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Cela fait une semaine. Une longue semaine que je suis dans cet entrepôt. A subir toutes les tortures du monde pour ce crétin qui pense que j'ai détruit sa famille. Une semaine que je vis et lutte pour rester en vie en espérant un jour pouvoir sortir de ce trou à rat et tenter de réparer les choses avec Hellen. J'ai lu des livres dans lesquels le héros était dans cette situation, sans savoir s'il allait mourir demain, sans savoir s'il allait revoir sa femme et ses enfants. Et même lorsqu'il y avait eu des problèmes avec sa famille, c'était l'espoir de les revoir, heureux, même sans lui, qui le faisait tenir.
Lorsque au bout de deux jours, il avait cessé de me faire subir des tortures mentales j'avais espéré qu'il me relâche, persuadé de m'avoir détruit mentalement. Mais non. La suite avait été bien pire. Un rire amer m'échappa. Une nuit, réveillé en sursaut par ces cauchemars dans lesquels les illusions y jouaient beaucoup, mes ailes avaient butté sur du métal. Et lorsque j'avais ouvert les yeux, malgré la pénombre environnante, j'avais remarqué que je n'étais plus sur la chaise de métal à laquelle il m'avait attaché, mais dans une cage, juste assez grande pour moi. Comme un animal. J'avais fini par réussir à retrouver un état se rapprochant vaguement de celui du sommeil, les membres engourdis par le froid et le manque de place, l'estomac creux.
J'avais été réveillé par un bruit répétitif. Comme si quelqu'un faisait traîner sans cesse la pointe d'une lame sur le sol. J'avais difficilement ouvert les yeux et dans mon champs de vision, j'avais vu un homme de dos, en train d'affûter un couteau sur une roue énorme en pierre. Il portait un pull noir, un tablier en cuir de forgeron, un casque de protection. Le métal, en frottant sur la pierre, faisait des étincelles rouges, parant le tout d'un mauvais présage. Mauvais présage qui s'était vite vérifié. L'homme s'était retourné et avait sourit sadiquement en me voyant éveillé. Il s'était avancé comme un fauve de sa proie, avait ouvert la porte de la cage et m'avait violemment tiré par un bras. Il m'avait ensuite attaché sur un grillage vertical en métal froid. Puis il s'était approché, la lame dans les mains et un sourire d'enfant heureux sur le visage. J'étais le cadeau de Noël d'un enfant psychopathe qui détruisait tout ce qu'il touchait. La lame avait couru, légère, et avait fait perler le sang de ma clavicule à ma dernière côté, y laissant une longue ligne de feu. La torture avait commencé.
Chaque heure qui passait, il changeait de lame, de méthode, d'endroit. Comme s'il était à la recherche d'une orientation particulière pour voir comment faire pénétrer le mieux possible la lame dans ma chair. Lorsqu'il se décida à me renfermer dans la cage, le dos et le ventre lacéré, j'avais eu le droit à plusieurs poignards, autant de couteaux, deux sabres et une lame chauffée à blanc. Le métabolisme extraordinaire qui régnait dans mon corps avait rapidement refermé les plaies extérieures, mais elles restaient présentes dans ma tête. J'avais l'impression que Bersheker avait donné des conseils pour éviter que ma condition de loup ne me fasse perdre connaissance, parce que jamais la douleur n'avait été assez forte pour me faire quitter cette terre. Je n'avais pas eu assez de force pour me forcer à perdre connaissance.

Chaque jour c'est la même chose. Mais chaque jour il rajoute une nouvelle lame, une nouvelle technique pour me faire souffrir indéfiniment.

*

Cela fait plusieurs heures que je suisréveillé quand j'entends le bruit des pas de mon tortionnaire. J'étais toujours enfermé dans cette cage de métal qui me laisse à peine assez de place pour réussir à me coucher en chien de fusil sans me prendre des barreaux dans le dos ni tordre mes ailes plus qu'elles ne le sont déjà. Je me redresse faiblement, tout en baissant les yeux parce que je ne souhaite pas l'énerver et que j'ai remarqué qu'il suffit de le regarder dans les yeux en début de journée pour passer une journée plus infernale que les autres... Il a réussit à faire ce qu'il voulait. Me dresser.
L'homme arrive en agitant allègrement les clefs. Comme tous les matins, il me jette à travers les grilles un morceau de viande, qui me fait sentir comme un chien dans une cage. C'est comme ça qu'il me voit.
Je ne sais pas comment je fais pour survivre mais tant que je tiens le coup, je ne cherche pas.
L'homme ouvre la cage, attache mes poignets avec des menottes en métal. Je me débats le plus possible pour réussir à me libérer mais il attrape mon aile droite et commence à imprimer un mouvement de rotation. La douleur qui s'en suivit fut indescriptible. Pire encore que les lames chauffées à blanc. Avec un coup de poing dans l'épaule, il me pousse puis m'assieds de force sur une chaise. Je fronce les sourcils. D'habitude je suis attaché à cette grande parcelle de grillage, et il teste ses instruments sur moi ou bien il teste ma résistance à l'électricité. Surpris par ce changement, je ne m'attends pas à la douleur de la piqûre. Je comprends d'un coup, tout en luttant contre mes yeux qui se ferment, forcés par le mini-ordinateur, que c'est repartit pour les illusions. La lutte est inégale. Je ne sais pas ce qui est le pire, mais j'espère et tant qu'il y a de l'espoir, il y a de la vie.

