Il y eut le temps des empereurs

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La Fin

Viendras-tu, oh viendras-tu
Dans les brumes où je t'attends
Là où règne l'harmonie d'antan
Là où tant de cris se sont tus

L'enfant battit des paupières. Ses yeux d'émeraude scintillèrent de brefs instants à l'éclat du foyer. La voix étranglée, la jeune femme poursuivit ;

Te souviens-tu de ce temps
Quand immortel dans nos cœurs
Brûlait la lumière du bonheur
Puis emportée par le vent...

Etais-ce les véritables paroles ? Difficile à dire, tant le chant se perdait loin dans les brouillards du passé. Qu'importait. Sa peau se hérissa tandis que ses lèvres poursuivaient seules, son regard enfoui dans celui de son enfant chérie.

Viendras-tu, oh viendras-tu
Dans les brumes où je t'attends
Là où l'éternel jugement
Leur folie a vaincue

Te souviens-tu de ce temps
Lorsque se sont éteintes les lumières
Emportées par la flamme guerrière
De ces rois devenus trop grands

Elle voulut s'y perdre. Sa main serra les minuscules doigts du bébé, une subtile, ô combien douce sensation de chaleur infusa son esprit.

Viendras-tu, oh viendras-tu
Dans les brumes où je t'attends
Là où jamais ne mourra le chant
De l'espoir que nous avions perdu

Voilà longtemps qu'elle n'avait chanté les derniers couplets. Ils éveillaient en elle une paisible sensation d'abandon. Chanter pour espérer. Chanter pour oublier.

Te souviens-tu de ce temps
Quand ce fut le temps des empereurs
Quand est venu le moment
Quand furent brisés nos cœurs

Viendras-tu, oh viendras-tu
Là j'espère que tu m'entends
De ses brumes où nous sommes perdus
Pour cette liberté qui nous attends

La voix secouée de sanglots, elle laissa les dernières paroles couler hors de ses lèvres.

Oublie le temps qui file comme le vent d'été
Oublie la nuit qui cache nos craintes
Dans les brumes ne reste que la liberté
Ne restera de nous que notre empreinte

Le chant s'égara dans le vent, estompé par les ténèbres. Ses doigts se refermèrent sur la chaude surface métallique.

Le tonnerre claqua. La femme frissonna. Ce n'était pas la foudre. Non. Elle devinait les battements réguliers des tambours rythmer la nuit. L'odeur âcre des feux filtrait au travers des cloisons de papier, jusque dans le petit logis.

Là, le jeune couple était agenouillé près d'un modeste berceau en osier. La minuscule silhouette d'un nouveau-né y reposait, éclairée à la lumière rougeâtre et diffuse du foyer, dont la nuit, peu à peu, éteignait les flammes.

Un autre enfant, à peine en âge de marcher, déambulait non sans peine. A chaque chute, il recommençait sans discontinuer, insensible à l'obscurité des lieux et des cœurs.

La jeune femme pressa encore l'homme dans ses bras, les yeux brouillés. Combien de temps leur restait-il ? Quels instants l'un contre l'autre avant que le temps ne les sépare. A jamais. D'une main, ses doigts agrippèrent la chair, le vêtement, se heurtèrent aux plates froides. De l'autre, elle serrait de toutes ses forces la minuscule boite de métal.

Elle écouta le cœur de son époux, les palpitations dans ses veines, ses expirations dans ses cheveux. Son souffle même n'avait plus la chaleur d'autrefois. Plus qu'un vent d'hivers qui mourrait sur sa nuque, hérissée.

Fleur de PrunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant