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Dans le noir qui m'a envahi lorsque je reçois les balles qui étaient destinées à Hellen, c'est comme si toute ma vie défilait devant moi pour finalement s'arrêter dans la période de ma vie qui a déterminé ce que je suis devenu. Mon enfance. L'enfance de ce petit être unique en son genre élevé par un scientifique. Ma conscience actuelle, mon expérience plutôt noire de la vie, tout cela m'échappe et se fond dans le noir peu à peu remplacé de lumière de mon inconscience. C'est comme si mon âme se détachait de mon corps pour devenir spectatrice de cette partie de cache-cache que mon cerveau a décidé de me montrer. Je me fonds, corps et âme avec ce petit garçon insouciant que j'ai été. Autour de moi, les chaises et les tables de la maison de mon enfance grandissent alors que je retrouve ma petite taille enfantine. Je reconnaît la chambre de mon père. Je dois avoir environ cinq ans à ce moment là. Ce que je suis en train de vivre est assez incroyable. Je me vois moi-même, sous un angle autre que celui que je voyais à ce moment.

- Où es-tu !? Allez viens mon p'tit loup. Tu as cinq ans et c'est bien de t'amuser mais on va manger.

Et moi je suis planqué dans le placard de sa chambre, celui que je ne suis pas censé avoir le droit d'ouvrir. Bersheker finit par me retrouver, alors qu'il passe devant le placard et que mon ventre gargouille. J'ai le réflexe de poser un bras sur mon ventre, mais c'est celui du petit garçon qui gargouille, pas le mien. Il ouvre brusquement la porte. Avec le recul que j'ai aujourd'hui, je peux voir son visage se défaire lorsqu'il voit où je suis caché et je me sens moi aussi défaillir. Sur l'étagère qui se trouve au-dessus de moi, des dizaines de seringues avec des fioles remplies de liquides de différents couleurs, souvent étrangement fluo, sont alignées. Ses produits d'ADN animale. Puis le scientifique se reprend et m'attrape par la main, gentiment mais fermement.

- Je t'ai déjà dit de ne jamais ouvrir ce placard, que c'est interdit ! Bon sang !

Je ne peux pas retenir un sourire, je suis tellement enfantin. J'ai, enfin le Scott de cinq ans, levé les yeux vers Bersheker, un énorme point d'interrogation dansant dans mes yeux. Mon père, dans le sens adoptif du terme, sourit lui aussi devant la question qui est gravée sur mon visage. Et puis je vois dans ses yeux que ce regard que je lui lance lui donne la merveilleuse excuse dont il avait besoin pour m'interdire d'y entrer.

- Tu sais mon petit loup, il y a des méchantes sorcières qui sont dans ce placard, et elles vont peut-être te manger !

Il dit ce dernier mot en poussant un grognement et en m'attrapant sous les bras. Je ne sursaute même pas, mais éclate de rire en bougeant dans tout les sens. On finit par arriver dans la cuisine, où nous attend un plat encore fumant. Bersheker m'aide à me jucher sur une des trois chaises qui nous entoure, et tend une main. Je souris de toutes les dents, même celles qui me manquent et lui tends mon assiette. Il la remplit avec une cuiller de purée et un steak coupé en petits morceaux. Debout a côté d'eux, je me surprends à sourire moi aussi. Cette joie incomparable qui est dégagée par Bersheker et mon petit moi. Le scientifique se sert lui aussi une grande platée et s'assied devant moi.

- Bon alors, qu'est-ce que l'on mange ? Tu sais ce que c'est ?

Il essaie de me faire parler. Je me souviens que je n'ai prononcé mes premiers mots que lorsque Alan est venu me chercher. Enfin est venu voir ce qu'il ce passait dans ce petit coin perdu de Norvège. Mais le petit garçon de cinq ans hoche la tête avec conviction et enfourne une autre cuiller de viande. Mon père pousse un petit soupir et abandonne.

Brusquement, le décor autour de moi commence à se flouter, comme un souvenir que l'on cherche à capter mais qui, plus on cherche à se souvenir, s'efface, se floute, et tourbillonne. A nouveau le noir m'envahit, mais cette fois, il est peuplé des rires de mon enfance, des sourires que j'ai offert, et des progrès que j'ai fait. Comme une diapositive passe pour laisser sa place à une nouvelle, un nouveau décor se plante autour de moi. La pièce autour de moi est celle qui se trouve tout au fond du couloir. Cette pièce est appelée la pièce des sens par Bersheker. En fait, pour tester sa création, mon père me faisait m'asseoir sur une chaise et passait une bande-son à un volume très bas. Ou alors me faisait sentir des choses et je devais deviner ce que c'était. Mais sur cette séquence de mon enfance que mon cerveau a sélectionnée, c'est la vue qui est testée. Ma conscience, le fantôme que mon moi actuel est assis dans un coin, les bras serrés autour de mes genoux. Et l'enfant que je suis à ce moment est installé dans un grand fauteuil noir, les oreilles couvertes par une sorte de casque. La séquence n'a pas encore commencé, et je suis toujours en train d'essayer d'enlever le casque qui est posé sur mes oreilles. Mais Bersheker me réprimande sans cesse pour que je laisse ce casque en paix. Même si je suis loin du petit Scott, j'entends nettement mon père lancer quelques mots dans le casque.

Homme-LoupTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon