- Alors ?

La voix douce de Hellen me tire de ma rêverie. Je secoue la tête et lui lance un regard interrogateur. Elle doit répéter sa question deux fois pour que je réussisse à la comprendre.

- Tu es indescriptible...

Un rire cristallin s'élève et je sens tout mon corps réagir à ce son digne du paradis.

- En fait ta réaction était claire !

Elle s'approche de moi, le fourreau de sa robe formant une traîne de milles feux derrière elle. Elle glisse deux doigts sous mon menton et relève ma tête. Je sens mes yeux passer de bleu à doré sous le désir. Son odeur sucrée parvient jusqu'à moi et mes sens se perdent un peu plus. "C'est le pouvoir de l'amour" me souffle ma conscience. Elle m'embrasse avec tant d'amour et de douceur que j'en perds pieds. Mais au moment où j'allais la serrer dans mes bras, elle glisse entre mes doigts comme un filet d'argent et repart avec un petit rire alors que je reprends doucement et difficilement pied avec la réalité.

- Tu devrais peut-être mettre quelque chose d'autre ! Me lance-t-elle en passant la tête par les portes de communication.

Je baisse les yeux sur mon corps et m'aperçois que je ne porte qu'un bas de jogging. Je me lève d'un bond et fouille dans mon armoire. Dans mon bond, je manque de faire tomber le lustre avec mes ailes, mais un réflexe de dernière minute lui sauve la vie. Je finis par dénicher une chemise blanche. Je tombe même sur la tenue parfaite. Mon choix, en tant que garçon, est forcément limité, ce qui m'arrange bien. Je fonce dans la salle de bain prendre une rapide douche.

Je jette un dernier coup d'œil au miroir. Il me renvoie le reflet d'un homme de haute stature, chaussures noires, pantalon noir, une chemise blanche sous une veste en cuir noir. J'ai coiffé mes cheveux très simplement, tenté comme chaque jour de relever cette mèche insupportable et rebelle qui tombe invariablement sur mon front. La seule touche d'originalité c'est ce lien de cuir brun que Hellen m'a offert et qui apparaît entre les deux pans de ma chemise. C'est une carpe, ma carpe, dont la symbolique a toujours signifié la chance, la réussite, mais aussi l'énergie, la force et la persévérance. Ce symbole parfait du bonheur, de la longévité désigne aussi l'amour. Il est accroché au bout d'un lien de cuir, donnant l'impression de nager sur ma peau, bronzée, qui met en valeur les reflets d'argent et d'or.

- Bon Scott ! Tu es prêt ?! Tu es pire qu'une fille ! S'exclame Hellen de l'autre côté de la porte.

Je l'ouvre et vois son regard parcourir mon corps. Elle me sourit. Je remarque que son regard capte un des reflets renvoyés par la carpe et qu'elle note que je ne l'ai pas quittée depuis qu'elle me l'a offerte.

- On va bien ensemble toi et moi ! Noir et blanc. La lumière et l'ombre. Le possible et l'impossible...

- L'ange et le démon, dis-je, fier d'avoir trouvé une comparaison.

- Ben non ça ne va pas ! Techniquement un démon cherche le mal et la souffrance des autres. Tu n'es pas du tout comme ça.

- Oui mais mes ailes sont noires, enfin le métal de mes ailes est noir.

- Un ange noir, alors.

Je tends la main et elle frappe dedans, scellant notre accord quand à ma comparaison. Je vois son regard accrocher de nouveau la carpe et un sourire enfantin se dessiner sur ses lèvres.

La limousine qui nous attend est cette fois noire, encore une fois en accord avec notre tenue. En vrai gentleman, ce que me fait remarquer Hellen, je lui tiens la porte.

Lorsque l'on arrive devant la boite de nuit, qui n'a pas été privatisée, par volonté de ne pas attirer l'attention, les photographes nous attendent bien sûr. Hellen se tourne vers moi avec des yeux de chien battu. Je devine sans mal qu'elle veut que je sorte ici, qu'elle veut m'aider à combattre cette peur d'être rejeté typiquement louve. D'humeur à faire des concessions, j'accepte. Ma moitié attrape ma main et fais un signe de tête au chauffeur, qui fait le tour pour venir nous ouvrir. Immédiatement, les flashs se mettent à crépiter. Je me tends, tout à fait ridiculement puisque ces hommes ne sont absolument pas un danger.

- Donne moi ta main. Làààà... tout ira bien je te le jure.

Puis, très digne, elle sort de la voiture, tête haute et un sourire distant planant sur ses lèvres. Je sors à sa suite et immédiatement les flashs m'éblouissent. Ma vision si particulière en souffre un peu mais je m'efforce de garder un air impassible. Marlen, la fille chez qui se passe la soirée, arrive à notre rencontre. Elle nous entraîne à l'abri des flashs et je dois fermer mes yeux afin de retrouver une vision normale, c'est-à-dire exempte de tâches de couleurs, dues à l'éblouissement. Les autres arrivent rapidement et ils s'arrêtent tous de danser au rythme des énormes basses et écrans qui diffusent de la musique à s'en casser les tympans, enfin les miens parce que ça n'a l'air de ne gêner que moi. Toute la bande nous dévisage avec un air envieux et très surpris. Je sens plus que je ne vois leurs yeux glisser avec envie sur le corps parfait mis en valeur par une robe sublime de Hellen avant de dévier sur le mien. Quelques minutes s'écoulent et je sens que Hellen se retient de rire. Ils finissent par se secouer et c'est au moment où ils s'éloignent, se dispersant dans la salle que j'entends un bruit étrange. Je lève les yeux et m'aperçois du problème. Il ne me suffit que d'un coup d'œil vers Hellen pour comprendre qu'elle est d'accord avec moi. Il y a une dispute et l'un des adversaires est prêt à être poussé en bas. On se précipite sous le couloir suspendu de la boîte et on plie les genoux prêts à recevoir l'homme. Quelques secondes après que l'on se soit installés on entends un cri et un corps tombe dans nos bras, nous jetant à terre par son poids.

Les Justiciers ont encore fait des leurs. Encore une fois et ce malgré la haine des gens. L'homme, surpris d'être encore en vie, n'a pas le temps de voir qui sont les personnes qui ont réussis à deviner qu'il allait être poussé en bas du couloir suspendu. Il aperçoit juste, sur un mur, deux ombres qui s'éloignent et l'éclat féerique d'un projecteur sur un tissu brillant. Une petite et une grande, et il ne lui en faut pas plus pour deviner qui sont ces personnes. Il sent encore sous son dos la poigne et les muscles puissants des deux Justiciers. Il sait que c'est eux. Qui d'autre est capable de sauver des vies sans jamais rien demander en retour ?

L'espoir peut renaître.

Homme-LoupWhere stories live. Discover now