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Dans l'appartement il n'y a que trois pièces. Une première avec un matelas posé à même le sol et une malle ouverte, des toilettes et une cuisine/salle de bain/salle à manger/salon. Je remarque tout de suite une chose. Un petit sac à dos noir oublié sur la table de la cuisine, qui est la seule table du trois pièces. Quelque chose me dit que l'homme va revenir le chercher, alors je me poste à une fenêtre et guette son arrivée. Et en effet, après quelques minutes d'attente, l'homme arrive en déployant tout sa puissance et sa souplesse pour avancer plus vite. Ses appuis, bien plus qu'être ceux d'un bon coureur sont aussi des appuis de combats. Il parle au téléphone. Mon cœur bat la chamade. J'espère de tout mon être.
Je me rejette en arrière et vais me percher sur la table. J'ai troqué mon costume d'écolière japonaise contre ma tenue d'entraînement habituelle, que j'avais cachée dans mon sac. Mes cheveux longs détachés, signe que je suis en confiance et mes yeux bruns dépourvus d'émotions. Lorsque l'homme m'aperçoit, il fait un bond en arrière et lance une phrase incompréhensible à son interlocuteur. Puis il jette le téléphone derrière lui, sur le matelas, et s'approche de nouveau. Pendant un instant j'espère qu'il me saute dans les bras, mais il se contente de murmurer.

- Qu'est-ce que tu veux Hellen ?

Il m'a reconnue. Je m'attendais à des feux d'artifices, quelque chose de grandiose. Mais non, juste une question trop longtemps retenue. Cet homme est bel et bien Scott. Je sens mon cœur s'emballer un peu plus dans ma poitrine et en même temps, un formidable calme descendre sur moi.

Enfin.

- Sais-tu depuis combien de temps tues là Scott ? Dis-je.

- Je ne sais pas, peut-être un mois,pas plus.

- Ça fait près de deux mois. Deuxmois que l'on te croit mort. Dis-je en insufflant à ma voix uneonce de reproche que je regrettais en voyant la douleur dans ses yeux.

Il me regarde, un peu surpris mais surtout blessé. Pendant de longues minutes qui me paraissent des heures, on se dévisage. Notant chez l'autre les marques de son absence, les marques du temps et des blessures. Je me plonge à en perdre mon âme, dans ses yeux bleus et lit toute sa douleur. Il a un regard ironique pour la coque de mon portable et prend une grande inspiration. Comme l'inspiration trop longtemps retenue d'un plongeur, comme l'inspiration angoissée d'un artiste au moment crucial de son scénario, comme l'inspiration de la vie après le passage furtif de la mort. Et il commence à parler.

- Depuis le crash, plus rien n'estpareil. J'ai été sauvé par des médecins japonais et jamais il ne leur est venu à l'idée de me dénigrer parce que j'ai deux ailes dans le dos. J'avais beau souffrir le martyr parce que je savais quetu me haïssais, j'aimais bien cette vie. Je me suis remis lentementde mes blessures externes mais jamais mes blessures mentales ontcicatrisées. Je revoyais en boucle ton visage déformé par la peur que je t'inspirais, cette haine triste que je lisais dans ton regard et cette phrase que tu m'avais dite. Que tu m'avais jetée au visagecomme une honte que je me devais de ressentir. "James et lesautres ont raison. Tu es trop différent pour être aimé."J'avais lu dans tes yeux que tu ne le pensais pas mais tu l'avais dit sans que ta voix vacille. Ça avait suffit à me tuer, àm'anéantir de l'intérieur. Les mots sont les plus puissantes desarmes.

Je baisse les yeux. Il a cité de mémoire la phrase que j'avais dite, ce qui signifie que jamais il ne l'a jamais oubliée et qu'il ne l'oubliera jamais. Je sens que ces mots lui ont coûté beaucoup et que ses tourments ne s'arrêteraient que lorsque quelqu'un lui offrirait une paix. Je me dois d'être ce quelqu'un, surtout après ce que j'ai été obligée de lui faire ressentir. On ne peut pas changer les passé, mais on peut construire l'avenir. Je lui explique donc simplement tout ce qui c'est passé à partir du moment où j'ai été libérée et lui enfermé. Je lui explique mes ressentis et tâche de mettre des mots sur ce qui ne se dit pas. Il me regarde comme s'il ne comprenait pas mais je vois dans ses yeux, cette douleur, peu à peu remplacée par l'espoir. Comme une flamme vacillante qui ne sait si elle doit s'éteindre ou éclairer.

Homme-LoupWhere stories live. Discover now