Meidosha des Henswei-Sombre Nuit

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Sombre Nuit

Meidosha eut tôt fait de s'écrouler au sol, empêtrée dans les pans de sa robe. Ignorant les mains tendues à son adresse et rouge de honte, elle se releva d'un bond et chassa la poussière de ses coûteuses étoffes. Avec une rage indigne de son statut, elle buta dans le morceau de roche responsable de sa chute. Hélas, ce dernier ne se laissa pas guère malmener et subsista solidement ancré dans la terre desséchée. Elle pouvait entendre dans son esprit le rire moqueur de Liu. Ignorant sa douleur passagère, la jeune fille se mordit la lèvre inférieure — une habitude qui lui avait déjà valu bien des remontrances — et reprit son port fier et droit. Sans perdre de vue le majestueux seigneur de Bei, elle reprit sa marche en direction des tables principales, assemblées au centre de la place.

Attentive au moindre mouvement du prince Tojani, elle n'évita que de justesse une nouvelle chute et se ressaisit immédiatement. Le seigneur Hoku était de toute façon plongé en une entrevue animée avec ce qui devait être l'un de ses généraux. Un homme immense, presque monstrueux de par ses dimensions surhumaines, qui avalait goulûment le contenu d'une amphore d'alcool de riz. Ils avaient été installés en bordure de la place, tout près du vieux prunier solitaire dont les branches tordues gémissaient dans le vent d'été. C'était là une place de choix, assez isolée du reste des fêtards pour y tenir conversation en toute tranquillité, sans pour autant s'éloigner des autels sacrés.

La jeune fille tira une chaise, non loin de là où sa mère s'était installée. Pour une gamine de quatorze ans, il était inconvenant de se placer à la table des adultes, et elle se voyait cantonnée à l'enclave des jeunes filles. La plupart étaient d'ailleurs absentes car affectées au service, ou aux cuisines. Peu importait, la solitude ne la gênait pas tant et les autres gamins du village ne la portaient pas dans leurs cœur. Par ailleurs, elle les haïssait elle-aussi.

Lasse, elle se prit à contempler les étoiles. Là-haut, les esprits des anciens devaient veiller sur eux... Tout du moins l'espérait-elle, même si ses récurrents déboires remettaient cette croyance en question. Sans doute était-elle invisible à leurs yeux. Le peuple Siki a toujours été proche des esprits, avait un jour dit Jiangli. Siki est nôtre mère, à nous qui partageons son sang, elle nous offre pouvoirs et nous lui faisons cérémonie. Quels pouvoirs ? Jiangli n'avait Jamais répondu autrement que par ses incompréhensibles murmures. Cet esprit était le plus important pour les siens. Toutefois, si les esprits se trouvaient tout proche, ils devaient ignorer royalement la jeune fille.

Comme pour confirmer ses propos, l'éclat des braseros vint cacher la faible lueur des astres nocturnes. Afin de conjurer le mauvais sort, elle adressa une rapide prière aux esprits primordiaux ; les Shiju, fêtés ce soir-là. Les esprits des ancêtres.

La voix de Hoku, forte et déterminée, s'éleva au-dessus des conversations. Toute voix se tu, pour laisser place aux murmures admiratifs ;

— Enfants de Henswei. Je suis honoré de votre accueil, et mes exploits soient témoins de l'immense admiration que je vous porte à vous, fils et filles de l'Empire. Vous, qui êtes resté fidèles à son honneur et à sa gloire, êtes la fierté de cette terre.

Il leva son verre aux yeux de tous, puis se retourna pour le verser dans le brasier d'un petit foyer. Le liquide s'évapora vers le monde des esprits en un petit filet de fumée blanche. Le général se retourna face à la foule.

—J'ai entendu votre détresse face à l'inéluctable. L'effondrement et la perdition, et suis venu pour y mettre un terme. Aujourd'hui, les barbares déferlent, pillent, souillent et violent la terre sacré de nos ancêtres. Ils croient pouvoir nous balayer, ils nous croient faibles et désunis. Ils se trompent. Aujourd'hui, ils traversent les montagnes. Aujourd'hui, ils brûlent nos forêts sacrées, détruisent nos villes et s'emparent des reliques de nos temples. Aujourd'hui, ils sont à nos portes ! Demain, je les combattrais. Demain, ils seront détruits. Demain, leur sang gorgera la terre profanée de leurs sabots impurs. Et demain, leurs survivants sauront que nous sommes forts, que l'Empire est encore là ! L'Empire est grand !

Fleur de PrunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant