que cette fille peut ressentir. C'est terminé.

Depuis ce jour, Benoit n'a plus jamais essayé de me faire réagir. Cependant quand il a vu que je m'étais assagie j'ai perçu son soulagement. Il est resté depuis quatre ans, acceptant que je ne sois plus la fille qu'il a connue et celà pour l'éternité.

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⏰ Last updated: Feb 25, 2018 ⏰

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