- T'es prêt mon p'tit loup ? On va commencer.

Je remarque que jamais il ne m'a plus jamais appelé comme ça à partir du moment où j'ai commencé à grandir et à me plier de moins en moins facilement à ses exigences de scientifique. Je note aussi que mon cerveau a choisit de ne me montrer que les moments heureux de mon enfance, des moments comme seuls un père et un fils peuvent partager. Sur l'écran qui doit se trouver à une trentaine de mètres de moi, une minuscule image apparaît. J'ai le même réflexe que le petit garçon sur la chaise, je me penche en avant. Et puis ma vue de loup prend le relais et c'est comme si je zoomais sur l'écran et je vois nettement l'image de biche. Au moment même où je hoche la tête en faisant un petit coucou à Bersheker pour lui dire que j'avais réussi à voir l'image, une nouvelle photo apparaît, plus petite que la première.

Le temps passe, et puis image après image, de moins en moins de pixels sont utilisés, et je mets de plus en plus de temps pour réussir à ajuster ma vision sur l'image. Mais je réussis toujours et bientôt c'est Bersheker qui a du mal à me donner des images. Finalement, il déclare que la séquence est terminée, et mon premier geste est d'enlever le casque, de le poser sur la chaise et de sortir presque en courant de la salle. Mais au moment d'ouvrir la porte, il passe devant moi. Il se stoppe brusquement et me dévisage. Pendant un instant, j'ai peur qu'il s'approche de moi, mais mon père, enfin Bersheker arrive. Il devait se demander où j'étais passé, ou pourquoi je mettais tant de temps à arriver. Il entre dans la pièce et je remarque qu'il semble beaucoup plus jeune, et plus jovial qu'il ne l'est aujourd'hui.

- Alors, qu'est-ce que tu fabriques ? Je t'attends !

A nouveau, une remarque frappe ma conscience. Bersheker ne m'appelle jamais par mon prénom. Je fouille dans ma mémoire pour retrouver le nom qu'il m'a donné. Le soigneur qui m'a permit de m'enfuir me l'a dit lorsque Alan a débarqué en Norvège. Il m'a dit que j'avais été appelé... Félix, du nom de l'expérience...

Bersheker me tire par la main, et le petit Scott me jette un dernier regard avant de se détourner et de suivre le scientifique. Mon fantôme laisse échapper un soupir avant de se lever et de les suivre. Bersheker m'ouvre la porte et je me précipite dehors en poussant un petit hurlement de loup, un petit hurlement de joie. Presque immédiatement, toute la meute de loups du Nord qu'avait fait venir Bersheker à ma naissance, sort du couvert de la forêt et se précipite dans ma direction. Je sens immédiatement l'amour que ressent la meute à mon égard. Puis je détourne le regard du petit garçon enseveli sous une masse de poils grognante et joueuse pour me tourner vers le scientifique et vois que cet amour que son expérience entretient avec les loups et inversement ne lui plaît pas beaucoup.

Il y eut une sorte de saut dans le temps, des images de combats affectueux passent à toute vitesse devant mes yeux, avant de ralentir pour retrouver un rythme normal. Plusieurs soigneurs sortent de la maison, et effraient les loups pour les pousser à regagner la forêt, enfin le parc construit pour eux dans la forêt. Sauf que je ne suis pas encore décidé à quitter ceux que je considère comme ma famille et, aidé par un grand mâle noir, le chef de meute à ce moment, et une femelle, je réussis à passer dans le parc. Dans quelques mois, le petit Scott aura gagné en puissance et le mâle alpha lui cédera sa place à la tête de la meute. De retour dans le présent de mes souvenirs, je cours derrière eux, pour ne pas les quitter des yeux et remarque que les louves de la meute sont sans cesse en train de me pousser du bout du museau, comme pour pousser le petit garçon que je suis à courir toujours plus vite. Et en effet, je sens que les soigneurs ont remarqué qu'une fois le champs vidé, il ne restait plus, comme ils le pensaient, l'expérience. Un petit rire enjoué m'échappe. Il s'arrête de rire, lorsque les soigneurs déboulent de tout les côtés. Ils tirent, à l'aide d'armes, des fléchettes de calmants, et après avoir vu plusieurs loups tomber autour de moi, dont le mâle alpha, je me décide à me laisser capturer.

Au moment où les soigneurs posent la mains sur mes épaules, l'image commence à se noircir, à se flouter, comme si je fermais les yeux, tout doucement. Mon cerveau a décidé de passer cette étape que mes souvenirs me racontent tout de même. Je sais ce qu'il va se passer. Bersheker va me remonter les bretelles en criant bien fort et va m'interdire de voir la meute pendant quelques jours, ce qui ne va pas m'empêcher de sauter par la fenêtre de ma chambre pour aller m'assurer que ma famille louve va bien.