*

Une semaine plus tard. Même jour, six heures et demie du matin.

Dans mon sommeil, je me tourne et ma récente plaie, qui n'a pas finit de cicatriser, butte contre les barreaux et me tire une grimace de douleur. Tout ça parce qu'un scientifique a envoyé son fils vivre loin de lui... Immédiatement, mon sommeil, si on peut appeler ça comme ça, déjà léger et mouvementé, est interrompu et même en me forçant, je n'arrive pas à retomber dans l'inconscience. Incapable de me rendormir, je revois sans cesse, comme dans un mauvais film d'horreur le visage défait par la peur de Hellen. Ce visage me hante et me bouffe petit à petit de l'intérieur. Ma psychologie du héros qui lutte pour vivre, c'est fini. A quoi bon rêver enfermé dans une cage ? Derrière des barreaux ? L'homme voulait tuer mon espoir ? C'est réussi. Je me redresse un peu mais trop faible, je me laisse glisser sur le béton glacé qui me tire un violent frisson. Pour passer le temps, je compte les blessures mal-cicatrisées de mon ventre. Mon métabolisme n'arrive plus à régénérer mes plaies, parce que je suis beaucoup trop faible. Mon loup intérieur, pour me faire guérir entièrement devrait me faire perdre connaissance, sauf que pour cela il faut que je sois hors danger. Ce qui n'est absolument pas le cas.

Le temps de toutes les compter, une heure s'est écoulée. Et j'arrive à cinquante-trois. Mais celles de mon ventre ne sont rien et sont tellement fines que ça ne laissera même pas de traces. Le pire c'est mon dos. Les poignards et autres machettes ont entaillé trop profondément pour pouvoir ressentir ce sentiment qui m'est désormais inconnu. L'espoir. L'espoir qu'il n'en résulte aucune trace.
Je suis tiré de mes macabres calculs par des pas dans le couloir. Cette pointe d'espoir que je pouvais ressentir précédemment ne vient même pas. Je suis un monstre, enfermé dans une cage. Qui souhaiterais me voir à part pour me faire payer d'un crime ? Comme d'habitude, l'homme me tire de ma cage, comme d'habitude il me met les liens d'acier et détache les cordes, rougies par mon sang, qui m'entaillaient les poignets. Comme d'habitude, je me débats mollement avant de m'effondrer, à bout de forces, à bout de vie. Comme d'habitude, il me traîne difficilement, compte tenu de ma taille et du poids de mes ailes, sur le sol pour aller m'attacher au grillage et comme d'habitude, il s'efforce de me faire avaler quelque chose. Je refuse de manger depuis quelques jours. A quoi bon, je suis destiné à mourir ici. Je tire de je ne sais où, la force de lui cracher la viande au visage, avant que ma tête ne retombe lamentablement sur mon épaule et comme d'habitude, il fronce les sourcils avant de planter dans mon avant-bras une perfusion. Je me sens légèrement nauséeux mais très vite, des forces me reviennent. Et avec elles, reviennent mes pensées, celles que j'essaie d'oublier pour tenter de souffrir un peu moins. Je préfère tellement cet état de semi-sommeil dans lequel je suis à la fin de chaque journée passée à être tailladé comme un morceau de viande. Il fait courir du courant sur le grillage et tout mes muscles se tendent sous le choc des volts. Une énergie bleutée serpente sur le grillage, remonte à une vitesse fulgurante le long de mes ailes, bourdonne au niveau de mes oreilles, me brûle au niveau de mes blessures, et tente de me faire hurler. Mais ça fait longtemps que la force de hurler de douleur m'a quitté.
Il coupe le courant dès que je commence à présenter des signes d'agressivité, c'est-à-dire à peine deux secondes plus tard. Les muscles encore tremblants de douleur, je respire un bon coup.

- Aujourd'hui on va tester mon nouveau bébé.

La voix vibrante, il brandit un sabre japonnais. Long de quarante centimètres, je remarque que la lame noire est aiguisée à la perfection. Il passe derrière moi et commence à faire glisser la lame entre mes omoplates. Mes ailes se débattent d'elles-mêmes. Mais il les a bien attachées et très rapidement, elles se calment... Plus le temps passe plus je me rends compte qu'en fait mes ailes sont un organisme indépendant avec son propre centre nerveux, prenant ses propres décisions, collées à mon corps.

Soudain, une alarme se met à sonner. Surpris, l'homme enfonce de dix centimètres la lame dans mon dos avant de la retirer brusquement. Je fais une grimace.

- Un mot et ce que je te ferais après comparera ça a un jeu.

Je souris faiblement et ouvre la bouche. Mais je la referme tout de suite après. Il s'avance jusqu'aux ordinateurs et pousse un véritable soupir de soulagement. Il court presque à la rencontre de l'autre. C'est souvent comme ça depuis quelques temps. La sonnerie retentissait, il y avait le moment de stress puis la joie. Pour lui. Pour moi ça ne revenait qu'à reporter à quelques minutes la prochaine torture.

Homme-LoupWhere stories live. Discover now