Je finis par fermer les yeux, mon cerveau ne semble pas vouloir me montrer de nouvelle séquence d'image. Dans ce noir opaque et sans fin, le visage pâle de Hellen apparaît pendant quelques secondes,et je sens mon cœur s'emballer. Je dois quitter mes souvenirs et revenir dans la réalité. Une main sur mon épaule me fait ouvrir brusquement les yeux.

Ce n'est pas la réalité, simplement mon adolescence. J'ai a peu près treize ans, et Bersheker a totalement perdu l'emprise qu'il avait sur moi. Je passe mes journées planqué dans la forêt qui sert de refuge aux loups, je ne veux voir personne et, faute de servir à quelque chose, tout les soigneurs ont été renvoyés chez eux. Enfin, sauf Max, le soigneur qui plus tard m'offrira une porte de sortie. Comme personne ne peut m'approcher, Max et Bersheker ont dû trouver une parade pour ne pas me laisser mourir de faim. Ils ont donc décidé de me nourrir comme un membre de la meute à part entière, c'est-à-dire lâcher des lapins ou d'autres proies pour que la meute les chasse. Et c'est justement une partie de chasse que je suis en train de revivre à nouveau.

Je suis l'alpha de la meute, c'est donc moi qui décide lorsque la chasse est lancée. Si nous avions été dans une grande forêt, libres, j'aurais aussi décidé qui devait rester dans les tanières et qui devait m'accompagner, mais ici tous le monde venait, ça n'en était que plus drôle. La chasse commença et tout de suite, mon odorat de loup et ma conscience humaine s'unissent pour me donner les meilleures armes possibles pour débusquer les proies. Et au menu aujourd'hui, c'était un cerf. Bersheker a dû le faire sortir d'une de ces éprouvettes. Le Scott réel est vêtu d'un short un peu déchiré sur les bords et d'un pull. Toute la meute se met à courir et la puissance conciliée du loup noir et la mienne est écrasante. Je me suis mis à courir derrière eux et bientôt, c'est avec précision que je peux déterminer la piste emprunté par le cervidé. Je fais un geste de bras, que les loups comprennent je ne sais comment et toute la meute entoure le cerf. On continue de courir avec lui, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est cerné et qu'il n'a aucune chance de s'en sortir. La panique se fait sentir et les loups se mettent à hurler, à cause de l'effervescence de la chasse. Et puis le mâle, sachant que je n'ai pas les crocs pour pouvoir abattre la créature, se jette dessus avec une violence incomparable. Tout les autres loups poussent des petits cris à intervalle régulier avant de eux aussi se jeter sur le cerf.

Au moment où une des femelles venait vers moi et m'apportait un lambeau de viande, comme elle l'aurait fait avec l'un de ses louveteaux, il y eut un grand éclat de lumière. Immédiatement, je sais que je vais me réveiller, que je vais retrouver Hellen, Alan, les gars, les Doris, ma vie. Je cherche à comprendre, à trouver un moyen de me sortir de là, mais le noir m'enveloppe de nouveau sans que je n'arrive à retrouver la lumière.

Je sens vaguement une sorte de souffle de vent m'effleurer le visage, j'entends une voix très lointaine me supplier de rentrer. Et puis je suis pris dans une sorte de tourbillon, un peu comme les expérience sde mon père. J'entends des souvenirs, les hurlements des loups de ma Norvège natale, la voix de Bersheker, puis les balles qui sifflent, Alan qui me parle, des voix dans les salles de l'immeuble d'Alan, le bruit des armes qui s'entrechoquent, de l'eau qui coule, un rire cristallin de Hellen, de la musique. Mais encore des cris de douleur et de peur lorsque l'avion s'est crashé. Je sens des bras me serrer, des mains me bousculer. Des voix m'appeler, des larmes couler, je sens la douleur fulgurante d'un souvenir dans mes côtes.

Mais rapidement je me perds, et alors seulement je cesse de lutter pour retrouver la lumière, et tends les bras au noir. Noir qui peu à peu se pare de minuscules diamants, que je devine comme étant des étoiles.

Si ce n'est que ça la mort, pourquoi les Hommes ont tellement peur d'elle ? C'est très simple, d'abord c'est le bonheur qui revient, ensuite la lumière de cette vie que l'on quitte et après un dernier aperçu de ce que l'on a vécu. Et on redevient étoile parmi tant d'autres.

La nuit éternelle qui m'a vue naître me reprend de la lumière de la vie.

Homme-LoupWhere stories live. Discover now